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Robert Badinter et la peine de mort : poursuivre son combat pour l'abolition universelle
Robert Badinter fera son entrée au Panthéon, le 9 octobre, date anniversaire de la promulgation de la loi d'abolition de la peine de mort dont il est l'auteur. Connu pour avoir mené ce combat en France, l'ancien ministre de la Justice s'est ensuite battu pour l'abolition universelle. La peine de mort demeure une pratique massive dans certains pays comme la Chine ou l'Iran.
L'ancien ministre français de la Justice, Robert Badinter, qui a mené la campagne pour l'abolition de la peine de mort en France en 1981, prononce un discours le 21 juin 2001 au Parlement européen de Strasbourg, dans l'est de la France, lors de la première conférence mondiale contre la peine de mort. AFP - DAMIEN MEYER

"Demain, grâce à vous, la justice française ne sera plus une justice qui tue. Demain, grâce à vous, il n’y aura plus pour notre honte commune, d’exécutions furtives, à l’aube, sous le dais noir, dans les prisons françaises. Demain, les pages sanglantes de notre justice seront tournées". Le 17 septembre 1981, Robert Badinter prononçait ces mots à la tribune de l’Assemblée nationale pour demander l’abolition de la peine de mort en France. Quelques semaines plus tard, le 9 octobre, après un vote favorable des députés et des sénateurs, la loi était promulguée.

Quarante-quatre ans, jour pour jour, après cette date historique, l’ancien ministre de la Justice de François Mitterrand fait son entrée au Panthéon. La Nation rendra solennellement hommage à celui qui est devenu le symbole de ce combat.

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"J'avais vu mourir un homme que j'avais défendu"

Admirateur sans borne de Victor Hugo, l’auteur du "Dernier jour d’un condamné", Robert Badinter a toujours été viscéralement opposé à la peine capitale. Mais cet engagement prend un tournant radical au petit matin du 28 novembre 1972. Alors avocat de Roger Bontems, un détenu condamné à mort après avoir participé à la prise d’otage meurtrière d’un surveillant et d’une infirmière à la centrale de Clairvaux, dans l'Aube, il est présent lors de son exécution.

Comme lui avait dit son mentor Henry Torrès, un avocat ne peut prétendre l’être qu’après avoir affronté "pour de vrai" la peine de mort. Robert Badinter assiste son client jusque dans les derniers instants. "Bontems était mort. J'avais vu Bontems aller à sa mort. J'avais vu mourir un homme que j'avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. On ne plaide pas pour un mort. L'avocat d'un mort, c'est un homme qui se souvient, voilà tout", a-t-il résumé dans son livre "L’exécution" publié un an plus tard.

Robert Badinter et la peine de mort : poursuivre son combat pour l'abolition universelle
Les avocats de Roger Bontems, Robert Badinter (à gauche) et Philippe Lemaire (à droite), arrivent à la prison de la Santé à Paris, le jour de l'exécution de Roger Bontems et de Claude Buffet, guillotinés à 5h20 et 5h13 dans la cour de la prison. AFP - -

D’opposant à la peine de mort, l’avocat devient alors militant. "Cette exécution fait basculer complètement les choses", souligne ainsi l’historienne Marie Bardiaux-Vaïente, scénariste de la bande dessinée "L’Abolition – Le combat de Robert Badinter" (éditions Glénat). "Un homme est là et deux secondes après, il n’est plus là. C’est ton client. Il n’a pas écopé d’une amende ou d’années de prison avec l’espoir qu’on peut avoir des remises de peine. Non, il est n’est tout simplement plus là".

"Le droit de vie et de mort sur quelqu'un"

Au plus profond de lui-même, Robert Badinter se sent investi d’une mission. Pendant dix ans, il se consacre à cette cause. En 1976, il accepte de défendre Patrick Henry, accusé d’avoir enlevé puis tué le petit Philippe Bertrand, âgé de huit ans. Contrairement à Roger Bontems dont le procès avait montré qu’il n’avait pas tué et qui a pourtant été exécuté, tout accable Patrick Henry. La défense de celui qui est haï par la France entière semble impossible. "Il était persuadé qu’il ne gagnerait pas le procès. C’était un désastre judiciaire programmé", raconte Marie Bardiaux-Vaïente.

Robert Badinter décide alors d’en faire une tribune contre la peine de mort. "On peut faire le parallèle avec le procès de Bobigny. Gisèle Halimi en a fait le procès des avortements clandestins. Ils ont universalisé leurs plaidoiries", explique l’historienne. Face aux jurés, l’avocat place la peine capitale au centre des débats. "Vous êtes seuls ; vous seuls ici avez le droit de vie et de mort sur quelqu’un. Cela vaut bien, dans une vie de femme et d’homme qu’on y réfléchisse à deux fois", clame-t-il avec force.

À ce moment-là, Robert Badinter ne sait pas si son client va avoir la vie sauve, mais il sait que l’abolition n’est qu’une affaire de temps. "Il dit aux jurés que l’abolition sera votée un jour ou l’autre. Il les regarde avec ses sourcils froncés et sa voix emblématique et il leur demande ce qu’ils diront à leurs enfants à ce moment-là ? Pourquoi ont-ils voté pour qu’un homme vivant se fasse couper en deux ?", poursuit l’historienne, également scénariste de la BD "La guillotine" (éditions Eidola).  Cette virulente plaidoirie fait mouche. Patrick Henry échappe à l'échafaud et est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité. Dans les années qui suivent, Robert Badinter permet à cinq autres accusés d’échapper à la guillotine.

