
Le Premier ministre Sébastien Lecornu, le 14 octobre 2025, lors de sa déclaration de politique générale devant l'Assemblée nationale. © Thibault Camus, AP
Sébastien Lecornu avait promis des "ruptures" sur la forme et sur le fond. Il a bel et bien tenu parole. En confirmant, mardi 14 octobre lors de sa déclaration de politique générale, renoncer à l’utilisation du 49.3 et en annonçant, surtout, la suspension de la réforme des retraites, le Premier ministre a brisé un tabou et mis fin à l’inflexibilité des macronistes sur le sujet.
Car même s’il ne s’agit que d’une "suspension" et qu’elle doit encore être confirmée par un vote du Parlement, cette décision est bel et bien un recul majeur pour Emmanuel Macron, qui avait toujours refusé jusqu’ici de revenir sur cette réforme qui devait symboliser son héritage.
Le prix à payer pour éviter une censure des socialistes qui, en mêlant leurs voix à celles des députés de gauche et d’extrême droite, auraient fait chuter le gouvernement, entraînant une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale, à en croire le chef de l’État. Passée au forceps en 2023, la réforme des retraites est ainsi devenue deux ans et demi plus tard, comme le faisait remarquer avec ironie la présidente des députés écologistes Cyrielle Chatelain, "l’assurance-vie des macronistes".
Après cette annonce de Sébastien Lecornu qui rebat les cartes, plusieurs questions se posent désormais.
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Le gouvernement de Sébastien Lecornu échappera-t-il à la censure ?
En théorie, le gouvernement Lecornu 2 semble sauf. Cinq groupes parlementaires ont annoncé qu’ils voteront la motion de censure de La France insoumise, qui sera examinée jeudi matin à 9 h : outre le groupe des insoumis, ce sera le cas des groupes Rassemblement national, Écologiste et Social, Gauche démocrate et républicaine et Union des droites pour la République. Soit un total de 265 voix en faveur de la censure sur les 289 nécessaires pour que le gouvernement soit renversé.
Mais Sébastien Lecornu n’est pas totalement à l’abri et le suspense risque de durer jusqu’à l’annonce du décompte final par la présidente de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet. Il suffirait en effet que 24 députés – soit une poignée de dissidents du Parti socialiste (PS), du parti Les Républicains (LR) et du groupe Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires (LIOT) – se joignent à la censure pour faire basculer le vote.
En janvier, huit dissidents PS avaient ainsi joint leurs voix à la motion de censure contre François Bayrou portée par le reste de la gauche, alors que la direction du parti avait négocié un accord de non-censure avec le gouvernement. De même, en 2023 lors du passage de la réforme des retraites par 49.3, 19 députés LR avaient voté en faveur de la motion de censure pour renverser le gouvernement d’Élisabeth Borne, bravant la consigne du parti.
L’avenir du gouvernement de Sébastien Lecornu pourrait donc se jouer, dans un sens ou dans l’autre, à quelques voix près.
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Quelles conséquences pour les Français ?
"Je proposerai au Parlement dès cet automne que nous suspendions la réforme de 2023 sur les retraites jusqu'à l'élection présidentielle", a annoncé Sébastien Lecornu dans l'hémicycle du Palais Bourbon. "Aucun relèvement de l'âge n'interviendra à partir de maintenant jusqu'à janvier 2028, comme l'avait précisément demandé la CFDT. En complément, la durée d'assurance sera elle aussi suspendue et restera à 170 trimestres jusqu'à janvier 2028", a précisé le chef du gouvernement.
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Accepter Gérer mes choixSi la suspension est actée lors des débats budgétaires, la réforme Borne sera donc figée à 62 ans et 9 mois. La génération 1964, qui devait partir à 63 ans, sera la première à en bénéficier. Elle économisera un trimestre d'âge légal en obtenant le droit de se retirer à partir du dernier trimestre de 2026 au lieu du premier trimestre 2027, selon l’AFP. Elle gagnera également un trimestre dans le calcul de sa durée de cotisation, puisque la réforme Borne lui en imposait 171, et non 170.
