
Une femme tient des rubans rouges symbolisant la lutte contre le Sida avant le lancement d'une campagne contre le VIH à Dhaka, au Bangladesh, le 25 mai 2007. © Pavel Rahman, AP
Alors qu'elle avait bon espoir d'éradiquer la pandémie d'ici 2030, l’Onusida alerte : la réponse mondiale au VIH subit "un revers d’une ampleur inédite".
Hausse des infections chez les jeunes, diagnostics trop tardifs, financements en chute libre… Alors que l’épidémie se transforme, les idées reçues, elles, perdurent. De la supposée toute-puissance de la PrEP à l’idée que le VIH ne concernerait plus l’Europe, France 24 passe au crible les mythes qui freinent encore la prévention.
Mythe 1 : "La PrEP suffit, plus besoin de préservatif"
Acronyme de l'anglais "pre-exposure prophylaxis" (prophylaxie pré-exposition), la PrEP est une stratégie innovante de prévention du VIH qui s'adresse aux personnes qui n'ont pas le VIH, afin d'éviter de se contaminer.
Le traitement, qui consiste en la prise d'un médicament, doit démarrer avant un éventuel contact avec le virus, et se poursuivre après.
Rendue accessible en 2016, la PrEP a révolutionné la prévention du VIH. Mais si cet outil a été validé sur son efficacité, sa montée en puissance s'est accompagnée d'un malentendu : l'idée qu'elle remplacerait complètement l'usage du préservatif.
Résultat : plusieurs pays européens constatent une baisse continue du préservatif chez les moins de 30 ans, associée à une hausse des diagnostics de VIH dans cette tranche d'âge.
Selon les derniers chiffres, publiés le 25 novembre par Santé publique France, entre 2014 et 2023, le nombre de 15-24 ans diagnostiqués séropositifs a augmenté de 41 %.
Une tendance similaire pour les infections sexuellement transmissibles (IST) bactériennes étudiées (syphillis, chlamydiose et gonococcie), qui laisse penser que les "jeunes" entamant leur vie sexuelle utilisent moins les préservatifs que ne le faisaient leurs aînés.
"Parmi les hypothèses, on pense que les traitements comme la PrEP peuvent laisser penser, à tort, qu’il n’y a plus besoin de préservatif pour se protéger, expliquait à Libération András Költo, co-auteur d'un rapport du Conseil économique, social et environnemental publié en 2024. Bien souvent, ne pas utiliser de préservatif n’est pas lié à de l’irresponsabilité mais au fait qu’on ne se sente pas menacé si on s’en passe."
La PrEP est un outil essentiel, mais elle ne suffit pas. Elle nécessite un suivi médical, un dépistage régulier des IST et doit s'accompagner d'une pédagogie claire pour éviter la fausse impression d'immunité totale.
Mythe 2 : "Le VIH se transmet seulement via le sexe à risque"
Ce mythe repose sur une vision morale et fausse du VIH : il suffirait d'avoir une vie sexuelle "raisonnable" pour être en sécurité.
Le principal problème aujourd'hui n'est pas la prise de risque, mais le diagnostic tardif, qui signifie que certaines personnes transmettent le VIH sans savoir qu'ils sont séropositifs.
En France, plus de 5 000 nouveaux diagnostics sont enregistrés chaque année, avec une augmentation des diagnostics tardifs : des personnes qui découvrent leur séropositivité à un stade déjà avancé, après une ou plusieurs années d'infection, souvent sans symptôme apparent. Malgré 7,5 millions de sérologies réalisées en 2023, le pays reste loin d'un dépistage systématique suffisant pour éliminer les cas non détectés.
Pourtant, le VIH touche aussi des femmes hétérosexuelles en couple stable, mais dont le partenaire n'est pas dépisté, des seniors très peu ciblés par la prévention, des jeunes dont le dépistage post-Covid a chuté, des personnes victimes de violences sexuelles, et plus globalement des personnes ignorant leur statut sérologique (environ 20 % en Europe).
La majorité des contaminations dans les pays riches ne sont pas dues à un "comportement à risque", mais à un manque d'information, à l'absence de dépistage régulier et à une mauvaise compréhension des outils de prévention (préservatif, PrEP...).
Par ailleurs, la transmission mère-enfant en l'absence de suivi concerne encore 110 000 cas par an dans le monde, selon les chiffres 2023 de l'OMS.
