
Des soldats français à bord d'un pétrolier de la flotte fantôme russe, au large de Saint-Nazaire; le 1er octobre 2025. © Damien Meyer, AFP
Il souffle un vent de plus en plus puissant de guerre hybride au large des côtes européennes. Même la France semble touchée. Les autorités hexagonales ont décidé, jeudi 2 octobre, de prolonger la garde à vue de deux membres de l’équipage du navire Boracay qui avaient été interpellés la veille sur le cargo au large de Saint-Nazaire, en Loire-Atlantique.
Le Boracay, battant pavillon béninois et aussi connu sous le nom de Pushpa, est non seulement soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’envoi de drones au-dessus d’aéroports danois la semaine dernière mais aussi d’appartenir à la "flotte fantôme russe". Des militaires français étaient montés à bord à la suite de "fautes très importantes commises", avait affirmé le président français Emmanuel Macron.
De la Baltique à Gibraltar
Ce n’est pas le seul navire lié à la Russie dans le viseur des autorités européennes. Deux autres cargos ayant été aperçus au large de l'aéroport de Copenhague la semaine dernière sont également sur la liste des bateaux suspectés de servir de base arrière pour des opérations russes de guerre hybride.
La présence d’un sous-marin russe au large de Gibraltar ce week-end a également ajouté à la nervosité européenne face à cette "menace" russe. D’autant que le sous-marin était suspecté d’avoir subi de lourds dommages et pouvait présenter un risque d’explosion.
Plus généralement, la Russie est régulièrement soupçonnée de saboter des câbles Internet sous-marins, que ce soit en mer Baltique ou au large des côtes britanniques.
Si la menace venue des navires apparaît de plus en plus présente, "ce n’est probablement que le début", estime Mark Lacy, spécialiste des nouvelles formes de conflits à l’université de Lancastre.
Couteau suisse de la guerre hybride
Un bateau peut, en effet, devenir un vrai couteau suisse de la guerre hybride entre les mauvaises mains. "Il peut poursuivre des objectifs très pratiques comme cartographier les infrastructures sous-marines pour d’éventuelles missions futures de sabotage. Il ne faut pas oublier que 97 % des communications Internet dans le monde transitent par des câbles sous-marins", souligne Basil Germond, spécialiste des questions de sécurité maritime à l'université de Lancastre.
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Des navires, même civils tels que les cargos ou les pétroliers, "peuvent être équipés de capteurs militaires avec un équipage déguisé en civil mais capable de mener des opérations de renseignement", assure Erik Stijnman, spécialiste des questions de sécurité militaire dans le cadre de la guerre russo-ukrainienne à l’Institut néerlandais des relations internationales Clingendael. "En fonction des capacités à bord, les navires peuvent écouter les communications militaires, rassembler des informations sur les lignes d’approvisionnement ou sur la manière dont la défense d’un pays se prépare", précise Christian Kaunert, spécialiste des questions de sécurité internationale à l’University of South Wales à Cardiff.
"C’est aussi une déclaration d’intention très politique. Cela démontre la volonté d’un pays d’opérer à la frontière entre la paix et la guerre. Stratégiquement, cela permet de tester la capacité des pays de l’Otan à répondre à de nouvelles formes de menaces, ce qui peut créer un climat d’incertitude et de peur dans les pays concernés", ajoute Basil Germond.
Un outil de guerre hybride dans l’air du temps
Ainsi, la campagne de drones survolant ces derniers temps l’espace aérien de plusieurs pays "a permis d’identifier certains points faibles", note Christian Kaunert. "Dans certains pays européens comme l’Allemagne, ces survols de drones ont entraîné une confusion à propos de quelle autorité était chargée de gérer cette menace et qui avait le droit de les abattre", ajoute cet expert.
Pour brouiller encore plus les cartes, autant opérer depuis la mer. "L’important n’est pas tant le bateau que le milieu. La mer est une zone où il peut y avoir des compétences territoriales concurrentes [ce qui peut ralentir les procédures, NDLR], et il y a d’énormes étendues à surveiller", liste Basil Germond.
Sans compter les problèmes d’attribution. "Le navire peut appartenir à une société d’un pays, battre pavillon d’un autre État, transporter officiellement seulement des marchandises commerciales. Difficile, dans ces conditions, de l’attribuer à un acteur étatique précis, ce qui en fait un moyen d’action qui convient très bien aux opérations hybrides", souligne Erik Stijnman, qui a écrit sur la menace hybride russe.
Dans l’arsenal des outils de guerre hybride – opération d’influence, cyberattaque, sabotage, etc. –, "le recours à des navires devient de plus en plus important", assure Mark Lacy. Pour cet expert, "depuis la fin de la Guerre froide, il y a notamment une explosion du commerce international, ce qui fait des mers un environnement particulièrement attractif pour qui voudrait causer d’importantes perturbations".
Pour la Russie, il y a également un alignement des planètes qui peut l'amener à miser davantage sur des navires. D’abord, Moscou peut puiser dans sa "flotte fantôme" – de vieux navires qui n’existent plus officiellement – développée depuis plusieurs années pour contourner les sanctions économiques. "Au départ, elle servait surtout à des fins économiques, mais à ce stade, la priorité semble être d’utiliser tous les moyens, y compris cette flotte, pour mettre la pression sur l’Europe afin de réduire le soutien à l’Ukraine", affirme Christian Kaunert.
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La place de plus en plus importante prise par les drones dans le conflit ukrainien a également donné des idées à Moscou. Les Russes ont fortement accru leur production de drones et peuvent se permettre d’en utiliser une partie dans des opérations de guerre hybride… et les navires représentent de très bonnes bases de lancement, suggèrent les experts interrogés par France 24.
Une menace difficile à contrer
Pas facile non plus de contrer cette menace flottante. Le Boracay a été arraisonné par la marine française alors même que ce cargo restait à la limite des eaux territoriales françaises. Certes, ce navire "a été pris en flagrant délit par les Français", souligne Basil Germond. Le préfet maritime de l’Atlantique avait signalé des "délits maritimes" pouvant justifier cette opération.
Néanmoins, "cela crée un précédent", avertit Erik Stijnman. L’opération peut sembler légitime dans le cadre de la lutte contre les menaces hybrides russes, mais qu’en est-il si d’autres pays, peut-être moins scrupuleux sur les procédures, se réfèrent à cet exemple pour faire de même au-delà de leurs eaux territoriales, s'interroge ce spécialiste.
Pour les experts interrogés, la priorité consiste à "renforcer le volet renseignement dans le domaine maritime pour pouvoir agir le plus rapidement possible", assure Christian Kaunert. Sinon, le navire agit puis disparaît dans la foulée, ne laissant derrière lui qu’un sillon de vagues soupçons.