Robert Badinter et la peine de mort : poursuivre son combat pour l'abolition universelle
Français Anglais Allemand Portrait taken on January 20, 1977 in Troyes shows Robert Badinter, Patrick Henry's lawyer, a few moments after the announcement of the verdict condemning the murderer Philippe Bertrand to life imprisonment. Ce portrait, réalisé à Troyes le 20 janvier 1977, montre Robert Badinter, l'avocat de Patrick Henry, quelques instants après l'annonce du verdict condamnant le meurtrier du petit Philippe Bertrand à la prison à perpétuité. AFP - PIERRE GUILLAUD,HERVE LERCH,MICHEL CLEMENT

Proche de François Mitterrand, il espère le voir remporter les élections présidentielles de 1981 et abolir la peine capitale. Son vœu est exaucé. Nommé garde des Sceaux par le nouveau président socialiste, il défend lui-même le projet de loi alors qu’une majorité de Français n’y est pas favorable. En ce jour d’automne, il porte à son terme le combat de Victor Hugo. Au Sénat, au moment du vote décisif, il regarde le siège de l’écrivain dont il a fait sien cet adage : "Tant que la peine de mort subsistera, il n’y aura point de civilisation réelle".

Une continuité de son engagement

Au cours des décennies qui suivent, Robert Badinter devient l’incarnation de l’abolition de la peine de mort en France. Son combat n’est pourtant pas terminé. En 1981, l’Hexagone n’est que le trente-cinquième pays au monde à avoir mis un terme à la peine capitale. L’ancien ministre de la Justice œuvre pour une abolition universelle. En 2001, il devient ainsi le président d’honneur de l’association Ensemble contre la peine de mort (ECPM). "Il n’était pas passéiste. Il ne s’est pas arrêté à ce qu’il avait fait en 1981. Il y a eu une continuité de son engagement né dans les années 70", insiste Raphaël Chenuil-Hazan, directeur général d’ECPM.

Robert Badinter et la peine de mort : poursuivre son combat pour l'abolition universelle
Robert Badinter et Sakae Menda, un Japonais de 58 ans, ancien condamné à mort qui a passé 34 ans en prison, sont photographiés le 3 février 2007 à Paris, lors de la manifestation organisée à l'issue du Congrès mondial contre la peine de mort. AFP - MEHDI FEDOUACH

Ce dernier entretient une relation privilégiée avec l’ancien garde des Sceaux, jusqu’à son décès en février 2024. Robert Badinter est de tous les rassemblements. "Il nous faisait profiter de son carnet d’adresse et nous accompagnait à tous les congrès mondiaux. Je le vois encore avec son stylo et son petit cahier prendre des notes. Il passait de débats en débats", se souvient Raphaël Chenuil-Hazan.

En quarante ans, l’abolition de la peine de mort a considérablement progressé. Aujourd'hui, parmi les 198 États et territoires dans le monde, 77 % n'exécutent plus, soit abolitionnistes (62 %), soit en moratoire sur les exécutions (15 %), selon l'ECPM. "Mais 55 pratiquent encore la peine capitale dont des pays importants, comme la Chine, l’Iran, l’Arabie saoudite, les États-Unis, le Japon ou encore l’Inde. Si on le rapporte en termes de population, il y a plus d’habitants sur la planète qui vivent sous le joug de la peine de mort que le contraire", détaille Raphaël Chenuil-Hazan. Parmi eux, au moins quatre Français se trouvent actuellement condamnés à mort dans le monde, un en Algérie, un en Chine et deux au Maroc.

En 2024, 1 518 exécutions ont été recensées par Amnesty International dans 15 pays, le niveau le plus haut depuis une décennie. Ce nombre record inquiète le conseil national des barreaux (CNB) qui se mobilise toujours pour l’abolition universelle. "C’est un combat auquel la profession d’avocat dans son ensemble est tout à fait fidèle car nous avons cette charge particulière d’expliquer et de défendre l’État de droit. C’est aussi une lutte contre l’arbitraire", explique Julie Couturier, la présidente du CNB. "Il n’y a plus que quelques pays qui l’appliquent, mais cela reste un instrument de dissuasion politique, notamment en Iran".

Robert Badinter et la peine de mort : poursuivre son combat pour l'abolition universelle
Robert Badinter, prononce un discours lors de la commémoration du 40e anniversaire de l'abolition de la peine de mort au Panthéon, à Paris, le 9 octobre 2021. AFP - IAN LANGSDON

Le CNB porte l’héritage de ce "défenseur infatigable de la justice". Pour que son esprit humaniste continue de se diffuser, la profession a créé un prix qui porte son nom. Il est destiné à récompenser un jeune avocat porteur d’un projet en loin en lien avec les libertés fondamentales et les grandes questions de société de notre temps. "Il y a toujours la tentation de donner son nom à des salles ou à des parties de palais justice, mais nous avons préféré trouver un hommage plus en lien avec ses convictions", souligne Julie Couturier qui a été l'élève de Robert Badinter en faculté de droit à la Sorbonne. Son ancienne étudiante ne cache pas son admiration pour ce "grand homme" qui lui a donné envie de devenir avocate. Pour l'ex-bâtonnière du barreau de Paris, comme pour tant d'autres, il reste une vigie : "On retient évidement son combat contre l’abolition car c’est le plus structurant dans une société, mais ce que je retiens avant de tout de lui, c’est son courage".