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Mythe 3 : "Le VIH ne concerne plus l'Europe, la France, les pays riches"
Dans l'imaginaire collectif, le VIH demeure associé aux années 80-90, ou limité aux pays du Sud.
Si on estimait, fin 2024, que 65 % des plus de 40 millions de personnes vivant avec le VIH provenaient d'Afrique, les données les plus récentes montrent tout de même que le VIH progresse dans certaines populations en Europe, notamment les 15-24 ans. Elles concernent notamment les personnes issues de la migration, la moitié des "jeunes" ayant découvert que leur séropositivité était née en Afrique subsaharienne, selon le rapport de Santé publique France. Sont également touchés les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes, et les femmes hétérosexuelles non dépistées.
De nouvelles données publiées par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et le bureau régional de l'OMS pour l'Europe alertent sur les difficultés rencontrées par le Vieux Continent pour dépister et traiter précocement le VIH. En effet, plus de la moitié des diagnostics en 2024 (54 %) ont été posés trop tard pour un traitement optimal.
Les rapports sexuels entre hommes restent le mode de transmission le plus fréquent dans l'UE (48 %), mais les diagnostics attribués à une transmission hétérosexuelle sont en augmentation et représentent près de 46 % des cas de VIH déclarés.
"Nous devons impérativement moderniser nos stratégies de dépistage, privilégier le dépistage communautaire et l’autotest, et garantir un accès rapide aux soins. Nous ne pourrons éradiquer le Sida que si les personnes connaissent leur statut sérologique", insiste la docteure Pamela Rendi-Wagner, directrice de l'ECDC.
Mythe 4 : "Il n'est plus nécessaire d'investir autant dans la lutte contre le VIH"
Certains pays ont réduit leur contribution financière aux programmes internationaux. En tête : les États-Unis de Donald Trump qui, en mai dernier, a supprimé l'Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) infligeant une perte de 60 milliards de dollars aux projets de recherche – notamment dans la lutte contre le VIH – et à l'aide humanitaire.
En amont de la Journée mondiale contre le Sida 2025, le département d'État américain a donné pour instruction à ses employés et bénéficiaires de subventions de ne pas utiliser les fonds du gouvernement américain pour commémorer cette journée. Une directive qui s'inscrit dans une politique plus large visant à "s'abstenir de toute communication lors de journées commémoratives, y compris la Journée mondiale de lutte contre le Sida", selon un courriel consulté par le New York Times.
En août dernier, des études de modélisation ont estimé que les coupes budgétaires décidées par les États-Unis et d’autres pays pourraient entraîner 10 millions de nouvelles infections au VIH, dont un million chez les enfants, et trois millions de décès supplémentaires au cours des cinq prochaines années.
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Courant novembre, lors du G20, le Premier ministre canadien Mark Carney a quant à lui procédé à la toute première réduction de la contribution du Canada au Fonds mondial de lutte contre le Sida, la tuberculose et le paludisme. À hauteur de 1,02 milliard de dollars pour la période 2026-2028, elle est inférieure de 190 millions à celle de 2022-2025, soit une baisse de 17 %).
Pourtant, les programmes de prévention et d'accès aux traitements sont extrêmement sensibles aux financements. Dans un rapport publié mardi, l'Onusida signale une diminution du nombre de personnes ayant commencé un traitement dans 13 pays, des ruptures de stock de kits de dépistage du VIH et de médicaments essentiels en Éthiopie et en RD Congo, une diminution de la distribution de médicaments préventifs de 31 % en Ouganda, de 21 % au Vietnam, et de 64 % au Burundi. Par ailleurs, le Nigeria a enregistré une baisse de 55 % de la distribution de préservatifs.
"L’impact [de ces coupes budgétaires] a été immédiat et grave, en particulier dans les pays à revenu faible et intermédiaire fortement touchés par le VIH", constate Onusida.
"La crise du financement a mis en lumière la fragilité des progrès que nous avons si durement obtenus", déclare dans un communiqué Winnie Byanyima, directrice exécutive d’Onusida, lors d’une intervention à Genève.
"Derrière chaque donnée de ce rapport se cachent des personnes… des bébés non dépistés pour le VIH, des jeunes femmes privées de soutien en matière de prévention et des communautés soudainement laissées sans services ni soins. Nous ne pouvons pas les abandonner."
