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L'Église catholique canonise Carlo Acutis, cyber-apôtre et premier saint de la génération Y
Décédé en 2006 à seulement 15 ans, Carlo Acutis sera canonisé dimanche à Rome. Pionnier de l'évangélisation numérique, ce "geek de Dieu" a joué un rôle crucial pour dépoussiérer l'image de l'Église et il a ouvert la voie aux influenceurs catholiques.
Une photo montre la tombe de Carlo Acutis dans l'église Sainte-Marie-Majeure à Assise en Italie, le 3 avril 2025. © Tiziana Fabi, AFP

Il sera le premier saint catholique à n'avoir connu que le XXIe siècle. Carlo Acutis, emporté en 2006 à seulement 15 ans d'une leucémie foudroyante, doit être canonisé, dimanche 7 septembre, au Vatican, à Rome. Un événement prévu à l'origine fin avril mais reporté en raison de la mort du pape François.

Surnommé le "cyber-apôtre" ou encore le "geek de dieu", cet adolescent italien à l'épaisse chevelure bouclée a dédié sa courte vie à répandre la parole de Dieu sur Internet. En quête d'une image plus moderne, l'Église en a fait un modèle auprès d'une jeunesse catholique cherchant à concilier valeurs chrétiennes et nouvelles technologies. 

Depuis son décès brutal, cette icône 2.0 fait l'objet d'un véritable culte, alimenté par l'exposition permanente de son corps "intact" dans l'église de Santa Maria Maggiore, à Assise. Selon le diocèse de la ville, près d’un million de fidèles et de curieux se sont rendus au sanctuaire de la Spoliation en 2024.

L'Église catholique canonise Carlo Acutis, cyber-apôtre et premier saint de la génération Y
Des fidèles prient devant la tombe du bienheureux Carlo Acutis dans l'église Sainte-Marie-Majeure, le 3 avril 2025. © Tiziana Fabi, AFP

Une caméra a même été installée pour voir en direct le tombeau. Reposant dans une châsse vitrifiée, visage figé dans une éternelle jeunesse, Carlo Acutis est vêtu d'un pull zippé bleu et de ses baskets préférées, bien loin de l'image d'Épinal du saint du Moyen-Âge.

"C'est un très beau jeune adolescent qui a eu une vie d'adolescent normal, des copains. Il aimait faire du sport", décrypte l'essayiste Christine Pedotti, directrice de la revue Témoignage Chrétien. "Il y a ici un potentiel d'identification très fort. Une canonisation est toujours une affaire de politique religieuse qui sert à promouvoir des modèles de sainteté. Cette canonisation, un peu en dehors des normes par sa rapidité, montre qu'il y avait une demande pour offrir un modèle à la jeunesse", ajoute-t-elle.

Moyens modernes mais piété "désuète"

En France et de l'autre côté des Alpes, une communauté de fidèles se crée autour de cet adolescent à la fois ordinaire et extraordinaire : sites Internet, biographies ou ouvrages à vocation éducative façonnent une aura qui ne cesse de grandir.

En 2018, l'Église en fait une figure incontournable pour les jeunes catholiques à l’occasion du synode sur la jeunesse, la foi et le discernement vocationnel. "Ce garçon, égal à ses camarades de classe, du point de vue sociologique, est un témoin authentique que l’Évangile peut aussi être vécu intégralement par un adolescent", peut-on lire sur le site du synode. En octobre 2020 se déroule sa messe de béatification. 

Processus long et complexe, de plusieurs dizaines d'années à plusieurs siècles, la canonisation repose à la fois sur l'examen d'une vie exemplaire et vertueuse mais également sur la reconnaissance de deux miracles. Le premier attribué au jeune Carlo concerne un enfant brésilien atteint d'une maladie du pancréas, guéri sans explication, selon l'Église, après avoir prié l’adolescent. Le deuxième est lié à une étudiante costaricienne. Victime d'un traumatisme crânien, la jeune femme est sortie du coma après une prière de sa mère devant la dépouille de l'adolescent à Assise.

Né en 1991 à Londres dans une famille peu pratiquante, Carlo Acutis témoigne dès son plus jeune âge d’une foi inébranlable. À seulement 7 ans, il assiste quotidiennement à la messe. Il se passionne tout particulièrement pour les miracles eucharistiques, ces phénomènes paranormaux censés prouver la présence réelle du corps et du sang du Christ ainsi que les apparitions de la Vierge Marie.

Pour évangéliser sa génération, il crée des sites web dédiés à ces miracles, mettant à profit son habileté précoce en matière d'informatique et de programmation. À l'âge de 12 ans, il a déjà documenté 136 d'entre eux avec photographies et description historique. Ce travail de fourmi donne naissance à une exposition qui voyage dans des milliers de paroisses à travers le monde. 

"Le message envoyé par l'Église avec cette canonisation est finalement assez ambigu car si les moyens de communication utilisés par Carlo Acutis sont archi-modernes, la piété qu'il promeut est incroyablement désuète", estime Christine Pedotti. "Elle s'adresse à cette mouvance de catholiques qui aiment avoir des preuves à travers ces manifestations surnaturelles défiant la science".

Saint-patron des influenceurs catholiques

Pour l'Église catholique, la figure de Carlo Acutis démontre la possibilité d'une utilisation chrétienne d'internet destinée à évangéliser le "continent numérique" en y intégrant une dimension morale et éthique. 

"Il est vrai que le monde numérique peut vous exposer au risque de l'égocentrisme, de l'isolement et du plaisir vide, écrivait le pape François en 2018. Mais n'oubliez pas que, même là, il y a des jeunes qui font preuve de créativité et même de génie. Ce fut le cas du vénérable Carlo Acutis."

Au-delà de son rôle de modèle pour la jeunesse et d'icône 2.0, le cas de Carlo Acutis s'inscrit dans la longue histoire d'appropriation par l'Église des innovations technologiques.

"Au cours de ses 2 000 ans d'histoire, l'Église catholique n'a jamais méprisé les moyens de communication modernes quand ils se présentaient : l'imprimerie, la télévision, les satellites... Rappelons que l'un des premiers événements retransmis en mondiovision a été le Concile de Vatican II en 1962", note Christine Pedotti.

Signe de cette volonté de s'approprier ces nouveaux usages à l'heure de TikTok et Snapchat, Léon XIV, considéré comme l'un des papes les plus actifs sur les réseaux sociaux, a reçu fin juillet au Vatican plus d'un millier d'influenceurs catholiques. 

À la fin d'une messe célébrée à la basilique Saint-Pierre, Léon XIV a rappelé l'importance du rôle de ces missionnaires du digital. "Nous vivons aujourd’hui dans une culture nouvelle, profondément marquée et construite avec et par la technologie", avait lancé le souverain pontife. "C’est à nous, à vous, de faire en sorte que cette culture reste humaine".