Cinq ans après le passage de l'ouragan Katrina, qui a fait plus de 1 500 victimes et des dégâts gigantesques, la Nouvelle Orléans n'a pas retrouvé son âme. Oublié, le quartier du Lower Ninth Ward attend toujours qu'on lui vienne en aide.
Joe est le propriétaire de l'un des rares restaurants du Lower Ninth Ward. Un petit établissement cajun situé sur l'avenue Claiborne, au beau milieu de ce quartier de l'est de la ville de la Nouvelle Orléans. Ces derniers temps, les affaires ne sont pas terribles. "Comment nous sentons-nous cinq ans après Katrina ? Nous sommes stressés, explique Cindy Jones, l'une des employées de Joseph Nguyen. Nous n'avons pas beaucoup de clients. 'Mister Joe' ne me fait travailler que trois jours par semaine, alors qu'auparavant je travaillais six jours."
Le "Cajun Joe's Seafood", détruit en août 2005, n'a rouvert ses portes qu'en novembre 2009, sur le trottoir d'en face. Sans assurance contre les inondations, Joe n'a reçu aucune aide.
Situé dans une cuvette entre le canal industriel et l'embouchure du fleuve Mississipi, le Lower Ninth Ward a été l'un des quartiers les plus durement touchés en 2005. Le "Ground Zero" de Katrina. Le 29 août de cette année-là, à 7h45 du matin, l'ouragan brise la digue du canal en deux sections et l'eau s'engouffre dans les rues, atteignant jusqu'à six mètres de haut à certains endroits. A quelques kilomètres seulement du quartier français, haut lieu touristique de la ville, des des milliers de bâtiments sont dévastés.
Des champs ont remplacé les maisons
Cinq ans plus tard, 75 % des habitants de ce quartier ne sont pas revenus chez eux. Dans la partie basse du Lower Ninth, des maisons abandonnées alternent avec de rares bâtiments reconstruits. Dans la partie nord, les maisons ont tout bonnement laissé leur place à l'herbe. "De petites zones se sont redéveloppées, explique Tom Pepper, directeur des opérations de l'ONG Common Ground Relief, qui travaille entre autres à la construction de nouvelles maisons. Mais il y a surtout des champs et des terrains vagues."
Mack McClendon était lui aussi dans le Lower Ninth en août 2005. "J'ai pu quitter la Nouvelle Orléans, mais lorsque j'ai vu toutes ces maisons qui flottaient, je me suis dit qu'il fallait que je revienne, raconte-t-il. La ville était bouclée, je n'ai pu rentrer qu'au bout de trois semaines. Ma maison n'avait pas été détruite parce que ma rue est située en hauteur, mais il y avait plus d'un mètre d'eau dedans. Il m'a fallu six mois pour pouvoir me réinstaller." Il y a trois ans, Mack McClendon a créé un centre communautaire pour tenter d'aider ceux qui reviennent dans le quartier. "La situation est très dure, explique-t-il.La majorité de notre communauté est toujours déplacée, c'est inacceptable. Qu'est devenu le droit au retour ? Le système a échoué. Nous avons été les plus touchés, pourquoi sommes-nous les derniers à être aidés ?"
Si les traces de l'ouragan restent bien visibles dans toute la Nouvelle Orléans, le Lower Ninth semble n'avoir profité d'aucun des progrès constatés ailleurs. Avant Katrina, ce quartier de près de 17 000 habitants comptaient cinq écoles, des équipements médicaux, cinq parcs, de nombreux commerces... Seule une école fonctionne à nouveau et l'hôpital principal n'est toujours pas opérationnel.
La reconstruction à grande échelle de l'est de la Nouvelle Orléans est "juste en train de démarrer", confirme Tom Pepper. "Il n'y a eu aucun investissement en matière d'infrastructures. Le gouvernement ne voulait pas reconstruire tant que les travaux sur les digues n'étaient pas terminés, au cas où il y aurait de nouveaux ouragans. Mais c'est ici que les gens ont dû monter sur leur toit pour appeler à l'aide pendant la catastrophe. Les images que tout le monde a vu, c'est ici. Pourquoi est-ce le dernier endroit où l'on envoie des fonds ?", s'interroge t-il à son tour.
Très pauvre, peuplé quasiment en totalité de Noirs, la zone n'attire ni les touristes ni les investisseurs.
Traumatisme psychologique
Lentement, certains décident tout de même de rentrer. "Beaucoup ne sont pas revenus parce qu'ils n'avaient pas les moyens de reconstruire leur maion, explique Matthew Hashiguchi, qui réalise un documentaire sur le Lower Ninth - "Ce qui était là et ce qui reste". D'autres ont aussi sûrement peur de rentrer. Les gens ont subi un choc très dur sur le plan psychologique. Tant qu'ils vivent loin de chez eux, ailleurs aux Etats-Unis, ils n'ont pas à affronter ce traumatisme."
Si 400 millions de dollars viennent d'être débloqués pour que les habitants de l'est de la Nouvelle Orléans reconstruisent et surélèvent leur maison, le quartier ne retrouvera jamais son visage de l'avant-Katrina. Les résidents étaient ici propriétaires depuis 30 ou 60 ans. "Leurs parents, leurs grands-parents et leurs arrières grand-parents avaient souvent vécu dans leur maison, insiste Matthew Hashiguchi. C'est quelque chose d'unique à la Nouvelle Orléans, mais aussi à l'échelle des Etats-Unis."
"Ce quartier était comme un village, confirme Mack McClendon. Bien sûr il y avait des problèmes, mais c'était une très belle communauté. Seulement 5 % des personnes âgées sont rentrées. Cet anniversaire est très triste."
Samedi soir, Mack McClendon a tout de même organisé une soirée, avec de la musique, pour que ceux qui sont revenus puissent passer du temps ensemble. "Les gens sont très forts, ajoute Matthew Hashiguchi. Même s'ils pensent constamment à ce qui s'est passé, et en dépit de tous leurs problèmes, ils restent positifs et essaient d'avancer."
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