King Mensah était à Paris début avril pour enregistrer son sixième album. Très engagé socialement, le plus populaire des chanteurs togolais revient sur la situation de son pays qui célèbre, le 27 avril, le cinquantenaire de son indépendance.
Le musicien King Mensah, de son vrai nom "Mensah Mensah", est né dans une famille modeste de six enfants dans le quartier de Bè Kpota, à Lomé, la capitale togolaise. Fils d'un chanteur traditionnel, sa musique s'inspire de la culture africaine, qu'il mêle à la technologie occidentale. A 38 ans, après cinq albums, dix ans passés en France et quelques autres aux États-Unis, c'est dans son pays qu'il espère changer les choses. Chaque année, il offre un concert gratuit aux Togolais, à Lomé. Aujourd'hui, King Mensah dit ne croire ni au régime au pouvoir ni à l'opposition. En 2005, le musicien a ouvert un orphelinat qui s'occupe de 25 enfants.
FRANCE 24 - Vous n'étiez pas né au moment de l'indépendance du Togo. Qu'est-ce que la date du 27 avril 1960 évoque pour vous ?
King Mensah - Une date comme une autre. En 50 ans, il y a eu de bonnes choses, mais il y a encore beaucoup de travail. Je pense que ce 27 avril doit être notre nouveau départ, notre nouvelle indépendance. Mon père est mort il y a 25 ans, mais si on le réveille aujourd'hui dans sa tombe, il pourra rentrer à la maison sans avoir à demander le chemin à personne. Il n'y a pas eu beaucoup de changements ! Cela ne veut pas dire que les politiques n'ont rien fait du tout, mais il y a eu plus de choses négatives que positives.
Qu'est-ce qu'on entend par indépendance ? Pour moi, c'est être libre, arriver à réaliser les choses soi-même. Ne pas être toujours les mains tendues vers les autres.
"Je suis plus indépendant que mon propre pays !"
F24 - Quels sont les principaux problèmes du Togo ?
K. M. - En 50 ans, la situation s'est beaucoup dégradée. Aujourd'hui, les femmes meurent à l'hôpital parce qu'elles ne peuvent pas se payer une césarienne ! Quand j'étais enfant, à l'école, quand on avait mal à la tête, on nous donnait directement un comprimé. On allait à l'hôpital gratuitement. Aujourd'hui, on paie tout de la tête aux pieds. Si tu n'as pas d'argent, tu meurs.
L’éducation est aussi toujours un problème. Il y a deux ans, ils ont rendu l'école primaire gratuite, mais ils ont oublié de construire des écoles supplémentaires. Maintenant, ils sont au moins 80 par classe !
F24 - Quels sont les espoirs et les difficultés de la jeunesse ?
K. M. - Le regard des jeunes se tourne vers l'Europe et l'Amérique. Je dis souvent que le seul opposant que l'on a au Togo, c'est la misère. Les jeunes ont un diplôme, mais pas de travail. Les gens font deux ou trois enfants, mais ils n'ont pas les moyens de les envoyer à l'école... Tout ça pousse la population à être dans la rue, à manifester. Si un jour on dit qu'il n'y a plus besoin de visa pour aller en Europe ou aux États-Unis, le lendemain il n'y aura plus que le gouvernement au Togo ! Tous les jeunes veulent partir.
Ce n'est pas la solution, mais il faut qu'il y ait des choses à faire ici pour qu'ils restent. Pourquoi croyez-vous que les gens manifestent au Togo ? Ce n'est pas parce qu'ils en ont marre du président actuel. C'est parce qu'ils en ont ras-le-bol de ne pas pouvoir se soigner, de ne pas pouvoir aller à l'école, de ne pas avoir de travail.
"Les valeurs ne sont plus les mêmes qu'avant"
F24 - Quel bilan tirez-vous de l'élection présidentielle qui a eu lieu le 4 mars ?
K. M. - Elle s'est bien passée. Avant l'élection, avec une dizaine d’artistes, on a organisé un grand concert qui a réuni 60 000 personnes. Le thème, c’était "des élections sans violences". Et pour la première fois depuis des années, on a organisé une élection et le sang n'a pas coulé. Pour moi, c'est une réussite. Après, que l'élection ait été "volée" ou non, je n'en sais rien. Les gens qui manifestent doivent avoir leurs raisons.
F24 - Quel rôle les artistes peuvent-ils jouer ?
K. M. - Je pense que nous, les artistes, devons rester à l'écart de la politique et, lorsqu'il y a un problème, faire face aux gens pour leur dire "ne cassez pas, ne jetez pas des pierres, soyons ensemble, le pays souffre". Mais, cette année, beaucoup d'artistes ont composé des chansons pour les candidats... Ce n'est pas parce qu'on nous propose 2 ou 3 millions de francs CFA [3 000 euros] que l'on doit commencer à dire que tel ou tel homme politique est bien.
Chacun doit se demander : qu'est-ce que je peux faire pour changer le pays ? Mon orphelinat par exemple, ce n'est pas pour montrer que j'ai de l'argent. C'est juste une façon de dire aux gens que même sans beaucoup de moyens, on peut régler des problèmes. Sans attendre toujours l'aide du gouvernement, ou de l'Union européenne, ou des Américains...
"Je me sens plus vivant depuis que j'ai mon orphelinat"
F24 - Qu'est-ce qui distingue le Togo de ces voisins ?
K. M. - On ne peut pas comparer le Togo avec le Bénin, le Ghana, le Burkina Faso. Tous ces pays nous ont largement dépassés. Les césariennes sont gratuites au Bénin. Là-bas l'école est aussi gratuite depuis beaucoup plus longtemps... Ces trois pays qui ont évolué peuvent pousser le Togo à se lever. Le parti au pouvoir et les opposants sont responsables de notre retard. Heureusement qu'il y a des artistes et des footballeurs qui font le nom du pays... Même si on n'a pas de chance non plus dans le foot...
F24 - Aujourd'hui, avez-vous espoir que les choses changent ?
K. M. - J'ai un peu peur de devoir faire le même bilan dans 50 ans. Depuis la présidentielle, il y a des manifestations chaque samedi au Togo. C'est la preuve qu'il y a un problème ! Est-ce que le nouveau départ dont je parle va avoir lieu le 27 avril ? Je n'en sais rien. On prie.
Le moteur du changement, ce doit être le gouvernement. Le président est comme le père du pays. Le soir, avant d'aller se coucher, il doit se demander si tous ses enfants ont mangé. Si oui, il peut boire son champagne et dormir tranquille. Sinon, il doit se demander comment faire pour qu'ils mangent le lendemain. Si tout le monde peut aller à l'école, avoir un emploi, ça ira.
A cappella... en dialectes Mina et ewé