Après les annonces du gouvernement visant à élargir les motifs de déchéance de la nationalité, des experts ont fait part de leur doute quant à la possibilité de mettre en œuvre ces propositions. Précisions sur cette procédure très rarement utilisée.
"Je ferai des propositions d'ici à la fin du mois [d’août] au président de la République pour la mise en œuvre juridique de la mesure de déchéance de la nationalité contre les auteurs d'homicides de dépositaires de l'autorité publique, de polygamie et d'excision", a déclaré, début août, le ministre français de l’Intérieur, Brice Hortefeux. Mais pour le ministre de l’Immigration, Éric Besson, la transposition dans la loi de ces propositions paraît "complexe". Explications.
- Comment peut-on être déchu de sa nationalité aujourd'hui ?
La déchéance de la nationalité est décidée par décret ministériel, après avis conforme du Conseil d'État. Elle est encadrée par l'article 25 du code civil, qui prévoit cinq cas pour lesquels un individu peut être déchu de la nationalité française. Il faut notamment qu'une personne ait été condamnée "pour un crime ou délit constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation ou un acte de terrorisme", ou qu'elle se soit livrée "au profit d'un État étranger à des actes préjudiciables aux intérêts de la France".
Plusieurs restrictions existent néanmoins :
- Depuis la loi Guigou de 1998, la décision de déchoir un individu de sa nationalité ne doit pas rendre celui-ci apatride - en clair, il doit avoir une double nationalité.
- Les faits reprochés doivent avoir eu lieu avant l'acquisition de la nationalité française, ou dans un délai de dix ans à partir de cette acquisition.
Ni le fait d'avoir porté atteinte à la vie d'un gendarme ou d'un policier, ni le fait d'être polygame ou d'avoir commis un acte d'excision ne peuvent actuellement entraîner la déchéance de la nationalité.
- Comment a évolué la législation sur la déchéance de la nationalité en France ?
La déchéance de nationalité existe de façon permanente dans la loi depuis 1927.
De 1945 à 1998, les personnes naturalisées depuis moins de dix ans et condamnées à plus de cinq ans de prison pour crime pouvaient être déchues de leur nationalité. Cette clause a été supprimée par la loi Guigou.
En 1996, la loi du 22 juillet a étendu la déchéance de nationalité aux personnes condamnées pour terrorisme.
- La déchéance de nationalité est-elle fréquente ?
Selon le ministère de l’Immigration, aucune déchéance de nationalité n’a eu lieu depuis 2006 et "seuls quelques cas par an" ont été répertoriés auparavant.
"Il existe une ou deux dénaturalisations par an, pour des motifs de guerre, de terrorisme, d'atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, a confirmé l'historien Patrick Weil dans un entretien au quotidien Le Monde. Il s'agit d'une sorte d'arme atomique, destinée à dissuader, non à être utilisée."
Le gouvernement de Vichy, qui a collaboré avec les nazis lors de l’occupation allemande, est le seul à avoir procédé à des dénaturalisations massives : 15 000 entre 1940 et 1944.
- Le code civil relatif à la déchéance de la nationalité peut-il être modifié ?
Plusieurs experts, tels que le constitutionnaliste Guy Carcassonne, ont fait part de leur doute quant à la possibilité de transposer les propositions du gouvernement dans la loi. Selon eux, il faudrait modifier la Constitution, et notamment son article 1, pour qu’elles soient applicables juridiquement.
"Tous les Français sont égaux devant la loi", qu'ils soient français de souche ou d'origine étrangère, a notamment martelé le sénateur socialiste Robert Badinter. "L'article 1er de la Constitution dit que la France assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine."
- Pourrait-on étendre les motifs de déchéance de la nationalité sans modifier la Constitution ?
C'est ce qu'affirme le ministre de l'Immigration Éric Besson, qui juge possible d’élargir les conditions de déchéance de la nationalité par amendements législatifs, sans avoir à modifier la Constitution.
Selon lui, il suffirait de revenir au dispositif en vigueur jusqu’en 1998, selon lequel la déchéance de la nationalité pouvait être prononcée pour des personnes condamnées pour crime à plus de cinq ans de prison, dans les dix années suivant leur accès à la nationalité française.
La France a cependant signé - mais pas ratifié - la convention du Conseil de l'Europe de 1997 sur la nationalité, qui ne permet pas de déchéance pour des motifs de droit pénal général. "Cette convention la limite aux actes portant atteinte à l'intérêt majeur de l'État, en cas de guerre, de terrorisme ou de trahison", a répété Patrick Weil.
Après les déclarations de Nicolas Sarkozy et de Brice Hortefeux, Éric Besson a en tout cas annoncé que deux amendements seront ajoutés au projet de loi sur l'immigration, qui devrait être présenté le 27 septembre à l'Assemblée nationale.