Pour les générations suivantes, tout dépendra des modalités exactes de la suspension. Sébastien Lecornu a chiffré à 3,5 millions le nombre de bénéficiaires potentiels de la suspension : un chiffre qui implique que plusieurs générations seront bénéficiaires et pas seulement la génération 1964.
Mais pour qu'il y ait suspension, l'exécutif et le Parlement devront parvenir à se mettre d'accord sur ses modalités, un pari qui n'est pas gagné. Car le Premier ministre a posé ses conditions : la suspension "devra donc être compensée financièrement, y compris par des mesures d'économies" et ne pourra "pas se faire au prix d'un déficit accru", a-t-il affirmé. Or "le coût de la suspension pour notre système de retraite est de 400 millions d'euros en 2026 et de 1,8 milliard d'euros en 2027", a-t-il indiqué.
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Le "pari risqué" du Parti socialiste lui profitera-t-il ?
Comme l’a reconnu le chef de file des députés socialistes, Boris Vallaud, à la tribune de l’Assemblée nationale, le Parti socialiste, en acceptant de ne pas censurer le gouvernement, fait un "pari". Au risque de s’isoler du reste de la gauche ou d’être qualifié de "sauveur de la macronie" par l’extrême droite.
"Je suis heureux pour les 3,5 millions de personnes qui pourront partir à la retraite plus tôt. [...] Quand on fait de la politique, on le fait pour changer la vie des gens. En tout cas c’est ma conception", s’est justifié le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, mardi au 20 heures de TF1, estimant que "provoquer une dissolution, ça ne change pas la vie des gens" et se disant "déterminé à arracher d’autres victoires".
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Accepter Gérer mes choixLe Parti socialiste entend ainsi démontrer, à quelques mois des élections municipales et à un an et demi de la prochaine élection présidentielle, qu’il est un parti de gouvernement, responsable et conscient du besoin de stabilité pour le pays. Une façon pour ses responsables de se différencier de ses ex-alliés de La France insoumise, avec lesquels les relations sont devenues exécrables ces derniers mois, pour espérer récupérer les électeurs de centre-gauche ayant voté Emmanuel Macron en 2017.
Mais en évitant la chute de Sébastien Lecornu, les socialistes, qui avaient aussi en tête le risque de perdre de nombreux sièges en cas de dissolution, se retrouvent esseulés au sein de la gauche, à bonne distance non seulement de LFI, mais également du parti Les Écologistes et du Parti communiste, qui ont critiqué leur choix. "On offre nos partenaires [de gauche, NDLR] sur un plateau d'argent à LFI", jugeait mardi auprès de l’AFP une députée socialiste.
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Vers un budget 2026 "invotable" ?
Faire confiance au débat parlementaire sur les textes budgétaires alors que l’Assemblée nationale est fracturée en trois blocs est là encore un pari, cette fois-ci fait par le Premier ministre.
Des majorités différentes pourraient en effet être trouvées en fonction des questions mises au débat. Une alliance entre la gauche et l’extrême droite pourrait voter la suspension de la réforme des retraites contre le centre et la droite, tandis que la droite et l’extrême droite pourraient voter ensemble des mesures sur l’immigration rejetées par la gauche, par exemple. Le risque d’aboutir à des textes budgétaires ne satisfaisant personne est par conséquent tout à fait imaginable.
"Il faudra une majorité de députés de gauche, de droite et du centre dans cet hémicycle pour ne pas laisser libre court à une folie budgétaire qui rendrait in fine le budget invotable", a par ailleurs prévenu le patron des députés MoDem Marc Fesneau.
D’autant que traditionnellement, dans la Ve République, les oppositions votent systématiquement contre le budget proposé par le gouvernement et soutenu par la majorité. Il s’agit même d’un marqueur pour savoir qui soutient et qui ne soutient pas le gouvernement. Mais avec un budget qui serait coconstruit par l’ensemble des groupes, à la manière dont fonctionne le Parlement européen, que feraient les députés au moment des votes solennels sur l’ensemble des deux textes ? Obtenir une majorité sur le projet de loi de finances et le projet de financement de la Sécurité sociale est loin d’être une évidence.