Né à l’aube des premières indépendances, le concept des Etats-Unis d’Afrique a suscité bien des espoirs sur un continent qui se libérait du joug colonial. Avant de s’enliser peu à peu dans les querelles de chefs...
Asmara, Erythrée. Dynamique capitale fédérale d’un continent prospère. Le business y est florissant, la jeunesse insouciante. Les multinationales y ont semé un peu partout leurs prestigieuses enseignes. Les fast-foods McDiop y côtoient les cafés Sarr Mbock, où les jeunes actifs ont coutume de s’arrêter déguster une glace Hadj Daas. Bienvenue aux Etats-Unis d’Afrique. Une fédération continentale qui pèserait de tout son poids sur l’ordre du monde si elle n’était née de la plume du romancier djiboutien Abdourahman A. Waberi (1).
Plus d’un demi-siècle après les 6e et 7e conférences panafricaines (1953 et 1958) durant lesquelles le premier dirigeant du Ghana indépendant, Kwame Nkrumah, prôna la création d’un gouvernement continental central, les Etats-Unis d’Afrique relèvent encore de la politique-fiction. Dans un continent rythmé par les coups d’Etat (Mauritanie, Guinée, Madagascar, Niger…), les guerres civiles (Soudan, Somalie…), les conflits post-électoraux (Togo, Kenya, Zimbabwe…), les différends frontaliers (RD Congo-Ouganda, Erythrée-Djibouti…) et les changements constitutionnels destinés à maintenir un président au pouvoir (Algérie, Burkina Faso, Niger…), difficile d’imaginer 53 dirigeants accomplir, dans un avenir proche, le rêve des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine (OUA).
"Le projet traîne car il y a trop d’intérêts divergents, observe Samy Ghorbal, journaliste indépendant et spécialiste des affaires africaines. Les Etats-Unis d’Afrique avaient un sens au lendemain des indépendances car ils s’inscrivaient dans une perspective tiers-mondiste. Mais aujourd’hui la plupart des pays du continent se sont convertis à l’économie de marché, c’est donc tout le concept qu’il faut retravailler en amont."
Nombre de leaders africains ne l’entendent cependant pas de cette oreille. Au premier rang desquels le Libyen Mouammar Kadhafi. Exclu de la scène internationale, l’autoproclamé "roi des rois traditionnels d’Afrique" n’a pas ménagé ses efforts pour promouvoir l’unité d’un continent dont il entend faire son nouveau terrain de jeu. Mais l'homme fort de Tripoli est pressé. Et milite en faveur d'une constitution immédiate des Etats-Unis d'Afrique. Avec un succès mitigé.
"Les pays d'Afrique australe attachés à leur souveraineté"
S’il est parvenu, en 2000, à convaincre ses pairs de transformer l’OUA en une Union africaine (UA) plus apte, selon lui, à accélérer le processus d’intégration, le colonel libyen s’est de nombreuses fois heurté aux réticences des pays de l’Afrique australe - l’Afrique du Sud en tête -, partisans d’une approche graduelle. "Ces pays ont acquis leur indépendance tardivement. Ils sont encore jeunes et ne veulent pas sacrifier leur souveraineté, à laquelle ils sont très attachés, sur l’autel de l’unité africaine", explique Samy Ghorbal.
Pour jeunes qu’ils soient, ces Etats ne manquent pas d’arguments et de persuasion. En juillet 2007, lors du sommet d’Accra censé définir un calendrier pour la création d’un gouvernement central, ils réussissent à bloquer toute velléité unioniste du camp emmené par Kadhafi et le président sénégalais, Abdoulaye Wade. Après trois jours de débats houleux et de conciliabules, la mise sur les rails du projet est renvoyée aux calendes africaines. Pour les " gradualistes", l’unité du continent passe d’abord par un renforcement des organisations d’intégration régionale qui, à l’image de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) ou de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC), peuvent garantir croissance, paix et stabilité aux quatre coins du continent.
Panafricanistes "maximalistes" contre panafricanistes modérés. La querelle ne date pas d’hier. En 1963, déjà, l’accouchement - douloureux - de l’OUA avait opposé leaders radicaux (le Ghanéen Kwame Nkrumah, le Guinéen Sékou Touré) aux tenants d'une avance progressive (le Sénégalais Léopold Sédar Senghor, l’Ivoirien Félix Houphouët-Boigny).
"Dans le fond, tout le monde est d’accord avec l’idée des Etats-Unis d’Afrique. C’est la méthode qui divise, affirme Samy Ghorbal. La plupart des chefs d’Etat ne veulent pas se précipiter. Mais pour ne pas contrarier Kadhafi les pays d’Afrique de l’Ouest préfèrent se taire et laisser les voisins d’Afrique australe aller au front. C’est un ballet bien réglé." Un ballet qui, s’il ne trouve aucun chorégraphe capable de lui composer une fin, risque d’épuiser ses danseurs.
(1) "Aux Etats-Unis d’Afrique", éd. JC Lattès, 2006.