
Le Premier ministre Sébastien Lecornu, le 10 septembre 2025, arrivant à Matignon. © Ludovic Marin, AFP
"Il va falloir des ruptures, et pas que sur la forme, et pas que dans la méthode, des ruptures aussi sur le fond", a affirmé, mercredi 10 septembre, Sébastien Lecornu lors de la passation de pouvoir avec François Bayrou dans la cour de Matignon. Un mot qui n’a pas été choisi au hasard – la gauche le répète en boucle depuis 2022 – et qui a surpris tant le nouveau Premier ministre est considéré comme un fidèle d’Emmanuel Macron, qui a toujours refusé jusqu’ici de reculer sur sa politique.
Sébastien Lecornu a-t-il arraché du président de la République des concessions qu’il peut désormais monnayer auprès des socialistes en échange d’un accord de non-censure ? Après les expériences Michel Barnier et François Bayrou – tous deux renversés par les députés – la macronie estime désormais qu’il n’y a plus rien à attendre du Rassemblement national, qui n’a cessé de plaider ces dernières semaines pour une nouvelle dissolution de l’Assemblée nationale.
Elle compte donc se tourner vers les socialistes, comme Emmanuel Macron avait enjoint les responsables du socle commun de le faire lors d’une réunion à l’Élysée début septembre. "Il faut travailler avec le Parti socialiste. Ça ne veut pas dire que le budget va devenir socialiste mais en tout cas, il faut escompter leur non-censure et s’adresser à eux prioritairement", expliquait d’ailleurs lundi à France 24 le député Renaissance Mathieu Lefèvre, juste avant la chute de François Bayrou, dans les couloirs de l’Assemblée nationale.
Mais encore faut-il parvenir à convaincre les socialistes, qui ont le sentiment de s’être fait avoir en janvier dernier avec le conclave sur les retraites proposé par François Bayrou. Or, justement, Sébastien Lecornu souhaiterait remettre le dossier des retraites à l’ordre du jour, selon des informations du journal Le Monde.
Le conclave s’était terminé en juin sur un échec avec seulement trois syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC) toujours présents pour discuter avec le patronat (Medef et CPME). Les négociations ont pris fin sur un constat de désaccord concernant les modalités de prise en compte de la pénibilité.
La taxe Zucman est "fondamentale"
Mais d’ores et déjà, la CFDT – pourtant considéré comme le syndicat le plus enclin au dialogue – a fait savoir qu’elle était opposée à une éventuelle réouverture du conclave. "Pour la CFDT, il n’est pas question de relancer le conclave retraites", a-t-elle déclaré dans un message transmis à l'AFP. "La CFDT a négocié loyalement pendant six mois pour corriger la dernière réforme. Le Medef a préféré l'échec. La seule voie possible pour la CFDT est désormais de suspendre la réforme et de renvoyer les choix futurs à 2027", conclut le syndicat.
Sébastien Lecornu et Emmanuel Macron accepteront-ils d’appuyer sur le bouton pause d’une réforme si chère au chef de l’État ? Peu probable. Mais si le Premier ministre a des propositions fortes pouvant être considérées comme des avancées par les syndicats, nul doute qu’il tentera tout de même de les réunir avec le patronat.
Au-delà des retraites, la suppression de deux jours fériés et l’année blanche – le gel des dépenses publiques – ne devraient plus figurer au budget 2026. Du mieux pour les socialistes mais loin d’être suffisant pour les convaincre de ne pas voter une censure du gouvernement.
"Je refuse toute forme de budget qui irait chercher à prélever des économies sur les malades, sur les chômeurs, sur les travailleurs, sur les jeunes, sur les retraités, comme c'était le cas précédemment", a affirmé mercredi matin sur franceinfo le patron des socialistes, Olivier Faure.
Mieux, son parti cherchera à obtenir une victoire visible tout de suite et qui porte un nom : la taxe Zucman. "Elle est fondamentale", a insisté jeudi matin sur TF1 Boris Vallaud, président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale. "Les mêmes causes produisent les mêmes effets : un Premier ministre qui refuserait de prendre en considération les attentes légitimes des Français – un changement de politique – s’exposerait en effet aux mêmes sanctions que ses prédécesseurs", a-t-il prévenu, citant un sondage selon lequel 75 % de la population soutient cette taxe.
"Offrir une victoire symbolique à la gauche"
Celle-ci prévoit de prélever à hauteur de 2 % les patrimoines de plus de 100 millions d'euros. Elle concernerait 1 800 foyers fiscaux selon son promoteur, l'économiste Gabriel Zucman, et rapporterait selon lui jusque 20 milliards d’euros par an. D’autres économistes estiment son rendement plutôt autour de 5 milliards.
C’est "la base de tout accord", a également estimé jeudi matin sur RTL l’eurodéputé Raphaël Glucksmann, président du parti Place publique et allié des socialistes. "On peut discuter des modalités, on peut discuter de l'assiette, on peut discuter du montant", a-t-il néanmoins jugé. "Ce dont on ne peut pas discuter et ce qui est la condition de possibilité de tout accord, c'est le fait qu'à la fin un dispositif permette de taxer (...) ceux qui ont multiplié par deux leur fortune sur les huit dernières années", a-t-il répété.
De plus en plus de macronistes semblent commencer à accepter l’idée. "On a bien compris que si on veut faire passer un budget, il faut offrir une victoire symbolique à la gauche sur l’imposition des plus fortunés. On est radicalement contre et c’est une sombre connerie, mais il va bien falloir lâcher. Même notre électorat le demande", reconnaissait lundi le député Renaissance Sylvain Maillard dans Le Figaro.
"Il est désormais acté pour tout le monde qu’on doit faire des concessions sur la fiscalité", abonde un autre député Renaissance, Charles Sitzenstuhl, toujours dans Le Figaro. "Je n’aurais pas dit ça l’année dernière mais il y a un principe de réalité qui s’impose à nous. Au final, c’est le message que nous ont adressé les Français en 2024. Nous avons perdu les élections et nous devons évoluer", ajoute-t-il.
Un tel recul marquerait bel et bien une "rupture", tant Emmanuel Macron refuse depuis toujours d’augmenter de façon pérenne les impôts des plus riches. Un revirement qui risquerait toutefois de mécontenter un parti membre du socle commun : Les Républicains (LR).
Le président du Sénat Gérard Larcher, figure du parti de droite, s’est ainsi opposé jeudi matin à cette proposition. "Nous avons voté contre la taxe Zucman au Sénat au mois de juin", a-t-il rappelé sur BFMTV. Et le patron de LR, Bruno Retailleau, avait lui aussi critiqué cette taxe lundi sur France 2, évoquant "les vieilles lunes socialistes qui ont déjà terriblement affaibli la France".