
Des partisans du mouvement "Bloquons tout" organisent un blocage routier à Saint-Denis, le 10 septembre 2025. © Tahar Hani, France 24
Le rendez-vous avait été fixé avant le lever du jour, mercredi 10 septembre, devant la Bourse du travail de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), fief historique de la gauche, dans la banlieue nord de Paris. Malgré l'horaire matinal, plus d'une centaine de personnes, en majorité des jeunes étudiants politisés, ont répondu à l'appel du mouvement "Bloquons tout", né sur les réseaux sociaux.
"À moins de 80 personnes, on se pose la question d'y aller ou pas. Là on est plus de 120", glisse Franck, 36 ans, l'un des manifestants chargés de répartir les rôles et de distribuer à chacun un papier sur lequel figure les noms d'avocats à contacter en cas d'interpellation.
Vers 6 h 30, le rassemblement se met en mouvement vers l'autoroute A1, la voie principale menant au nord de la capitale. Le groupe se sépare en deux : une partie va chercher des barrières métalliques repérées en amont, l'autre débute le blocage des voies d'accès à l'autoroute. En quelques minutes, la circulation est interrompue.

Si certains automobilistes manifestent leur soutien au mouvement à grand renfort de klaxons et de bras levés, d'autres affichent leur colère. Comme ce motard qui tente de forcer le barrage en empruntant un terre-plein ou ce chauffeur de bus qui cherche à enlever une barrière avant de renoncer. "Je vais me faire virer de mon travail", lance un automobiliste, visiblement désespéré devant le tract qu'on lui tend.
"Ce genre d'action ne va pas sans appréhension mais c'est la nécessité qui fait qu'on est là. Le problème, c'est qu'il y a eu des mobilisations, des manifestations mais le gouvernement n'en a rien à foutre. Il nous force à ces situations de blocage. On est là car ce gouvernement n'entend absolument rien d'autre", estime Léa, enseignante de 44 ans, qui a participé au mouvement contre la réforme des retraites en 2024.
"Les capitalistes ont décidé de faire scission avec notre société. On n'a pas le choix, il faut changer ce monde", affirme Frédéric, 65 ans, retraité du secteur culturel. "Avec ce blocage, on demande à être entendu sur les questions sociales, climatiques et internationales".
Parmi les manifestants, plusieurs arborent un keffieh, symbole de résistance du peuple palestinien dans le conflit meurtrier l’opposant à Israël.
"La priorité de Macron, c'est la guerre"
En attendant l'arrivée inéluctable des forces de l'ordre, dont 80 000 membres ont été mobilisés à l'échelle nationale pour contrer ces opérations coup de poing, les premiers "Macron démission" fusent tandis qu'autres entonnent l'hymne des Gilets jaunes : "On est là ! On est là !".
Après environ une heure de blocage, la police finit par disperser les manifestants à coups de gaz lacrymogènes. Entre temps, le mot est passé d'aller soutenir une action de blocage d'un lycée de Saint-Denis. Mais sur place, la mayonnaise n'a pas pris, faute de mobilisation étudiante suffisante.
"Cela n'a pas pu bloquer ce matin mais on a pu tracter, discuter avec les lycéens et les profs", se console Irène, étudiante à l'université Paris 8 Diderot, située à quelques encablures. "On constate qu'il y a toujours moins de moyens pour les écoles mais toujours plus pour la police et l'armée", poursuit la militante de Révolution permanente, organisation classée à l'extrême gauche. "La nomination de Lecornu, ancien ministre des Armées, est un signal clair : la priorité de Macron c'est la guerre dans un contexte de tensions à l'échelle internationale, c'est pas l'éducation, ni la santé".
"En tant que jeunes salariés ou étudiants, on galère de plus en plus. On demande la démission de Macron qui n'a plus aucune légitimité", renchérit une autre manifestante qui n'a pas souhaité donné son prénom.
Selon l'Union syndicale lycéenne (USL), premier syndicat lycéen, des actions ont été menées dans 150 des quelque 3 700 lycées que compte la France. Le ministère de l'Éducation nationale parle d'une centaine de lycées perturbés avec 27 bloqués, et donne le chiffre de 6 % d'enseignants grévistes.
L'espoir d'un "point de départ"
Malgré l'échec de l'opération devant le lycée Paul Éluard, les partisans de "Bloquons tout" ne comptent pas en rester là à Saint-Denis. Certains se dirigent vers un supermarché Carrefour pour en bloquer l'accès tandis que d'autres rejoignent une manifestation soutenue par les syndicats et des partis de gauche qui débouche sur un nouveau blocage routier au niveau de la station de métro Porte de Paris.
Dans la foule, des pancartes et des banderoles dénoncent pêle-mêle le "génocide à Gaza" et les aides publiques aux entreprises évaluées en 2023 à 211 milliards d’euros par un rapport sénatorial.
"Il y a un ras-le-bol général. Nos grand parents se sont battus pour avoir des jours fériés et des acquis sociaux et aujourd'hui on est en train de les perdre. "Il faut moins donner aux plus riches qui ne travaillent pas", assure Claire, 40 ans, vendeuse dans un magasin de duty-free.
Dans son projet de budget 2026, François Bayrou avait proposé de supprimer deux jours fériés pour générer 4 milliards d’économies pour les caisses de l’État. Une mesure qui avait suscité une levée de boucliers de la part des syndicats et de l'opinion publique.
Si les manifestants n'ont pas réussi à mettre la France à l'arrêt au cours d'une journée marquée par des centaines d'actions disparates, beaucoup espèrent que cette mobilisation n'est pas une fin en soi mais "le point de départ" d'une contestation plus large.
"On vise l'économie pour faire mal. Faire des manifestations, c'est bien, mais ce n'est pas assez. On veut être plus efficace", affirme Axel, 17 ans, étudiant à Nanterre. "Si on est plusieurs millions à bloquer, si l'économie ne le soutient plus, alors Macron ne pourra pas rester".