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En France, un climat lourd pèse sur le "Grenelle 2"

Les députés planchent sur un projet déclinant les objectifs environnementaux fixés il y a 18 mois lors du Grenelle de l'Environnement. Mais entre-temps, plusieurs mesures phares ont été, sinon abandonnées, du moins reportées ou revues à la baisse.

L’esprit de consensus s’est passablement détérioré depuis 2009 et le vote, à la quasi-unanimité, de la loi relative à la mise en œuvre du Grenelle de l’Environnement. À partir de ce mardi, Les députés français examinent un projet de loi dit "Grenelle 2", déjà entériné au Sénat. Il s’agit d’un texte "portant engagement national pour l’environnement", autrement dit un document déclinant les objectifs fixés par la première loi. Le texte fixait alors les grandes orientations dans six domaines différents (bâtiment, transports, développement de l'agriculture bio et protection de la biodiversité, gestion des déchets et gouvernance de l'environnement), conformément au "New Deal écologique" souhaité par le président Nicolas Sarkozy dès 2007.

Cette fois-ci, le débat législatif s’annonce houleux. Près de 1 600 amendements ont été déposés, pour un projet de loi comptant 104 articles. Pointant "l’abandon des ambitions" du Grenelle, le président du groupe socialiste à l’Assemblée, Jean-Marc Ayrault, a déclaré que les députés socialistes étaient "partis pour voter contre" ce "mauvais texte". Et même si le leader d'Europe Ecologie, Daniel Cohn-Bendit, a invité les écologistes à être "plus lucides dans le débat", la plupart rejettent le texte en bloc. De son côté, le ministre de l’Écologie, Jean-Louis Borloo, affirme sa "confiance" dans le processus et répète, comme il l’a dit mardi au quotidien "Les Échos", que, "sur l’écologie, il n’y a aucun recul politique". Plusieurs sujets méritent pourtant de faire l'objet d'une analyse plus nuancée.

Les avancées du Grenelle

Tous les sujets ne fâchent pas, et le Grenelle de l’environnement a également débouché sur des avancées notables, tels que le bonus-malus écologique pour les nouvelles voitures, les performances énergétiques des bâtiments ou encore le renforcement de la surveillance de la qualité de l’air. Un premier bilan officiel est consultable sur le site du Grenelle de l’environnement.

Les mesures abandonnés ou reportées

La taxe carbone. L’abandon de la taxe carbone destinée à "encourager les comportements sobres en carbone et en énergie" a, pour beaucoup, sonné le glas du Grenelle de l’environnement. Elle a en tout cas donné un signal négatif à l’opinion.

L'écotaxe sur les poids lourds. "Une écotaxe sera prélevée sur les poids lourds à compter de 2011 à raison du coût d'usage du réseau routier national (…) et des voies des collectivités territoriales susceptibles de subir un report de trafic", était-il écrit dans la loi dite Grenelle 1. Cette mesure, qui devait financer les projets d'infrastructures de transport, ne figure plus dans le texte soumis au vote des députés. Le ministère de l’Environnement assure qu’elle est simplement reportée en raison de "contraintes techniques" dues au déploiement du système. Toutefois, celle-ci ne sera pas mise en œuvre avant la fin de 2012, année de l’élection présidentielle.

L'étiquetage vert. Initialement prévu dans la version du "Grenelle 2" adoptée par le Sénat, le projet d’un étiquetage vert a été abandonné en cours de route. À partir du 1er janvier 2011, le consommateur devait être informé "du contenu en équivalent carbone" des produits et de leurs emballages, ainsi que "de la consommation de ressources naturelles ou de l’impact sur les milieux naturels qui sont imputables à ces produits au cours de leur cycle de vie". Dans la mouture présentée aux députés, le texte a évolué ainsi : "À partir du 1er juillet 2011, et après concertation avec l’ensemble des acteurs des filières concernées, une expérimentation est menée, pour une durée minimale d’une année, afin d’informer progressivement le consommateur par tout procédé approprié, du contenu en équivalent carbone des produits et de leur emballage (…)". Il n’est donc plus question que d’expérimentation. Un bilan évaluera l’opportunité d'une généralisation du dispositif.

Les péages urbains. L’idée d’une expérimentation d’un péage urbain, comme il peut en exister à Londres pour limiter l’usage de la voiture et la pollution, avait été entérinée par les sénateurs dans le projet de loi "Grenelle 2". Les agglomérations de plus de 300 000 habitants volontaires pouvaient, sous conditions, tester le système. Telle était la teneur d'un article qui a été supprimé dans la mouture soumise au vote des députés, le texte ayant été retoqué en commission législative. En octobre 2007, lors d’un discours prononcé au moment de la restitution des conclusions du Grenelle de l’Environnement, Nicolas Sarkozy avait pourtant déclaré : "Nous donnerons plus de liberté aux collectivités locales pour décider de leur propre politique environnementale. Il leur appartiendra, par exemple, de librement décider de la possibilité de créer des péages urbains ... "

Les ambitions revues à la baisse

Les éoliennes. Le sujet s’annonce comme l’un des plus polémiques du "Grenelle 2". À tel point que l’UMP a renoncé à l’une des dispositions contestées de ce chapitre, quelques heures à peine avant l’ouverture des débats à l’Assemblée. Voté fin mars en commission des Affaires économiques, un amendement obligeait en effet à concentrer les éoliennes dans des zones de production d'au moins cinq mâts et d'une puissance d'au moins 15 mégawatts. Ce dernier seuil a été supprimé afin "d'éviter le mitage" et de "respecter les paysages", selon le député UMP Patrick Ollier. En l’état actuel du projet de loi, les éoliennes seront par ailleurs soumises au régime des installations classées pour l'environnement (ICPE), au même titre qu'un site industriel dangereux comme une usine chimique, à partir de 2011. Autant de dispositions qui, pour les défenseurs de l'environnement, limitent l'utilisation de l'énergie éolienne et vont donc à l’encontre de l’objectif fixé par le Grenelle de l’Environnement qui fixait à 23 % la part des énergies renouvelables dans la consommation finale d’énergie.

Les pesticides. Dans le chapitre "biodiversité" du "Grenelle 2", nulle trace de la demande formulée en 2007 par Nicolas Sarkozy à son ministre de l’Agriculture d’alors, Michel Barnier. Le président appelait de ses vœux un plan de réduction de 50 % de l’usage des pesticides, "si possible dans les 10 ans qui viennent". Aujourd'hui, sont seulement évoqués une interdiction de la publicité sur les pesticides pour les jardiniers amateurs ainsi qu’un renforcement de l'encadrement des produits phytosanitaires. Il faut dire qu’un rapport parlementaire intitulé "Pesticides et santé" est venu à point nommé mettre en garde contre une diminution "trop brutale" de l'utilisation des pesticides en France. Publié mercredi dernier, il rappelle que la France est la première en Europe pour la consommation de pesticides mais que leur usage est "très sérieusement limité et encadré". Tout en affirmant "qu’aucune étude scientifique n'est en mesure aujourd'hui de faire chez l'homme un lien entre la consommation d'aliments issus de l'agriculture conventionnelle qui utilise des produits phytopharmaceutiques et la survenue de maladies", le rapport affirme que diminuer l’usage de pesticides ferait courir des risques au secteur agricole.