
Sébastien Lecornu à Matignon le 10 septembre 2025. © Stephanie Lecocq, Reuters
Sébastien Lecornu battra-t-il deux records ? Après être devenu le Premier ministre ayant passé le plus de temps sans gouvernement, deviendra-t-il la semaine prochaine le chef de gouvernement le plus éphémère de la Ve République, battant ainsi le record de Michel Barnier ? Resté volontairement discret depuis sa nomination à Matignon le 9 septembre, il sait que l’heure est venue de dévoiler ses cartes.
La fin de semaine s’annonce décisive : jeudi, Sébastien Lecornu affronte sa troisième journée de mobilisation populaire et syndicale, avant d’annoncer la composition de son gouvernement et de mener de nouvelles consultations politiques en vue d’éviter la censure. France 24 fait le point.
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Les syndicats veulent maintenir la pression
La troisième journée de mobilisation, après celles des 10 et 18 septembre, et la deuxième à l'appel de l'intersyndicale pour s'opposer aux pistes d'économies budgétaires et demander plus de justice fiscale, s'annonce moins suivie que celle du 18 septembre, avec des taux de grévistes en recul.
Les syndicats veulent toutefois maintenir la pression sur le Premier ministre, qui a refusé de suspendre la réforme des retraites, mais a annoncé mercredi une "amélioration de la retraite des femmes". "Certaines mesures issues du 'conclave' sur les retraites, notamment celle relative à l'amélioration de la retraite des femmes, feront l'objet d'une inscription au PLFSS pour 2026", écrit, sans plus de précisions, Sébastien Lecornu, dans un courrier dévoilé par le journal Le Monde.
Le Premier ministre dit par ailleurs souhaiter "poursuivre les échanges (...) autour des enjeux de pénibilité et d'usure professionnelle", sujets de discorde entre le patronat et les syndicats pendant le "conclave".
Un courrier jugé "hors sujet complet" qui "ne répond à aucune de nos exigences sur les retraites" et "ne nous donne aucune réponse à nos questions" sur le budget, a réagi mercredi sur RTL la secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet.
L'intersyndicale (CFDT, CGT, FO, CFE-CGC, CFTC, Unsa, FSU et Solidaires) réclame l'abandon de plusieurs mesures : le "doublement des franchises médicales, l'année blanche (...), la suppression de 3 000 postes de fonctionnaires et la réforme de l'assurance chômage", ainsi que le "recul de l'âge légal de départ" à 64 ans.
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Un nouveau gouvernement sur le point d’être nommé
Le gouvernement devrait être nommé au plus tôt jeudi soir et au plus tard dimanche, si Sébastien Lecornu veut tenir sa promesse faite vendredi dernier de le dévoiler "avant le début des travaux parlementaires". Et il devrait comporter de nombreux ministres déjà en poste sous François Bayrou, dont le ministre de l’Intérieur et patron du parti Les Républicains, Bruno Retailleau, selon des informations du journal Le Parisien.
Le parti de ce dernier, membre du "socle commun" depuis un an et la nomination de Michel Barnier à Matignon, pose toutefois ses conditions pour se maintenir au gouvernement, dans un "contrat" dévoilé mercredi par le site Politico.
Celui-ci comporte plusieurs mesures à prendre ou à éviter : "ne pas remettre en cause les équilibres financiers issus de la réforme des retraites", "réduire les dépenses publiques par de véritables économies structurelles", ne recourir "ni [à la] taxe Zucman, ni [à un] recyclage de l'ISF, ni [à des] mesures fiscales nuisant à la compétitivité de la France ou pénalisant l'outil de travail", et sur l’immigration, rétablir le délit de séjour irrégulier, allonger la durée de rétention en centre de rétention administrative (CRA) "à 210 jours pour les étrangers les plus dangereux", ou encore octroyer au ministère de l'Intérieur la compétence exclusive sur la politique des visas.
Il apparaît toutefois peu probable de ne pas voir LR entrer au gouvernement si Sébastien Lecornu ne reprenait pas l’intégralité de ces demandes. Le seul suspense concerne plutôt les quelques nouvelles têtes qui seront appelées par le Premier ministre.
