Près de 70 Roms, expulsés de leur camp, demeurent hébergés dans un gymnase de Choisy-le-Roi. Au-delà de l'urgence, les associations militent pour des projets d'insertion : dans le Val-de-Marne, une vingtaine de familles bénéficie d'un toit.
Depuis plusieurs jours déjà, quelque 70 Roms patientent dans le gymnase Joliot-Curie de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne. Parmi eux, une trentaine d’enfants et des personnes âgées et malades. Des matelas – un par famille – sont installés le long des murs, quelques caddies s’entassent dans les cages de foot. La mairie doit amener dans la journée deux fours à micro-onde et des matelas supplémentaires.
Ces Roms, tous originaires de Timisoara en Roumanie, ont été expulsés jeudi matin de leur campement situé sous l’autoroute A86. "Nous avons dû partir très vite, je n’ai même pas eu le temps de prendre nos vêtements, raconte Nadia Hamza, une mère de deux enfants arrivée en France il y a 11 ans. Ils ont emmené nos caravanes, je ne sais pas où elles sont."
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© {{ scope.credits }}En huit ans, rien n'a changé, ou presque
La municipalité communiste, qui a dénoncé le "cynisme" et "l’incurie" du gouvernement, a proposé, "pour des raisons humanitaires", d’accueillir provisoirement ces familles dans un gymnase de la ville. "Nous ne pouvions pas laisser ces gens comme ça, à la rue, alors qu’il pleut", s’indigne Patrice Diguet, maire adjoint à l'Urbanisme.
La plupart des Roms sont originaires de Roumanie et de Bulgarie, deux pays membres de l’Union européenne (UE) depuis 2007. Ils peuvent donc circuler librement dans les pays de l'UE, mais sont soumis à des restrictions "transitoires". Ils doivent notamment demander une autorisation pour travailler en France.
Comme tous les Européens, les Roms sont soumis à une obligation de ressources s'ils désirent rester en France au-delà de trois mois. Ils peuvent également être expulsés à tout moment s'ils sont reconnus coupables de troubles à l’ordre public.
Il y a huit ans, les Roms de Choisy mobilisaient pourtant déjà au sommet de l'État. Le 3 octobre 2002, Nicolas Sarkozy, alors ministre de l'Intérieur en déplacement dans cette commune du sud-ouest de Paris, prend “l’engagement de traiter l’ensemble de la question des campements sauvages de Roms dans le département d’ici à fin novembre” et promet de créer un pôle humanitaire en liaison avec la Roumanie.
À l'époque, plus de 600 Roms vivent depuis deux ans dans une dizaine de terrains abandonnés du Val-de-Marne. Certains sont installés sous l'autoroute A86, d’autres vivent dans leur caravane, voie des Roses. Le 3 décembre 2002, tôt dans la matinée, ce campement est évacué par les forces de l'ordre. Le lendemain, l’abbé Pierre se déplace dans ce bidonville de Choisy : il vient protester contre le projet de loi de Nicolas Sarkozy sur la sécurité intérieure, qui prévoit notamment de pénaliser les squats de terrains vagues et la mendicité agressive.
Les Roms d'un côté, les Roumains de l'autre
Aujourd’hui, personne ne sait combien de temps les Roms de Choisy vont rester dans le gymnase Joliot-Curie. Le recensement du nombre de personnes soumises à une "obligation de quitter le territoire français" (OQTF) d'ici un mois, est en cours. "Est-ce qu’on va nous trouver un nouveau terrain, un hébergement dans une maison, une chambre d’hôtel ? Nous n’avons pas de réponse", constate Rodika Novakovitch.
Après avoir perdu ses parents et sa maison en Roumanie, elle est arrivée en France en 2002. Comme tous les autres Roms du gymnase, elle n’a qu’une certitude : elle ne veut pas retourner dans son pays. "Là-bas, je n’ai pas de maison, pas de travail, pas d’argent, pas de nourriture. Comment fait-on quand on a trois ou quatre enfants ? En Roumanie, il y a d’un côté les Roumains, et de l’autre les Roms. Le gouvernement est très raciste."
