
Le quotidien "Le Monde" accuse la présidence française d'avoir diligenté une enquête des services secrets pour connaître ses sources dans l'affaire Bettencourt-Woerth. Explications point par point.
Lundi, "Le Monde" annonce porter plainte contre X pour violation du secret des sources
Cette nouvelle affaire dans l’affaire Bettencourt-Woerth remonte à la mi-juillet. À l’époque, le journaliste du Monde, Gérard Davet, obtient le procès verbal d’une des auditions-clé dans l’affaire Bettencourt-Woerth : celle de Patrice de Maistre, gestionnaire de la fortune de Liliane Bettencourt. L’homme avoue avoir reçu l’épouse du ministre du Budget, à la demande d’Éric Woerth, pour "la conseiller sur sa carrière". Il finit par embaucher Florence Woerth. L'article aurait fortement irrité le chef de l'État.
La direction du Monde estime détenir des preuves que l'Élysée a demandé à la Direction central du renseignement intérieur (DCRI) de remonter aux sources du journaliste Gérard Davet, pour identifier celui qui lui a fourni le procès-verbal. En outre, le quotidien juge frauduleux que cet organe des services secrets, préposé à la lutte contre l’espionnage et le terrorisme, ait été employé dans ce but.
Le journal s’appuie sur la loi sur la liberté de la presse du 4 janvier 2010, qui prévoit que le secret des sources ne peut être violé qu'en cas "d'impératif prépondérant d'intérêt public". Or, "le pouvoir interprète de manière insolite cette notion d'intérêt public, qu'il confond avec son intérêt propre", conclut Le Monde.
La plainte du Monde est encore en cours de rédaction.
Lundi après-midi, l’Elysée dément, la police endosse
La présidence de la République dément les accusations du Monde et précise qu'elle n’a "jamais donné la moindre instruction" en ce sens.
Plus tard dans la journée, la police nationale endosse l’affaire. Le Directeur général de la police nationale, Frédéric Péchenard, précise : la DCRI a agi à sa demande, et non sur ordre de l'Élysée, et qu’elle l’a fait "dans le cadre de sa mission de protection de la sécurité des institutions". Frédéric Péchenard dit avoir saisi le parquet le 2 septembre, et mis en cause le haut fonctionnaire.
L’enquête était légale, insiste un ministre, cité par Le Monde : "On n'a suivi ni écouté aucun journaliste. On ne cherche pas à forcer un journaliste à révéler ses sources. On constate qu'un membre de cabinet balance des informations. Un État et un gouvernement, pour fonctionner, ont besoin de confidentialité. Quand des pièces majeures sont rendues publiques, il est normal de réagir. Et seuls les services secrets sont en mesure de trouver l'information."
David Sénat, l’informateur du Monde, parti en Guyane?
Selon le site nouvelobs.com et Le Monde, la DCRI a trouvé l'informateur : il ne serait autre que le conseiller pénal de la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie. David Sénat, magistrat, aurait été démasqué en deux temps : son nom est parvenu aux oreilles des services de police. Puis, "une brève et ponctuelle vérification technique a permis de rendre vraisemblable le renseignement initial", selon Frédéric Péchenard, le directeur de la police nationale. Qui dit "vérification technique", dit passer au crible les communications passées depuis le téléphone portable de David Sénat.
David Sénat est un magistrat qui travaillait depuis 2003 pour le compte du cabinet de Michèle Alliot-Marie, ancienne ministre de la Défense, de l’Intérieur, et à présent Garde des Sceaux. Coïncidence : le haut fonctionnaire a quitté ses fonctions le 1er septembre et est parti en Guyane en tant que chargé de mission de préparation de l'installation d'une cour d'appel. Bien sûr, le ministère de la Justice dément tout lien entre ce changement de poste et l'affaire Woerth.
Mardi : double rebondissement
L’enquête de la DCRI était-elle légale ? C’est toute la question. Deux rebondissements mardi laissent entendre que non.
D’abord, le procureur de Paris, Jean-Claude Marin, s’immisce dans l’affaire. Il affirme avoir reçu, début septembre, "une note de la Direction centrale du renseignement intérieur, sous couvert du directeur général de la police nationale, indiquant que de ‘brèves vérifications techniques’ avaient permis d'identifier la source". Le procureur annonce avoir "demandé quelles étaient ces vérifications techniques. J'attends la réponse".
Deuxième rebondissement : l’enquête a-t-elle été validée par la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité (CNCIS), cette Commission qui contrôle le recours aux "fadettes" (écoutes téléphoniques) ? La police prétend que oui. Or, cette consultation n'est possible que pour la prévention du terrorisme, affirme Rémi Récio, magistrat délégué auprès de la CNCIS.
Une deuxième enquête est en cours
L’enquête, en fait, est double. De son côté, le parquet de Paris a ouvert en août une enquête préliminaire, pour violation du secret de l'enquête judiciaire, suite à la plainte déposée par Fabrice Goguel, l’avocat fiscaliste de Liliane Bettencourt. Le dossier a été confié à l'Inspection générale des services (IGS, la "police des polices"). Mais l’enquête n’a pas encore abouti.
Sur quoi la plainte du Monde peut-elle aboutir ?
La loi du 4 janvier 2010 ne prévoit pas de sanction pénale contre celui qui enfreindrait le secret des sources d’un journaliste…