En suspendant l'exécution de Skinner, la Cour suprême américaine offre une nouvelle victoire à un groupe d'étudiants en journalisme de Chicago. En traquant les erreurs judiciaires, ces apprentis reporters permettent à des hommes d'échapper à la mort.
A peine une heure avant l'exécution par injection mortelle de Henry "Hank" Skinner au Texas le 24 mars, la Cour suprême américaine a suspendu l'exécution, offrant au condamné pour meurtres un sursis temporaire. Une école de journalisme atypique, qui scrute la justice américaine et l'application de la loi depuis plus de dix ans, remporte avec cette décision une nouvelle victoire.
Le Medill Innocence Project a été créé à Chicago en 1999, au sein de l'école de journalisme Medill de la Northwestern University. Les étudiants y bénéficient d'une expérience de journalisme d'investigation de première main, en enquêtant sur les possibles erreurs judiciaires sous la supervision de leur directeur, David Protess.
Parmi les 50 cas dont le projet s'est saisi, 11 ont conduit à des disculpations, dont 5 pour des personnes condamnées à la peine capitale. De sérieuses preuves de culpabilité ont été trouvées dans deux cas ; les autres affaires sont en train d'être révisées par le système judiciaire ou ont été non conclusives.
Le travail de ce projet à but non-lucratif est un tel succès que lorsque le gouverneur de l'Illinois George Ryan, un ancien partisan de la peine de mort, a décrété un moratoire sur les exécutions en 2000, il a salué le travail de ce programme universitaire, indiquant que celui-ci avait largement influencé sa décision.
Les images filmées devant les palais de justice sont devenues étonnament familières : des condamnés à la peine capitale, disculpés, serrent dans leurs bras David Protess, au milieu des clameurs de joie de ses étudiants. Il n'est pas rare de voir ces hommes, pourtant endurcis par des années de détention, pleurer de gratitude.
Un étudiant regarde le prisonnier dans les yeux, un autre prend des notes
Le Medill Innocence Project s'est saisi du dossier de Skinner il y a dix ans. Ancien employé dans le secteur du pétrole et du bâtiment, Skinner a été condamné à mort pour le triple meurtre, en 1993, de sa compagne et de ses deux enfants dans leur petite maison de Pampa, au Texas. Emily Probst, actuellement réalisatrice de sujets d'investigation à CNN, est l'une des étudiantes à avoir fait, à l'époque, le voyage de Chicago au Texas pour rencontrer Skinner.
"J'ai rencontré Skinner pour la première fois lorsque Pam Smith [une autre étudiante] et moi sommes allées au Texas,” indique Probst dans une interview téléphonique avec FRANCE 24. "Nous avons pris beaucoup de notes. Je gardais le contact visuel avec Skinner et Pam notait. Nous avons ensuite ramené nos notes à nos collègues." L'équipe était constituée de 8 étudiants, qui ont depuis été diplômés et travaillent pour différents médias.
"Apprendre que le Père Noël n'existe pas"
Après la première visite, les autres membres de l'équipe se sont rendus au Texas. Les étudiants ont relevé de nombreuses irrégularités. "Mes étudiants ont effectué deux visites sur la scène du crime", a déclaré Protess à FRANCE 24. "Selon notre enquête, il y a de sérieux problèmes dans le dossier contre Skinner."
Parmi les zones d'ombres, la présence d'un autre homme suspecté de meurtre - un témoin-clé du jugement qui a rétracté son témoignage - et l'ADN qui a été collecté par les enquêteurs mais n'a jamais été testé. La question de ce test ADN a été l'élément décisif qui a permis à Skinner d'obtenir un sursis de la Cour suprême américaine.
En se remémorant cette expérience universitaire exceptionnelle, Probst assure : "J'avais l'impression d'être au cinéma. C'était tellement surréaliste de se dire que c'était à nous, étudiants, de nous saisir du dossier d'un homme qui était dans le couloir de la mort.... On grandit en pensant que le système, créé par des adultes, fonctionne. Réaliser à cet âge-là que ce n'était pas le cas a été une véritable révélation. C'était comme de découvrir que le Père Noël n'existait pas." Le Projet Innocence lui a appris à "creuser plus profond pour chercher la vérité", ajoute-t-elle.
Valider une thèse préconçue ?
Si les étudiants de Protess ont été largement salués pour avoir aidé à dévoiler la vérité, des critiques sont récemment venues d'une direction inattendue. L'un des cas dont s'est saisi le projet est celui d'Anthony McKinney, condamné à la prison à vie pour le meurtre, en 1978, d'un agent de sécurité de Chicago.
Quand les découvertes des étudiants de Medill ont conduit le cas devant un tribunal de Chicago, le procureur général a répondu en demandant à avoir accès aux notes des étudiants et à leurs emails. Le bureau du procureur affirme que l'objectif de cette assignation est "d'explorer tous les éventuels biais, intérêts ou motifs", les plaignants considérant que les étudiants du Projet cherchent des témoins pour valider une thèse préconçue - celle de de l'innocence des accusés - afin d'obtenir de bonnes notes.
Une accusation que plusieurs anciens étudiants jugent absurde. "Aucun d'entre nous ne participait à ce programme pour les notes, assure Probst. Nous étions là pour l'expérience et, pour utiliser un cliché, pour faire la différence. Ces accusations sont une honte."
L'un des critères de sélection des dossiers par le Projet est que le prisonnier doit clamer son innocence. Les cas qui impliquent des arguments légaux tels que l'autodéfense, la coercition ou la violence domestique ne sont pas éligibles. Le Projet n'a d'ailleurs pas toujours conclu à l'innocence, certains cas apportant la preuve solide de la culpabilité des accusés.
Le Medill Innocence Project a engagé deux avocats pour annuler l'assignation sur la base de l'immunité des journalistes, de la pertinence et de leur vie privée. Le dossier a été déposé en août 2009 et est toujours en cours.