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Detroit, dans le froid et au cœur de la crise

Quittant le froid de Paris pour celui de Detroit, Nicolas Ransom, journaliste à FRANCE 24, raconte la dure crise que traverse la capitale américaine de l’automobile.

Lundi 12 janvier - Un salon qui tourne au vert


Cette année, la nouveauté à Detroit, c’est le vert. Un salon orienté écolo. Les imposants 4x4 américains énergivores et polluants sont moins nombreux. Les clients américains veulent aujourd’hui des véhicules plus petits et moins gourmands.


Alors les "Big Three" (GM, Ford et Chrysler) multiplient les annonces.


GM compte commercialiser sa Volt d’ici deux ans. Contrairement à d'autres voitures hybrides, elle roule entièrement à l'électricité sur les 60 premiers kilomètres, grâce à sa batterie lithium-ion.


Ford, quant à lui, prévoit de sortir la Ford Escape Plug In d’ici 2012.


Et chez Chrysler, la "200 EV Concept" a été présentée. Une voiture capable de rouler en mode 100 % électrique.


70 % des Américains effectuent moins de 64 kilomètres par jour. C’est beaucoup moins que l’autonomie de ces véhicules hybrides. Mais reste à parler du prix. Il faut compter environ 2 000 euros à 4 000 euros de plus qu’un véhicule ordinaire.

A l’extérieur, sur le trottoir, les syndicats de l’automobile se mobilisent et profitent du salon pour se faire entendre. Touchés de plein fouet par la crise, ils craignent que Washington ne réduise leur salaire et ont peur de perdre leur assurance santé.


Dimanche 11 janvier - Un salon en pleine tempête.


Ça y est le "Snow Storm", comme on l’appelle ici, est passé. De la neige est tombée durant toute la journée de samedi. Entre 20 cm et 25 cm. Mais ici les gens sont habitués. Et nous sommes bien loin de la paralysie.


Ce qui n’est pas le cas, en revanche, du NAIAS (North American International Auto Show). L’un des plus importants rendez-vous annuels du secteur de l’automobile ouvre ses portes aux médias aujourd’hui sur fond de récession pour la grande majorité des constructeurs. Seulement 13,2 millions de véhicules vendus en 2008 sur le marché américain, le niveau le plus bas depuis 1992.


Dans les stands, les strass et paillettes des années passées ont été remisés au placard. Nissan, Suzuki, Ferrari, Porsche ou encore Land Rover ont même boudé le salon. Pas de célébrités, pas de shows démesurés, pas de petits fours… Il n’y a plus d’argent dans la pompe à essence des constructeurs.


John, charpentier sur le stand Chrysler, termine les dernières finitions. Pour lui, "cette année cela n’a rien à voir. C’est un salon de crise. Mais du coup, c’est plus intime", se félicite-t-il avec un sourire de circonstance.

Vendredi 9 janvier - Une gare à l'image de la ville, sur le déclin

Petite revue de presse matinale. Ce vendredi, ce sont les chiffres du chômage. Ils sont à la une de tous les journaux. L'économie américaine a supprimé 524 000 emplois en décembre, faisant monter le taux de chômage aux Etats-Unis à 7,2 %. C’est son plus haut niveau depuis janvier 1993. Sur l'ensemble de l'année 2008, les Etats-Unis ont perdu 2,6 millions de postes de travail, ce qui n'était pas arrivé depuis 1945.

L'ancienne gare de Detroit, fermée depuis deux décennies.

Objectif du matin : un reportage sur la ville de Detroit et son déclin. S’il y a un bâtiment qui représente bien cela et le départ de la population, c’est la gare : la Michigan Central Station, 18 étages et 70 mètres de haut.

Ouverte en 1913, la gare a connu les années glorieuses de la ville. Fermée en 1988, elle est aujourd’hui laissée à l’abandon.

Le photographe Geno Bisoni ne voudrait pas vivre ailleurs.

Nous faisons la rencontre de Geno Bisoni, photographe de lieux désaffectés, passionné par ces bâtiments dont plus personne ne veut. Après avoir traversé plusieurs tunnels dans la pénombre totale, nous arrivons dans le hall principal. Pas de mots. Une des scènes du film "Transformers" a d’ailleurs été tourné ici, dans ce dédale de gravats.

Geno, lui, prend ses photos avec ses gros gants tellement le froid est incrusté dans le bâtiments. Mais c’est son passe-temps. Il aime cela. Il aime Detroit. Il aime sa ville. "Ici, tout tombe en ruine. Mais c’est ma ville, et je l’aime." .
A ce jour, plusieurs projets de restauration ont été proposés, voire négociés, mais aucun n'a porté ses fruits. Dommage. Quel gâchis !

Jeudi 8 janvier – Une ville fantôme

Pas un jour sans que les journaux télévisés et la presse ne parlent de la crise de l’automobile. Ce matin, ce sont les estimations pour l’année 2009 qui font les gros titres. "‘09 auto output may hit 6.2 million". Les constructeurs de voitures devraient produire 6,2 millions de véhicules en 2009. Quelque 8,5 millions de véhicules sont sortis des usines en 2008. La chute continue.

