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La Chine, nouvelle meilleure amie de l'Afrique

Depuis le milieu des années 1990, les économies africaines se sont ouvertes aux puissances asiatiques, et notamment à la Chine. Le volume global du commerce entre le continent et l'ex-Empire du Milieu dépasse désormais les 100 milliards de dollars.

A l'aube de la vague d'indépendances qui allait déferler sur l'Afrique francophone, 29 Etats africains et asiatiques se sont retrouvés une semaine durant, en avril 1955, à Bandung, en Indonésie, pour mettre en évidence "l'urgente nécessité d'encourager le développement économique de la zone afro-asiatique". Cinquante-cinq ans plus tard, leur vœu est en passe d’être exaucé.

Après avoir longtemps entretenu des liens étroits avec les entreprises de leurs anciennes puissances coloniales, les économies africaines s'affranchissent désormais de leur tutelle et regardent vers l'Orient. En quelques années, la Chine, en particulier, est devenue le plus grand partenaire commercial du continent. En 2008, le volume global du commerce bilatéral entre l'Afrique et l'ex-empire du Milieu a atteint la somme record de 107 milliards de dollars... soit dix fois plus que huit ans auparavant. 

Sans cesse à la recherche de nouvelles matières premières pour nourrir sa formidable croissance économique, Pékin s’est tourné vers le continent africain dans le courant des années 1990, attiré par ses riches réserves pétrolières et minérales. Depuis, les entreprises chinoises se sont attaquées à d'autres secteurs d'activités comme le BTP, avec le soutien des autorités. Depuis son arrivée au pouvoir en 2003, le président chinois Hu Jintao s'est rendu à quatre reprises en Afrique (2004, 2006, 2007 et 2009), visitant 18 pays parmi lesquels le Mali, le Sénégal, le Cameroun, le Gabon et le Nigeria.

Un discours qui fait mouche

Loin d'être le seul pays à prendre ses marques sur le continent, la Chine a toutefois adopté une stratégie qui semble porter ses fruits. Elle aussi colonisée naguère par l'Occident, elle se garde bien d'assortir son aide de discours politiques moralisateurs et se pose en ambassadeur des pays émergents à l'ONU. Les Chinois, qui comptent sur les voix africaines aux Nations unies, "aiment dire aux dirigeants africains qu'ils sont comme eux, qu'ils n'admettent pas d'ingérence occidentale dans leurs affaires intérieures", observe Antoine Glaser, rédacteur en chef de la "Lettre du Continent" et spécialiste de l’Afrique francophone.

A Brazzaville, Yaoundé et N'Djamena, où le sermon occidental sur le manque de transparence, la mauvaise gouvernance et le non-renouvellement des élites politiques est une rengaine bien connue, le discours chinois fait mouche : Denis Sassou-Nguesso a dirigé le Congo-Brazzaville pendant 26 des 30 dernières années, Paul Biya est à la tête du Cameroun depuis 1982, Idriss Déby Itno préside aux destinées du Tchad depuis 19 ans...

Sous couvert d’amitié indéfectible, Pékin, qui commerce avec quelque 50 pays d'Afrique, octroie régulièrement des millions de dollars d’aide financière. En 2005, la Chine a exonéré les taxes aux importations africaines. Et en novembre 2009, Pékin s'est de nouveau engagé à soutenir le continent africain en lui prêtant, cette fois-ci, 10 milliards de dollars sur trois ans.

Combat déloyal

Preuve de l'inquiétude que suscite l'offensive chinoise dans l'ancien pré carré européen, au début de 2009, Patrick Lucas, le président du comité Afrique du Medef, le syndicat patronal français, affirmait que les entreprises hexagonales ne luttaient pas à "armes égales" avec leurs concurrentes chinoises sur le continent, estimant que les fréquents voyages de Hu Jintao en Afrique faussaient la donne...

Pour légitime qu'elle soit, cette préoccupation n'en révèle pas moins l'attitude qui a longtemps prévalu à Paris - et à Londres - à l'égard du continent africain : l'assurance que les ex-colonies du continent resteraient longtemps encore acquises à leurs anciennes métropoles, grâce aux réseaux historiques qu'elles s'y étaient constituées.  "C'est l'erreur fondamentale commise par la France et par le Royaume-Uni, analyse Antoine Glaser, car les Chinois interviennent en Afrique de manière directe, sans intermédiaire."

Jusqu'au milieu des années 1990 en effet, les grands groupes français contrôlaient plus de la moitié des marchés des anciennes colonies françaises d'Afrique. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, de grands groupes comme Areva ou Total signent toujours de juteux contrats, mais la présence hexagonale sur le continent recule au fur et à mesure que l'image de la France s'y déprécie. Certaines entreprises ont vu des contrats leur filer sous le nez, comme Bolloré qui, en 2007, a perdu la concession du port de Dakar au profit des émiratis. D'autres ont choisi volontairement de se désengager : Bouygues s'est progressivement retiré du secteur eau et électricité en Afrique de l’Ouest, et Veolia a quitté le Tchad.

Ressentiments

Reste qu'en dépit de sa volonté de ne pas s'immiscer dans les affaires intérieures de ses partenaires économiques africains, la Chine, que les Occidentaux accusent de s’acoquiner avec des despotes, commence à essuyer, elle aussi, quelques critiques dans les pays où elle est le plus implantée. Au sein des populations locales, l’arrivée massive d'une main d'œuvre chinoise - évaluée à environ 500 000 personnes - efficace et bon marché nourrit les ressentiments.

Les entreprises chinoises font appel à une main d’œuvre compatriote immigrée qui reste parfois seulement le temps d’un chantier, qui ne s’assimile pas ou peu et qui n’a que peu de contacts avec les populations locales, faute de parler français ou anglais.

Dès 2002, les commerçants sénégalais accusaient leurs concurrents chinois de travailler illégalement et de monopoliser des parts de marché au détriment des vendeurs locaux parfois contraints à mettre la clé sous la porte. "Les petits marchands chinois de rue sont très mal perçus", confirme Habib Tawa, journaliste à la revue "Afrique-Asie".

Au cours de ces dernières années, des émeutes de commerçants ont également éclaté au Cameroun, au Congo et en Algérie, obligeant certains groupes chinois à changer d'attitude. "Des indices tendent à montrer que depuis un ou deux ans les Chinois commencent à sous-traiter certaines de leurs activités à des entreprises locales, remarque Habib Tawa. Leurs besoins en énergie sont tels qu'ils vont être amenés à revoir leur politique."