
Des membres d'une unité de l'armée malgache se joignent aux manifestants près d'Antananarivo, le 11 octobre 2025. © RIJASOLO / AFP
Le président malgache Andry Rajoelina a été exfiltré par un avion militaire français lundi 12 octobre, selon les informations recueillies par Radio France Internationale (RFI). À l’origine de cette fuite, une mobilisation inédite lancée à l’appel de la "Gen Z Madagascar", un collectif lancé mi-septembre sur les réseaux sociaux.
Tout a commencé le 26 septembre, lorsque des milliers de jeunes malgaches sont descendus dans les rues d’Antananarivo pour agiter leurs portables comme des torches, afin de protester contre les coupures d’eau et d’électricité, ainsi que pour dénoncer la corruption systémique au sein des institutions et la pauvreté extrême qui touche une grande partie de la population.
La situation a basculé le weekend dernier. Andry Rajoelina a dénoncé samedi "une tentative de prise du pouvoir illégale [...] actuellement en cours", tandis que l'unité militaire Capsat – qui avait joué un rôle majeur dans le coup d'État de 2009 au profit du même Andry Rajoelina à la suite, déjà, d'une mobilisation populaire –, a appelé les forces de sécurité à "refuser de tirer" sur les manifestants, avant de rejoindre ces derniers dans le centre de la capitale malgache.
Une crise politique qui est loin d’avoir dit son dernier mot, mais qui ressemble fort aux précédentes. Depuis l’indépendance, en 1960, le pays a connu pas moins de cinq crises du même ordre. En 1972, les étudiants renversaient le régime pro-français de Philibert Tsiranana au nom de la justice sociale. En 1991, les grèves et les marches faisaient tomber le régime, mais la démocratie naissante se heurtait à l’éternel retour des mêmes élites. En 2001, Marc Ravalomanana, entrepreneur charismatique, faisait rêver d’un pays ouvert et moderne, avant d’être balayé à son tour par Andry Rajoelina, jeune maire d’Antananarivo et ancien DJ, qui s’emparait du pouvoir en 2009.
"Chaque régime promet la fin du désordre et finit par en être la source"
Seize ans plus tard, le même Rajoelina, réélu en 2023 après avoir muselé toute opposition, quitte le pouvoir dans les mêmes conditions que son prédécesseur : à bord d’un avion français. "Chaque régime promet la fin du désordre et finit par en être la source. Chaque président se présente comme le sauveur, et chaque génération finit par descendre dans la rue pour le chasser. Ce qui change, c’est la musique : les slogans d’hier s’imprimaient sur des tracts ; aujourd’hui, ils circulent sur les réseaux. Mais la colère, elle, reste la même", analyse l’historien Arnaud Léonard, spécialiste de Madagascar.
Une colère qui, une nouvelle fois, a été déclenchée par une situation sociale et économique devenue insupportable. La Grande Île demeure l’un des pays les plus pauvres du monde, alors que son économie a enregistré une croissance de 4,2 % en 2024. Un paradoxe devenu d’autant plus inadmissible que le président Rajoelina avait promis de mettre fin à la prédation de la classe dirigeante. Promesse non tenue, bien au contraire. La vie économique du pays, minée par la corruption et la fuite des capitaux, n’offre plus de perspectives à la population malgache, dont l’âge médian est de 20 ans.
"Dans ce contexte, les pénuries d’eau et d’électricité ont engendré des insatisfactions telles que la défiance politique a atteint son paroxysme. Le lien politique entre le pouvoir et la population, qui était déjà abimé, est désormais ravagé", observe Christiane Rafidinarivo, politologue et chercheuse associée au CEVIPOF Sciences Po.
Pour l’historien Denis-Alexandre Lahiniriko, la récurrence des crises politiques s’explique par la nature de la relation entre l’État et la population. "L’État tel qu’il a émergé avant le Xe siècle a été pensé comme une institution étrangère à la population. Quand le pouvoir se frotte au peuple, c’est toujours sous forme de violence physique ou symbolique. Les Malgaches n’ont jamais réussi à créer une organisation socio-politique plus ou moins cohérente dans laquelle la population se reconnaît", explique Denis-Alexandre Lahiniriko, maître de conférences au département d’histoire de l’université d'Antananarivo.
"Les forces armées ont agi et pris la parole de façon à préserver l'unité"
Alors que le pouvoir est désormais vacant, les militaires vont-ils de nouveau prendre en main le destin du pays ? "Les militaires, avant les gendarmes, ont pris la main pour arrêter la répression contre les manifestants. Ils ont réorganisé la chaîne de commandement, pour que ça ne tourne pas à une lutte entre factions, après que les forces de gendarmerie et les militaires se sont tirés dessus samedi. Ce qu'on peut dire, même si la situation évolue, c’est que les forces armées ont agi et pris la parole de façon à préserver l'unité et maintenir la souveraineté du pays", observe Christiane Rafidinarivo.
Si en 1991, les militaires avaient obligé les politiques à trouver un accord pour sortir de la crise, la situation est cette fois-ci différente dans la mesure où ce sont les jeunes qui sont montés au front pour mettre l'État face à ses responsabilités. "Ce qu’il y a de nouveau avec cette génération très connectée, c’est qu’elle a une culture numérique spécifique ouverte sur le monde qui lui permet de comparer avec ce qui se passe ailleurs. Contrairement aux générations précédentes, elle n'a pas subi la censure politique. Son mot d’ordre, c’est : 'On se lève pour la terre de nos enfants.' Ils veulent le changement", explique Christiane Rafidinarivo.
Pour sa part, Denis-Alexandre Lahiniriko juge que les revendications du collectif Gen Z, comme le changement de structure et de gouvernance de l’État, ne s’accompagnent pas réellement d’un projet de société concret. "Il s’est inspiré des crises qu’il a vues sur les réseaux sociaux, comme au Népal, pour exprimer un mal-être, tout en étant privilégié. Car il ne faut pas oublier qu’avoir l’électricité et l’eau courante, c’est appartenir à une classe déjà privilégiée par rapport à la majorité des jeunes malgaches". L’historien craint que ce mouvement sans idéologue ni leader, rattaché à aucun parti, soit tôt ou tard éclipsé. "Il est encore tôt pour le dire, mais les politiques pourraient très bien revenir en force."
L'annonce d'une allocution du président malgache Andry Rajoelina, prévue lundi soir, avait suscité des espoirs de démission à Antananarivo parmi les milliers de manifestants encore réunis, libres de défiler depuis le ralliement d'unités militaires samedi. Un espoir de courte durée. Un "groupe de soldats armés", selon la présidence, a empêché une prise de parole du président malgache en envahissant les locaux de la télévision publique.