Faute de papiers et de domicile fixe, Rodika n’a pas réussi à trouver d’emploi en France. Elle se débrouille malgré tout, en faisant la manche ou en vendant des fleurs avec les autres femmes. Certains des hommes sont musiciens ; les autres vendent de la ferraille. "Quand on arrive à ramasser 200 kilos par jour, c’est pas mal, précise Codrut Sador. Avec ça, on gagne à peu près 10 euros, ça fait 5 pour l’essence et 5 pour manger."
À 20 ans, il a passé la moitié de sa vie en France. "Je veux juste une maison et un travail, comme tous les autres gens, assure-t-il. Je peux faire n’importe quel boulot, même nettoyer des toilettes. Si on me donne 20 euros par jour, je suis content. Si on me met dans un avion pour la Roumanie, le jour d’après je rentre en France. Je n’ai pas de maison là-bas, je vais dormir où ?"
Une maison avec deux chambres, une douche, de l’eau chaude… Toma Crisca, lui aussi originaire de Timisoara, vient régulièrement rendre visite à ses compatriotes dans le gymnase. Mais sa situation n’est en rien comparable à la leur : il est l’un des bénéficiaires d’un projet d’insertion mis en place par la ville et vit depuis six ans dans un pavillon de Choisy-le-Roi, avec sa femme et son fils.
Pavillons de voirie ou ancienne gendarmerie
"Gens du voyage" est l'appellation administrative, établie à la fin des années 1970, qui désigne les communautés nomades de France, ceux "dont la profession et les occupations nécessitent un déplacement continuel en caravane pendant la majeure partie de l'année". Ils possèdent la nationalité française.
Les "Roms" ou "Tsiganes", sont, à l'origine, un peuple nomade venu d'Inde, aujourd'hui très majoritairement sédentarisé. En France, le terme "Roms" désigne des nomades d'origine essentiellement roumaine ou bulgare. Ils bénéficient de la liberté de circulation mais n'entrent pas dans la catégorie juridique française des "gens du voyage".
Les Roms sont appelés différemment selon les zones géographiques. On parle de "gitans" en Camargue, dans le sud de la France, comme en Espagne. En Italie ou dans les pays germanophones, en revanche, on parle de "manouches".
En 2004, le Conseil général du Val-de-Marne a signé une première convention avec les associations du département pour tenter de trouver des solutions d’hébergement aux populations roms et faire disparaître les bidonvilles. Depuis, plus d’une vingtaine de familles sont hébergées dans des pavillons de voirie à Choisy, Villejuif ou Vitry. À Saint-Maur-des-Fossés, près de 35 personnes vivent dans une ancienne gendarmerie.
"Ce sont des bâtiments qui étaient délaissés, ils ne font pas partie du parc social, explique Michel Fèvre, membre du collectif RomEurope. L’idée était de rompre avec les politiques d’expulsions inutiles et de mettre ces familles à l’abri. La réinsertion n’est pas facile. Quand on a vécu 10 ou 15 ans dans des bidonvilles, il faut du temps pour retrouver des repères. Mais si tout n’est pas rose, ces expériences fonctionnent."
"Dans une vingtaine de foyers, il y a au moins une personne qui travaille et a un titre de séjour d’un ou dix ans, confirme Laurence Alimi, membre de RomEurope et de l’association Pour loger. Et, bien sûr, les enfants vont à l’école. Même quand elles vivent sur des terrains pourris, les familles scolarisent leurs enfants."
Selon Laurence Alimi, ce projet d’insertion, mis en œuvre au niveau départemental, est une expérience unique en France, qui s’explique par une volonté politique forte. "Le Conseil général a pris ses responsabilités mais tant que l’État ne voudra rien régler, la situation ne s’améliorera pas. Ce n’est pas aux collectivités locales de payer, le logement relève des compétences de l’État."