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"Le renouveau serait de s'assurer que les personnes présentes n'ont rien à se reprocher en matière de droits humains"

, envoyé spécial à Nice – Pour la première fois, un sommet franco-africain s'ouvre à la société civile, même si les ONG défendant les droits de l'Homme n’ont pas été conviées. Entretien avec Jean-Marie Fardeau, responsable du bureau parisien de Human Rights Watch (HRW).

FRANCE 24 - Qu’attendez-vous de ce 25e sommet Afrique-France que Paris présente comme celui du "renouveau" ?

Jean-Marie Fardeau - Pour le moment, rien ne laisse penser que les chefs d’État et de gouvernement prendront en compte les droits humains dans leurs travaux. Or, pour le président français Nicolas Sarkozy, ce sommet devrait être l’occasion de s’engager en faveur de la lutte contre l’impunité en matière de violations graves des droits humains. La présence à Nice de certains dirigeants africains justifierait qu’il évoque publiquement le sujet.

A quels chefs d’État faites-vous allusion ?

J.-M. F. - À l’Équato-Guinéen Teodoro Obiang Nguema ou à l’Érythréen Isaias Afewerki, deux symboles de la répression et des atteintes à la liberté d’expression sur le continent africain. On peut imaginer également qu’en dépit de l’absence du président Omar el-Béchir [sous le coup d’un mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale, l’homme fort de Khartoum n’a pas été invité à Nice], la délégation soudanaise présente ici, à Nice, compte plusieurs donneurs d’ordre coupables de violations des droits de l’Homme. Nous savons que certains individus se rendent à ce genre de sommets internationaux sous de fausses identités. Le "renouveau", ce serait cela aussi : s’assurer que les personnes accueillies le temps du sommet n’aient rien à se reprocher en matière de respect des droits humains.

Quel dossier souhaiteriez-vous que les dirigeants africains abordent avec Nicolas Sarkozy ?

J.-M. F. - Nous aimerions que le général Sékouba Konaté, qui assure l’intérim à la tête de la Guinée, envoie des signaux positifs à propos de l’enquête sur les massacres du 28 septembre 2009 à Conakry. Une délégation d’experts de la Cour pénale internationale (CPI), qui s’est rendue sur place, assure que les autorités guinéennes faisaient tout pour que les responsables de la tuerie soient poursuivis, ce que nous mettons en doute. Deux personnes soupçonnées d’avoir pris part aux massacres ont été nommées au gouvernement.

Nous souhaiterions également que Nice soit l'occasion de régler le dossier concernant l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré, qui se trouve au Sénégal. L'organisation de son procès a été approuvée par l'Union africaine depuis quatre ans, mais Dakar ergote sur des questions de budget pour gagner du temps.

L’invitation lancée à la société civile de participer au sommet de Nice ne constitue-t-elle pas pour vous une avancée ?

J.-M. F. - Cette année, seuls des entrepreneurs et quelques syndicats ont été conviés à participer. Or, certaines entreprises opérant sur le continent le font au détriment des droits de l’Homme. Au deuxième jour du sommet, 80 chefs d’entreprise français qui ont des activités en Afrique devraient signer une charte à travers laquelle, nous dit-on, ils prendront des engagements en matière sociale et environnementale. Mais une fois qu’elle sera adoptée et signée, les pays africains seront-ils en mesure de vérifier si le texte est bien respecté ? Bénéficieront-ils des instruments de contrôle nécessaires pour sa bonne application ?

De fait, nous déplorons l’absence des organisations de défense des droits de l’Homme, même si la présidence française a assuré qu’elles seront présentes lors du prochain sommet franco-africain… qui aura lieu en 2013, en Égypte, un pays qui nourrit une certaine méfiance envers les ONG. Autant dire que les cartons d’invitation ne sont pas près d’être imprimés !