Ce matin, premier rendez-vous avec Shakir Wahhab, un ancien ouvrier de chez Chrysler aujourd’hui au chômage. Près de 20 kilomètres nous séparent de notre lieu de rendez-vous. Comme à chaque fois, nous avons le sentiment de circuler dans une ville fantôme. Nous croisons, certes, des voitures, mais la plupart des bâtiments qui bordent les rues sont détruits, laissés à l’abandon.

La population de Detroit a diminué de moitié depuis les années 50, laissant des maisons à l’abandon.

On m’avait prévenu, mais je ne m’attendais pas à cela. Je n’avais jamais rien vu de semblable. Si ce n’est la ville de Gori, en Géorgie, désertée lors des bombardements russes, en août dernier, ou encore Brasilia, capitale du Brésil, et ses immenses routes. Pas facile de savoir ce qui ressemble à Detroit, si ce n’est Detroit.

La ville a été construite pour accueillir 3 millions d’habitants. Elle en a compté environ 2 millions lors de l’âge d’or de l’industrie automobile, dans les années 1950. Aujourd’hui, ils ne sont que 900 000 à habiter Detroit. Curieuse sensation.

A l’approche de l’usine, là encore, la rue est déserte, et les gigantesques parkings habituellement pleins sont presque vides.
 

Shakir Wahhab, ex-employé Chrysler au chômage, compte sur Obama.

Casquette Obama sur la tête, bien couvert, Shakir Wahhab, 43 ans, nous attend. Un grand sourire barre son visage malgré les difficultés qu’il rencontre aujourd’hui. Pour lui, et pour beaucoup de ses collègues (1), il n’y a plus de travail. Chrysler est le constructeur américain qui a été le plus frappé par la baisse des ventes de véhicules : -30% en 2008, alors que GM et Ford ont "seulement" enregistré une baisse de 20%.

"J’espère qu’Obama s’occupera des travailleurs et notamment ceux de l’automobile plutôt que ceux de Wall Street", nous dit-il amer.


(1) L’industrie de l’automobile emploie 783 100 personnes aux Etats-Unis.

Mercredi 7 janvier – Windsor, Canada. 200 000 habitants.

L’Ambassador Bridge, pont suspendu qui relie Windsor, au Canada, à Detroit, aux États-Unis.

L’Ambassador Bridge (pont Ambassadeur), est bien plus qu’un simple pont suspendu pour les habitants de Windsor, au Canada.

Des milliers de Canadiens l’empruntent chaque jour pour aller travailler à Detroit, aux États-Unis voisins. A Windsor, on croise à chaque coin de rue des employés de General Motor, de Ford et de Chrysler.

Rick Laporte dirige le syndicat des employés Chrysler.

Avec la crise du secteur automobile, tout le monde s’inquiète pour le futur. D’autant que Windsor enregistre déjà le plus haut taux de chômage du Canada : une personne sur dix est sans emploi.

Rick Laporte se bat pour maintenir des emplois dans le secteur automobile à Windsor.

Il dirige le CAW Local 444, la branche syndicale représentant les employés de Chrysler.

Joe Polozzo, retraité de Chrysler.


Joe Polozzo (photo) travaille pour Chrysler depuis plus de 30 ans.

Il a été poussé à la retraite anticipée quand son usine a fermé.

Il nous affirme que s’il était encore jeune, jamais il ne se lancerait dans le secteur automobile, dont l’avenir est beaucoup trop incertain.


 


Mardi 6 janvier – L'industrie automobile est l'affaire de tous

Les courbes du chômage grimpent, alors que celles des ventes coulent à pic.


Nous sommes à Detroit, capitale de l’automobile. Dimanche, le Salon de l’auto ouvre ses portes et, ce soir, il fait un sympathique -7°C. Ici, tout le monde travaille dans l’industrie de l’automobile ou connaît quelqu’un qui se rend, chaque matin, dans ces immenses usines.

 
Dans le bus qui nous amène au loueur de voitures, rencontre avec Joe Jones, le chauffeur.

Un grand sourire, la trentaine. Aussi haut qu’un menhir, et qui ne perd pas une seconde pour nous lancer un grand "Bonjouuuuuur".

Joe est chauffeur de bus, mais aussi journaliste correspondant pour un petit journal,  The Outlook. Une seconde plus tard, Joe nous montre ses articles, précieusement conservés sous son siège. Son dernier papier plante le décor : "Automakers : a crisis in Detroit that could affect us all" ( "Fabricants de voitures : une crise qui pourrait nous toucher, nous tous, à Detroit").

Il faut dire que son père travaille à l’usine, où il assemble des voitures. Tout comme son frère, mais aussi sa sœur. Une famille typique de Detroit.

 
La crise qui touche les trois grands de Detroit, (GM, Ford et Chrysler) n’épargne personne. De nombreuses usines ont déjà fermé. Les courbes du chômage grimpent, alors que celles des ventes coulent à pic. Ce soir, les chiffres des ventes de véhicules, en décembre, aux Etats-Unis, viennent de tomber. Chanel 4 et Chanel 7, les deux chaînes locales, consacrent des reportages sur le sujet.

-53,1% pour Chrysler, -32,3% pour Ford, -31,2% pour GM.

La ville de Detroit est prête pour un hiver long et froid.

Aux Etats-Unis, les chiffres des ventes de véhicules en décembre sont sans appel : -32,3% pour Ford.