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Interview de Nick Fuentes : le mouvement MAGA se divise sur Israël et l'antisémitisme
L’entretien accordé par Tucker Carlson au suprémaciste blanc Nick Fuentes suscite depuis une semaine une intense polémique idéologique dans l’univers MAGA, le camp pro-Trump. À quel point la droite américaine est-elle prête à normaliser un influenceur qui a exprimé ses sympathies pour Adolf Hitler ?
Tucker Carlson a suscité l'ire d'une partie du camp pro-Trump en réalisant une interview complaisante du suprémaciste blanc Nick Fuentes. © Thomas Beaumont, AP

Règlements de comptes à MAGA Corral. Alors que le camp du président américain, Donald Trump, vient d’essuyer de sérieux revers électoraux, mardi 4 novembre, il doit aussi faire face à un violent affrontement idéologique au sein du Parti républicain.

Tout a commencé il y a une semaine par une interview controversée menée par l’ex-star de Fox News Tucker Carlson et qui a failli faire imploser l’un des plus influents cercles de réflexion conservateur américain, la Heritage Foundation.

Tucker Carlson, l’intervieweur bienveillant

Tucker Carlson, devenu podcasteur-provocateur à la droite du Parti républicain, se doutait-il de la violence de la polémique qu’il susciterait en invitant dans son émission le suprémaciste blanc Nick Fuentes, le 28 octobre ? 

Au cours de l'interview, Nick Fuentes - connu pour ses propos antisémites et pour avoir ouvertement exprimé de la sympathie pour Adolf Hitler - a pu développer pendant près de deux heures ses obsessions habituelles sur les “juifs qui dirigent le pays". Rien de neuf sous le soleil suprémaciste.

Plus surprenant, "Tucker Carlson a été moins percutant qu’avec d’autres conservateurs qu’il peut inviter, comme Ted Cruz. C’était une interview vraiment complaisante", résume Matthew Feldman, spécialiste de l’extrême droite américaine. L’ex-machine à audimat de Fox News s’est même permise de critiquer les “chrétiens sionistes comme Ted Cruz ou George W. Bush" qui auraient été “contaminés par ce virus [pro-Israël, NDLR]".

Cette interview a mis la droite américaine très mal à l’aise. En effet, même s’il n’officie plus sur Fox News, “Tucker Carlson reste une voix très influente à droite", souligne Dafydd Townley, spécialiste des États-Unis à l’université de Portsmouth. “Nick Fuentes n’avait jamais eu une telle plateforme pour faire la promotion de ses idées", ajoute Matthew Feldman.

Cet entretien contraint ainsi le camp pro-Trump à se demander où commence et finit MAGA (Make America Great Again), le mouvement populaire et populiste que le président américain a créé. “La crainte est que la droite de gouvernement, c’est-à-dire les républicains, apparaisse comme ouverte à l’idée de s’associer à des figures comme Nick Fuentes. Même avec Donald Trump à la Maison Blanche, le parti essaie, du moins en parole, de maintenir un cordon sanitaire autour de personnages aussi ouvertement d’extrême droite et racistes", explique Hilmar Mjelde, politologue spécialiste des États-Unis à la Western Norway University of Applied Sciences.

Le coup de pied de Tucker Carlson dans la fourmilière idéologique conservatrice est d’autant plus fort que Nick Fuentes était le premier opposant - à droite - de Charlie Kirk, l’influenceur conservateur assassiné le 10 septembre dernier. “C’est perçu comme une opportunité offerte de s’exprimer à contre un rival qui a été comme béatifié par Donald Trump et ses partisans", note Matthew Feldman.

Poids lourds républicains contre Groypers suprémacistes

Comme si cela ne suffisait pas déjà à créer des remous à droite, il a fallu que la très influente Heritage Foundation s’immisce dans le débat. Cet institut, à l’origine du controversé Project 2025 qui nourrit la politique de Donald Trump, a apporté son soutien à Tucker Carlson. Kevin Roberts, le directeur de l’Heritage Foundation, a publié une vidéo pour dénoncer “la coalition venimeuse" qui cherchait à priver “notre ami Tucker Carlson" de son droit de débattre avec n’importe qui.

