, envoyé spécial en Afrique du Sud – Une toile représentant l'autopsie de Nelson Mandela entouré de plusieurs personnalités politiques sud-africaines fait scandale dans le pays. L'artiste Yuill Damaso explique avoir ainsi voulu désacraliser le personnage de Madiba. Entretien.
En exposant au centre commercial de Hyde Park, à Johannesburg, une toile représentant Nelson Mandela mort, l’artiste sud-africain Yuill Damaso ne s’attendait pas à déclencher une telle polémique. Inspiré de l’œuvre de Rembrandt intitulée "Leçon d'anatomie du Docteur Tulp" (1632), le tableau représente le corps sans vie de Madiba entouré de personnalités politiques sud-africaines, dont les prix Nobel de la Paix Desmond Tutu et Frederik W. De Klerk (1989-1994), l'ex-président Thabo Mbeki, l’actuel chef de l’État Jacob Zuma, et l’opposante Helen Zille. Ces derniers observent le corps inerte du héros de l’apartheid que Nkosi Johnson, un enfant décédé du sida devenu le symbole des ravages de la pandémie, dissèque soigneusement.
Sa toile a affolé l’ANC qui a demandé son retrait. Elle a également choqué une grande partie de l’opinion publique. Entretien avec l’artiste qui a soulevé un vrai tabou : la mort de Nelson Mandela, le père de la Nation arc-en-ciel.
France24.com : À travers votre œuvre, quel message avez-vous voulu faire passer ?
Yuill Damaso : Après la mort de Mandela, que vont faire nos leaders politiques ? Il s'agira d'un événement malheureux auquel toute la nation devra faire face, et pas seulement la famille de Nelson Mandela. Que feront nos décideurs ? Vont-ils faire comme si rien ne s’était passé, ou vont-ils réussir à faire vivre l’héritage que Madiba nous a laissé et faire passer notre société à un niveau supérieur ?
Pourquoi avez-vous choisi de représenter autour de lui Desmond Tutu, Frederik W. De Klerk, Thabo Mbeki, Jacob Zuma, Helen Zille et Nkosi Johnson ?
Y. D. : Chaque personnage est porteur de sens. J’ai choisi Nkosi Johnson, un enfant qui avait le sida [il est décédé en juin 2001 à l'âge de 12 ans, NDLR] pour plusieurs raisons. De son vivant, il parlait aux adultes du monde entier pour les inciter à réagir à ce fléau. Sur cette peinture, il est le seul à ne plus être de ce monde. Il dit simplement aux dirigeants sud-africains : "Regardez-moi, je n’étais qu’un enfant et j’ai réussi à faire entendre ma voix. Il est temps que vous preniez vos responsabilités."
Thabo Mbeki regarde de l’autre côté de la scène. Qu’est-ce que cela signifie ?
Y. D. : L’ex-président Thabo Mbeki évite le regard du spectateur car il ne nous a pas assez parlé durant son mandat. Nous voulions en savoir plus sur ses actions, mais il ne communiquait pas assez avec nous. J’ai l’impression que, durant sa présidence, il n’a pas fait tout ce qu’il aurait pu faire. Il a certainement manqué l’opportunité de faire avancer notre société.
Dans votre toile, l’humanité de Nelson Mandela est réduite à son expression la plus simple - son corps nu. Pensez-vous qu’il a été trop longtemps mythifié ?
Y. D. : Oui, j’ai voulu montré aux gens que Nelson Mandela est avant tout un être humain comme vous et moi. La plupart du temps, les gens le considèrent comme un demi-dieu, mais il n’en est pas un. Comme nous, un jour, il va mourir et nous devons nous y préparer. Le public qui vient à ma rencontre l’a bien compris, ce qui me laisse penser que j’ai fait avancer les choses.
La réaction de l’ANC, le parti au pouvoir depuis 1994, ne s’est pas fait attendre. Il a fermement condamné votre œuvre d’art et voudrait la censurer. Comment expliquez-vous cela ?
Y. D. : Pour moi, ce tableau n’est pas aussi choquant qu’ils le disent, et leur réaction me paraît disproportionnée. Cette œuvre les dérange car elle les pousse à s’interroger sur leur raison d’être. Aujourd’hui, s’ils le voulaient, ils pourraient l’interdire mais je ne pense pas que ce soit une bonne idée. D’ailleurs, s’ils n’avaient rien dit, je n’aurais pas eu autant de publicité.