Près de 3 000 policiers italiens ont mené une vaste opération contre la 'Ndrangheta à travers l'Italie. Plus de 300 personnes ont été arrêtées, dont le patron présumé de la pègre calabraise, notamment pour meurtre, détention et trafic d'armes.
L’opération est d’une ampleur exceptionnelle. Quelque 3 000 policiers ont été mobilisés en Calabre et dans le nord de l’Italie, plus de 300 mafieux présumés ont été arrêtés. En ligne de mire : la ‘Ndrangheta, très secrète et ultrapuissante mafia calabraise.
"Il s’agit de la plus importante opération menée ces dernières années contre la ‘Ndrangheta que nous avons touchée au cœur de son système criminel tant sur le plan organisationnel que patrimonial", s’est félicité le ministre de l’Intérieur Roberto Maroni, à l’issue de l’opération. Des arrestations auraient également eu lieu aux Etats-Unis et au Canada.
Ce coup de filet couronne deux ans d’investigations de grande ampleur, menées après l’assassinat le 15 juillet 2008 de Carmelo Novella à San Vittore, village du nord de Milan. L’homme était l’ambitieux chef d’un clan de la ‘Ndrangheta dans la région, l’une des plus riches d’Europe. Il a été assassiné après avoir affirmé ses velléités indépendantistes vis-à-vis de la base calabraise de l’organisation.
Parmi les personnes arrêtées ce mardi, figure Domenico Oppedisano, un octogénaire à la peau tannée par le soleil et à la barbe mal rasée. L’homme, un polo sombre négligemment enfilé, a été cueilli par la police dans la petite ville côtière de Rosarno, à l’extrême sud de l’Italie. Un gros bonnet aux yeux de la justice italienne : il est considéré comme le patron de la "province", organisme qui regroupe les différents clans constituant la ‘Ndrangheta.
Plusieurs autres pontes de l’organisation mafieuse ont également été arrêtés, notamment le chef de la ‘Ndrangheta lombarde, dans le nord du pays, et le directeur du département sanitaire de la ville de Pavia – le secteur de la santé étant très prisé par le clan mafieux.
La ‘Ndrangheta ébranlée
L’opération ébranle la première organisation mafieuse du monde mais ne l’achève pas pour autant. "La justice italienne a bien entamé la structure de commandement et a mis hors d’état de nuire quelques soldats, mais on ne peut pas dire que la ‘Ndrangheta est morte. Loin de là", estime Fabrice Rizzoli, enseignant-chercheur spécialiste des mafias et de la criminalité à l’Université Paris 1, et auteur de ‘Pouvoirs et mafias italiennes - Contrôle du territoire contre l’État de droit’. "Le groupe prime sur les individus, chaque individu est remplaçable. C’est toute la force de la criminalité organisée. Il ne fait aucun doute que les successeurs des personnes arrêtées sont désignés depuis longtemps".
D’autant plus que la ‘Ndrangheta est dans le collimateur des autorités depuis une vingtaine d’années. Ces derniers mois, les opérations la visant se sont multipliées - une quarantaine de mafieux présumés a notamment été arrêtée en avril 2010. "Depuis deux ans, la police opère sans arrêt des vagues d’arrestations dans le milieux calabrais, rapporte le chercheur. Des députés, des maires de petites villes de l’arrière-pays milanais sont désormais en prison".
La ‘Ndrangheta a longtemps été considérée comme le parent pauvre de la mafia italienne, au fonctionnement familial et au champ d’action limité, en comparaison à la Cosa Nostra sicilienne ou à la Camorra napolitaine. Mais depuis une vingtaine d’années, l’organisation a surpassé – et de loin – ses sœurs italiennes. "C’est la mafia la plus puissante et la plus étendue dans le monde", confirme Fabrice Rizzoli. "Elle a fait de l’importation de cocaïne sa grande spécialité". Dans un rapport publié en 2006, la direction des investigations anti-mafias considère qu’un tiers du trafic de la cocaïne colombienne dans le monde passe par la ‘Ndrangheta. Mais l’organisation a posé sa patte sur à peu près tous les secteurs juteux : trafics d’immigrés, d’armes et d’immobilier en Europe, celui des diamants en Afrique du sud, casinos et fausse monnaie en Australie. Et évidemment, elle saupoudre de cocaïne et héroïne tous les pays occidentaux.
Le chiffre d’affaires de l’organisation atteint désormais quelque 44 milliards d’euros, selon l’Institut italien spécialisé Eurispes. Mardi en marge des arrestations, la police a saisi des biens, des armes et de la drogue estimés à quelques dizaines de millions d’euros. Une goutte d’eau face à l’immensité de la fortune et de la sphère d’influence des clans calabrais.