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Les combattants d'Al-Qaïda au Maghreb islamique passés au crible d'experts en terrorisme

Les images exclusives de FRANCE 24 montrant la vie quotidienne de militants d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) suscitent l'intérêt d'experts en terrorisme. Cette vidéo semble illustrer la nouvelle stratégie de propagande de l'organisation.

Des images exclusives, obtenues par France 24, témoignent de la vie quotidienne de combattants d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi) dans le désert du Sahara. Ce document rare, qui montre des combattants jeunes et détendus vivant presque dans une ambiance de colonie de vacances, pourrait traduire la nouvelle stratégie de propagande de l’organisation terroriste, selon des experts.

"Ce document a été filmé par un militant d'Aqmi, précise Albert Ripamonti, directeur adjoint de la rédaction de France 24. Il a passé plusieurs mois, voire plus, avec ces combattants, puis a fait défection. Il a été arrêté lors d'un banal contrôle de police. Les forces de sécurité ont trouvé cette cassette sur lui. Leur authenticité est confirmée. Je ne peux pas en dire plus sur l'endroit où il a été arrêté, pour des raisons de sécurité."

Sur cette vidéo de plus d'une quarantaine de minutes, le groupe d'hommes, autonome en eau et en carburant, se déplace en pick-up. Tous s'amusent à se bagarrer dans les dunes, dans un oued en crue... Peu de scènes de prière, et aucune de combat, apparaissent à l’écran, en revanche. De nombreuses nationalités sont représentées : "Il y a des Marocains, des Mauritaniens... Mais ceux qui donnent des ordres, dans ce document, sont des Algériens", ajoute Albert Ripamonti.

Un document de propagande ?

"Je confirme que c'est un document exceptionnel car, jusqu'à présent, nous n'avions que des documents filmés essentiellement dans des forêts de Kabylie, en Algérie, juge Mathieu Guidère, spécialiste des mouvements radicaux et auteur d’'Al-Qaïda à la conquête du Maghreb'. Ce type de productions s'inscrit dans la nouvelle stratégie qui a été mise en place par l'un des bras droits du chef d'Aqmi, qui a modifié la propagande au sein de l'organisation. Il a dit que le jihad ne devait plus apparaître comme barbant et a essayé de le rendre plus attractif, notamment pour les jeunes."

Si ces images avaient une visée de propagande interne, elles sont ici à l'état brut et n'avaient pas encore été validées par le "comité médiatique" d'Aqmi. "Il n'y a pas, ici, la dimension de combat, de puissance, de hiérarchie et de religiosité que l'organisation aime mettre en avant. Si cette vidéo devait être utilisée à des fins de propagande, elle aurait certainement dû être complétée par d'autres images", confirme Anne Giudicelli, directrice de Terrorisc.

Si l'essentiel des hommes semblent être de jeunes recrues, des chefs historiques d’Aqmi apparaissent également dans cette vidéo. Parmi eux, l'Algérien Mokhtar Benmokhtar et "Moussa", un artificier qui a perdu une main et une partie de la vue en maniant des explosifs.

"On voit le regroupement d'un certain nombre de chefs qui, a priori, ne devraient pas se retrouver au même moment au même endroit, indique Mathieu Guidère. Cela ne me paraît pas fortuit. Ils voulaient sans doute en tirer des images à visée de propagande interne."

"Ils ne croisent jamais personne"

Seuls quelques combattants apparaissent armés de kalachnikovs. Selon Walid Phares, de la National Defense University, aux États-Unis, cette absence d'armes sophistiquées est une marque du professionnalisme de l'organisation. "Quand vous regardez n'importe quel camp d'entraînement, vous ne voyez jamais rien de plus que des AK-47. Ils ne vont pas mettre leurs RPG ou leurs missiles entre les mains de jeunes recrues. Ils fonctionnent comme une armée ou une guérilla régulière", explique-t-il.

Le Français Pierre Camatte nuance, lui, l'impression de liberté de circulation et d'insouciance que ces images peuvent suggérer. Celui-ci a été enlevé par Aqmi au Mali, au mois de novembre 2009. Après trois mois de détention dans des conditions très difficiles, il a été libéré en février. "Nous restions totalement hors des sentiers balisés, explique-t-il. Ces hommes se déplacent avec des GPS, ils connaissent très bien le désert et s'arrangent pour ne jamais croiser personne. Nous étions toujours au fin fond d'une dune, avec des sentinelles... Personnellement, je n'ai assisté à aucun contact avec des populations extérieures."

"L'ambiance, sur ces images, a l'air très détendue, cela n'a rien à voir avec celle qui régnait parmi les groupes qui m'accompagnaient, ajoute-t-il. Chacun avait une mission à accomplir. Ils sont conditionnés par un islam salafiste, c'est-à-dire un islam des origines. Ils ont l'impression de détenir une vérité : c'est ce qui fait leur force."