Ce n’est plus l’homme qui prend la mer, c’est désormais une femme ou plutôt même une adolescente. Du haut de ses 14 ans, la Hollandaise Laura Dekker a hissé ce matin, à Gibraltar, les voiles de son Guppy 11,5m pour devenir la plus jeune navigatrice à effectuer le tour du monde en solitaire. Son départ était prévu en septembre 2009, mais la justice néerlandaise avait jugé insuffisantes les garanties pour sa sécurité. Sa surveillance des services de protection de l'enfance a pris fin le 1er juillet, signal qu’elle pouvait enfin prendre le large.

Née sur un bateau au large de la Nouvelle-Zélande, son destin était tout tracé. Son père et sa mère, deux marins férus de grand large, lui ont offert son premier Optimist à 6 ans sur lequel elle apprit à voguer seule. "Elle navigue comme une vraie diablesse, ce n’est pas le problème", avait déclaré Babs Muller, sa mère, au quotidien "De Volkskrant". "Mais je crains qu’elle ait des soucis lors de ses haltes dans les ports du Sud et c’est un véritable challenge psychologique d’être seule en mer. Elle n’est pas encore assez mature," s’inquiétait sa mère en septembre 2009. Un an et une escapade plus tard aux Antilles hollandaise, et voilà Laura fin prête.

"Je n'ai pas vraiment peur", a déclaré la jeune fille à la presse, devant son voilier, quelques minutes avant son départ, à propos des difficultés d'un tel périple. Interrogée sur ce qui allait le plus lui manquer lorsqu'elle sera en mer, la jeune fille aux yeux verts et aux cheveux châtain clair a répondu spontanément: "Spot!", le nom de son chien.

"Inhumain"

Pour la navigatrice française, Florence Arthaud, il s’agit ni plus ni moins "d’une exhibition du Moyen-âge." Contactée par France24.com, elle ne comprend pas comment on a pu la laisser partir. "Il y a quelques temps, une navigatrice de 16 ans a démâté au large, elle ne savait même pas faire un gréement de fortune. Les règlements de la voile interdisent de naviguer à moins de 21 ans. Il y a une raison pour ça. C’est n’importe quoi, c’est scandaleux et inhumain", s’emporte la navigatrice. Celle qui a remporté la Transpacifique en 1997 n’a qu’un conseil : "rentrer au port et retourner à l’école".

La Britannique Samantha Davies partage le même avis et se pose la question de la sûreté. "Pour le Vendée Globe [course autour du monde en monocoque], les règles sont si strictes que ce soit sur le matériel, les mesures de sécurité, les télécommunications qu’il nous faut deux ans et demi de préparation avant de nous lancer. Nous sommes également obligés à prendre des cours de survie pour, par exemple, nous recoudre nous-même en cas de coupures. J’espère sincèrement qu’elle et son entourage ont prévu tout ce qu’il fallait." La navigatrice qui est arrivée 4e au dernier Vendée Globe pense aussi aux imprévus auxquels la jeune fille de 14 ans devra faire face. "Les meilleurs, comme Bruno Peyron, ont des années de pratique. A 35 ans, je me considère comme une débutante, alors à son âge même si on a grandi sur un bateau comme je l’ai fait, l’expérience vous manque".

Si Laura Dekker a quitté les Pays-Bas début août, son tour en solo a réellement débuté ce samedi matin, lorsqu'elle a pris la mer dans le sud du Portugal. Son périple de deux ans ne passera par aucun des trois caps (Horn, Leeuwin et Bonne-Espérance). Quatorze escales sont prévues sur sa route. Après le Portugal direction l'Amérique centrale et le Canal de Panama, puis l’immensité du Pacifique. Laura et son voilier traverseront le détroit de Torres entre l’Australie et la Papouasie Nouvelle-Guinée. Ils longeront le Sri Lanka et l’Inde pour rejoindre ensuite la Mer d’Oman et le Golfe d’Aden jusqu’au Canal de Suez puis la Méditerranée. Dernière étape, le Détroit de Gibraltar avant de remonter vers le point de départ : le port de Den Osse dans la Mer du Nord. Un parcours à suivre sur son site www.lauradekker.nl qui est déjà saturé.