Près de 2 millions de réfugiés irakiens vivraient actuellement au Moyen-Orient, dans des pays où ils n'ont pas le droit de travailler et ne disposent d'aucun statut légal. Rentrer chez eux ? Ils ne l'envisagent pas, préférant rêver d'un ailleurs.
L’heure du rush est passée. En ce début d’après-midi de décembre, ils ne sont plus qu’une dizaine à attendre dans un hangar, devant les six guichets du centre d’enregistrement des Nations unies, à Damas. Assise sur un banc, Hana, une chrétienne irakienne de 39 ans arrivée en Syrie pour la première fois en 2003, fuyant "les rafles, les perquisitions quotidiennes, les assassinats arbitraires".
Rentrée cinq ans plus tard à Bagdad, elle n'y est restée que quelques mois, avant de reprendre le chemin de Damas. "En ville, la situation actuelle n’a rien à voir avec ce que l'on veut bien nous dire. En réalité, il y a toujours des explosions, des kidnappings, des menaces. L’électricité est coupée 24 heures sur 24 et il n’y a aucun service public." Son frère, chez qui elle vivait avant son départ, a quitté la capitale irakienne pour le nord du pays, plus calme.
"Retourner en Irak ? Jamais !"
Après ce qu’elle a vu là-bas, Hana assure qu’elle ne retournera jamais dans son pays. Elle n’a plus aucune économie et espère que les Nations unies pourront l’aider. "J’ai le moral en dessous de zéro", confie-t-elle.
Le centre onusien de Douma, ouvert en 2007 à une vingtaine de kilomètres de la capitale syrienne, est le plus grand centre d'enregistrement de réfugiés au monde. "D’habitude, un centre, c’est une tente et quelques tables, explique Dalia al-Achi, de la cellue d'information du Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) à Damas. Celui-là est très bien équipé." En 2007, ils étaient jusqu’à 10 000 à affluer aux comptoirs chaque jour. Depuis 2008, quelque 1 000 familles par mois continuent de venir s’enregistrer.
Aujourd’hui, Hana vit avec une amie irakienne à Jaramana, l’un des "quartiers irakiens" de Damas. Restaurants irakiens, stars irakiennes en vitrine des magasins de musique, banques, immeubles en construction… En ce milieu d’après-midi, la rue principale est paralysée par les embouteillages. "En quelques années, ce quartier a complètement changé de visage, assure Dalia al-Achi. Autrefois calme, il est maintenant très vivant. L'arrivée des réfugiés irakiens a complètement modifié le paysage."
{{ scope.legend }}
© {{ scope.credits }}Autre pays, mêmes histoires. Un immeuble du quartier de Roueiss, dans la banlieue sud de Beyrouth. Bouchra a quitté l'Irak il y a sept ans pour fuir les milices et les menaces de kidnapping. Elle vit seule avec ses cinq enfants ; sa fille de 20 ans a pu partir aux États-Unis. Elle rêve de la rejoindre là-bas, mais son dossier a été refusé par l'ONU. Coiffeuse en Irak, Bouchra a travaillé plusieurs années comme concierge, avec son fils aîné, au Liban. Aujourd'hui, elle n'a plus aucune ressources. "Je suis obligée de mendier à la porte de la mosquée, raconte-t-elle, au bord des larmes. Deux de mes enfants ont des problèmes de vue depuis la guerre de juillet 2006, mais je ne peux pas leur payer d'opération. C’est la misère. Chaque jour, je me dis que, demain, ça ira mieux. Mais, en fait, c'est de pire en pire."
Exploitation, dépression, prostitution
Le nombre de réfugiés irakiens au Moyen-Orient reste sujet à caution. Si quelque 260 000 d'entre eux sont enregistrés auprès des Nations unies en Syrie et 10 000 au Liban, les gouvernements et certaines associations évaluent à près de deux millions leur nombre dans la région. Partout, les Irakiens restent des citoyens de seconde zone : sans statut légal, ils se voient dans l'interdiction de travailler. La Syrie, comme le Liban et la Jordanie, ne sont signataires d'aucun traité sur la protection des réfugiés. À Beyrouth, un rapport de l'ONG Human Rights Watch, intitulé : "Pourrir ici ou mourir là-bas", dénonçait en 2007 l'arrestation et la détention de réfugiés, considérés comme des "immigrants illégaux".
Hausse du travail des enfants, baisse du nombre d’enfants scolarisés, exploitation des réfugiés employés de façon illégale, mariages forcés et violences conjugales… Après des années d'exil, les organisations humanitaires s'inquiètent de la détérioration de leurs conditions de vie. À Damas, les cliniques qui accueillent ces populations sont pleines à craquer tous les jours et les cas de maladies chroniques, cardiaques, de diabète, d'hypertension mais aussi de dépression se multiplient. Quant à la prostitution, elle est, elle aussi, en plein boom.
"Les économies des réfugiés s’épuisent et, comme ils n’ont pas le droit de travailler, certains sont contraints de prendre des décisions très difficiles, envisager des solutions indignes auxquelles ils n’ont jamais pensé aupavant, précise Dalia al-Achi. C'est une population frustrée, fatiguée, déprimée, mais digne et très forte. La crise est toujours là !"
Dans leur immense majorité, ces réfugiés n'envisagent aucunement de rentrer en Irak. Le retour massif annoncé il y a deux ans n'a pas eu lieu : en Syrie, moins de 300 familles ont souscrit au programme de rapatriement volontaire des Nations unies, lancé fin 2008. Sans espoir de revenir sur leur terre, sans avenir ni véritable foyer dans leurs pays d'accueil, beaucoup regardent vers l'étranger. Un rêve difficile à réaliser : moins de 5 % des réfugiés ont une chance de se voir proposer une réinstallation dans un pays-tiers par l'ONU.
Alors, les élections du 7 mars ? Pour beaucoup de réfugiés, appelés à voter depuis l'étranger, elles suscitent peu d'espoir. "Les élections ne vont rien changer à la situation en Irak, assure Bouchra. Il y a de plus en plus de bombes. Comment la situation peut-elle s’améliorer ?"
it