C’est l’étincelle qui a mis le feu aux poudres. Plusieurs poids lourds du Parti républicain ont alors dénoncé l’interview de Nick Fuentes, à l’instar de Ted Cruz et Mitch McConnell. Le très droitier et pro-Israël influenceur Ben Shapiro s’en est pris à Tucker Carlson en l'accusant d'être le “plus virulent des super propagateurs d’idées dangereuses aux États-Unis".

Nick Fuentes, trop content d’occuper l’espace médiatique, a mobilisé son armée de trolls antisémites et masculinistes - qui s’auto-désigne mouvement de “Groypers"  - pour s’attaquer à Ben Shapiro. “Non à Ben Shapiro, non à Benjamin Netanyahu, non au génocide, non au Talmud anti-christ et non à l’oligarchie juive", a été leur cri de ralliement.

La guerre des droites semble déclarée… y compris à l’intérieur de l’Heritage Foundation qui a connu plusieurs démissions et un licenciement. Le trouble est tel que Kevin Roberts a jugé utile de s’excuser, mercredi 5 novembre, assurant qu’il ne fallait évidemment pas cautionner des “interviews trop bienveillantes" envers ce genre d’individus.

“Il est probable que la Heritage Foundation, très occupée à façonner la politique américaine au plus haut niveau, ne voulait sans doute pas voir son action parasitée par un scandale impliquant un personnage comme Nick Fuentes", estime Matthew Feldman

Ce suprémaciste a tout à gagner de cette polémique. Elle pourrait le faire entrer dans la cour des grands. Il est déjà “influent en ligne auprès des jeunes et des masculinistes grâce à son discours et ses "Groypers", mais il reste très minoritaire dans le débat politique à droite", assure Dafydd Townley. Cette interview lui permet non seulement d’être au centre des débats à droite, mais il peut aussi prouver son utilité politique. “Les républicains savent qu’ils doivent une partie de leur victoire à la dernière élection aux influenceurs et podcasteurs nationalistes", analyse Dafydd Townley.

Le silence de Donald Trump

Nick Fuentes peut espérer convertir de nouveaux adeptes. “Les partisans de Donald Trump forment un ensemble hétéroclite et certains risquent d’être curieux d’en savoir plus sur cet individu ce qui, in fine, peut lui permettre d’agrandir sa communauté en ligne", estime Hilmar Mjelde.

Il est plus difficile, en revanche, de comprendre les motivations de Tucker Carlson. Il risque, en effet, de s’exclure lui-même du mouvement si la levée de boucliers est trop virulente. En outre, l’ex-vedette de Fox New “met la galaxie MAGA - qui le considère toujours comme l’un des siens - dans une position délicate. Il oblige chacun à se positionner, ce qui risque de créer d’importantes lignes de fracture, voire pousser certaines composantes, comme la mouvance pro-Israël, à prendre ses distances", note Hilmar Mjelde.

“Ce n’est probablement pas seulement pour l’influence ou l’argent qu’il agit, car il en a déjà plus qu’assez. Tucker Carlson a, cependant, exprimé récemment de plus en plus souvent des désaccords avec la politique de l’administration Trump, notamment au sujet de sa politique étrangère. En même temps, il a opéré un virage de plus en plus à droite", analyse Matthew Feldman.

Pour lui, cette interview pourrait être une tentative de Tucker Carlson “de tirer le Parti républicain encore plus à droite". Sûr de son influence, il voudrait jouer au grand stratège de l’ombre qui donne le “la" de la politique du “Grand Old Party" et Nick Fuentes serait une arme pour y parvenir.

Il manque cependant une pièce maîtresse à ce tableau : Donald Trump. “La manière dont le président va réagir ou non à cette polémique pourrait être cruciale pour l’avenir du Parti républicain", affirme Matthew Feldman.

Tucker Carlson espère avoir misé sur le bon cheval avec Nick Fuentes… Après tout, Donald Trump avait déjà invité le suprémaciste blanc à dîner à Mar-a-Lago en 2022. “Si malgré la controverse, il se montrait bienveillant à l’égard de Nick Fuentes ou, même, qu’il le réinvite, il y aura très probablement des politiciens dans son camp, secrètement en accord avec Nick Fuentes, qui sortiraient du bois", prévient Matthew Feldman. Il craint que les idées de ce suprémaciste, considérées comme trop toxiques pour le Parti républicain, deviennent alors beaucoup plus “acceptables".