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Le budget attendu au Haut conseil des finances publiques
Le projet de budget 2026 devrait être transmis jeudi pour avis au Haut conseil des finances publiques (HCFP), organisme indépendant placé auprès de la Cour des comptes, ont indiqué mercredi ce dernier et Bercy.
Le PLF est censé être présenté au Conseil des ministres "avant le premier mardi d'octobre", c'est-à-dire avant le 7, et déposé à l'Assemblée nationale "au plus tard le 13 octobre" pour que le Parlement dispose des 70 jours prévus par la Constitution pour en débattre. Il n'est toutefois pas impossible que la présentation des textes budgétaires en Conseil des ministres soit concomitante à leur transmission à l'Assemblée.
Sébastien Lecornu a indiqué lundi lors d’une réunion avec ses alliés du "socle commun" qu’il comptait laisser les coudées franches au Parlement : c'est lui "qui définira le budget de la Nation", a-t-il dit, souhaitant y voir émerger "des compromis".
Mais les premières orientations du nouveau Premier ministre semblent bien s'inspirer de celles de son prédécesseur François Bayrou. Sébastien Lecornu souhaite ramener le déficit public "aux alentours" de 4,7 % du produit intérieur brut (PIB) en 2026, un objectif peu éloigné des 4,6 % que visait François Bayrou, après 5,4 % attendus en 2025. Il confirme aussi la cible d'un déficit de maximum 3 % du PIB en 2029.
Pour y parvenir, la priorité irait à "la réduction des dépenses", notamment une diminution de six milliards d'euros du "train de vie" de l'État et "une meilleure maîtrise des dépenses sociales et des collectivités locales".
Le Premier ministre ne veut ni d'un retour de l'impôt sur la fortune (ISF), ni de la taxe Zucman réclamée par la gauche pour taxer à 2 % minimum les patrimoines des 1 800 contribuables les plus riches. Il se dit toutefois sensible aux appels à "plus de justice fiscale" et souhaite des efforts "partagés et justes". Sébastien Lecornu a affirmé lors de la réunion organisée avec ses alliés que son gouvernement ferait des "propositions" de baisse d'impôts "notamment en faveur du travail".
Parmi les options envisagées sont aussi citées dans la presse un relèvement du prélèvement forfaitaire unique ou "flat tax" sur les revenus du capital, actuellement de 30 %, une reconduction de la surtaxe d'impôt sur les sociétés appliquée aux plus grandes en 2025, officiellement pour une seule année, ou un rabot du pacte Dutreil sur les transmissions d'entreprises familiales.
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Rendez-vous décisif avec les socialistes
Sébastien Lecornu, qui ne souhaite pas devoir sa survie au Rassemblement national (RN), reçoit vendredi le Parti socialiste pour un rendez-vous de la dernière chance afin d’éviter la censure.
"Si le compte n'y est pas, nous déposerons une motion de censure et nous prendrons nos responsabilités", a affirmé lundi sur BFMTV le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, qui réclame une "copie complète" du projet de budget car "pour l'instant, on n'a pas très bien compris ce que le Premier ministre était prêt à faire".
Taxation des hauts patrimoines, suspension de la réforme des retraites, plan d'économies revu à la baisse... Les demandes des socialistes sont connues. Mais à ce stade, et alors qu’il avait promis des "ruptures", Sébastien Lecornu n'a rien cédé. Au contraire, il a balayé du revers de la main les principales revendications de la gauche.
S’il ne pouvait compter sur l’abstention des socialistes, Sébastien Lecornu se mettrait alors dans la main du RN. Dans son interview au Parisien, il s'est notamment dit ouvert à une évolution de l'aide médicale d'État (AME) destinée aux étrangers, que le RN veut voir réduite à une aide d'urgence. Mais cette annonce ne sera sans doute pas suffisante pour convaincre les troupes de Marine Le Pen.
Une chose est sure : pour Sébastien Lecornu, qui pourrait prononcer son discours de politique générale lundi ou mardi prochains, l’heure de vérité approche. De leur côté, les partis politiques semblent anticiper une censure rapide. Matériel électoral, investitures, financement… Ceux-ci se préparent déjà à une dissolution de l’Assemblée nationale et à des élections à venir.
Avec AFP