Les auteurs de bandes dessinées africains ont bien du mal à se faire une place au sein des grands éditeurs européens et américains du secteur. Rencontre avec Pat Masioni et Christophe Ngalle Edimo, qui font exception à la règle...
Le succès d'"Aya de Yopougon", série de bandes dessinées scénarisée par l'Ivoirienne Marguerite Abouet et éditée par Gallimard, est devenu la référence absolue en la matière. Le nouvel étalon à partir duquel se jaugent les auteurs et dessinateurs de bande dessinée africains qui tentent de se faire un nom parmi les éditeurs franco-belges et les comics américains.
Pat Masioni et Christophe Ngalle Edimo la citent régulièrement. L'un dessinateur, l'autre scénariste, ces deux auteurs de BD étaient les invités de trois journées consacrées à la bande dessinée africaine au musée du quai Branly, début février. L'occasion, pour eux, d'expliquer combien les Africains ont du mal à se faire une place chez les grands éditeurs européens.
Isolement
"Beaucoup se disent que Glénat, Casterman ou Dupuis, c'est pour les autres", explique Pat Masioni. La reconnaissance des maisons franco-belges ou américaines reste un graal, que ce Congolais de naissance est parvenu à conquérir. À l'automne dernier, il a dessiné les tomes 13 et 14 de "Unknown Soldier", une série qui traite de la guerre en Ouganda, publiés par la maison d'édition américaine DC Comics.
Avant de briller sur la scène internationale, Pat Masioni a commencé par se faire un nom à Kinshasa, auprès de groupes de presse congolais, et surtout grâce aux éditions Saint-Paul, qui lui ont commandé des illustrations pour une Bible en neuf tomes. Elle s'est tirée à 250 000 exemplaires...
Puis, en 2001, il a participé à l'album "À l'ombre du baobab", BD sur la santé et l'éducation publiée par l'ONG Equilibres & populations pour mettre en valeur le travail d'auteurs africains. C'est alors qu'il part tenter sa chance en France.
Après avoir été le dessinateur des albums "Rwanda 1994" (scénarisés par Cécile Grenier et Ralph, édités chez Albin Michel), Pat Masioni prend la direction des États-Unis, et expose à New York. C'est là qu'il se fait remarquer par DC Comics. On connaît la suite.
Dans le monde de la BD africaine, Pat Masioni est désormais une figure à part, aux côtés de son compatriote Barly Baruti, de l'Ivoirien Sallia ou du Tanzanien Phillip Ndunguru. Mais leur quotidien est loin de refléter celui de la plupart des bédéistes subsahariens. Faute de structures ou de maison d'édition pour diffuser leurs travaux, ces derniers connaissent surtout l'isolement.
Un dessinateur pour trois millions d'habitants
"Au nord-Cameroun, on a recensé un dessinateur de BD pour plus de trois millions d'habitants. Il habite à 900 km de Yaoundé, la capitale, où vivent et travaillent quelques auteurs qui ont eux-mêmes du mal à être publiés", explique Christophe Ngalle Edimo, scénariste franco-camerounais, auteur de l'album "Le retour au pays d'Alphonse Madiba, dit Daudet" (paru en octobre 2008 chez Laï-Momo, avec des dessins d'Al'Mata), et président de l'association L'Afrique dessinée (1). "La plupart font de la caricature de presse par contrainte alimentaire, mais ne sont pas de bons caricaturistes... poursuit-il. Leur vocation première est la BD. Mais faute de droits d'auteur et de moyens de diffusion, ils ne parviennent pas à en vivre."
Un exemple à l'aune duquel le succès de Marguerite Abouet, qui montre une Côte d'Ivoire drôle, touchante et universelle, ou le parcours atypique de Pat Masioni, s'apprécient d'autant plus.
Parvenu à se faire un nom au pinacle de la BD américaine, ce dernier rêve désormais de publier un album sur son pays, la République démocratique du Congo... pour en révéler les aspects les plus terrifiants. "On ne peut pas faire semblant et ne pas montrer tout ce qui empêche l'Afrique de se développer. Les faits sont là, il faut le dire. Je ne peux pas rentrer au Congo et voir des enfants qui, à 8 ans ou 10 ans, sont militaires. On ne peut pas passer à côté de ça..."
Pour mieux connaître la BD africaine, lire sur le Web :
- le forum du site www.grioo.com;
- l'article sur Africulture.com.
(1) Parmi les initiatives prises pour faire connaître les bédéistes africains, l'album "Une journée dans la vie d'un Africain d'Afrique" (publié en juin 2007) propose de découvrir les dessins de neuf artistes subsahariens qui illustrent un même scénario, écrit par Christophe Ngalle Edimo. L'album est publié par le collectif L'Afrique dessinée, créé en 2001 à Paris.