
À gauche, la carte partagée par l’armée israélienne le 27 août 2025, censée localiser de “vastes zones vides” dans le sud de la bande de Gaza pouvant accueillir des déplacés. À droite, une image satellite du 26 août 2025 montre que certaines zones sont déjà largement occupées. © Planet Labs / Les Observateurs de France 24
Israël a approuvé le 20 août son plan pour prendre le contrôle de la ville de Gaza. Depuis, l’armée israélienne a intensifié ses bombardements sur la plus grande ville de l’enclave. Elle indiquait jeudi 4 septembre contrôler 40 % de la ville.
Fin août, l’armée a commencé à lancer des flyers demandant d'évacuer certains quartiers, avant d'indiquer aux hôpitaux et ONG de se préparer à évacuer la population vers le sud.
"L'évacuation de la ville de Gaza est inévitable", indiquait le porte-parole arabophone de l’armée israélienne sur Telegram le 27 août.
Mais pour les déplacés gazaouis, l’espace disponible a été réduit drastiquement au cours des derniers mois.
Au total, l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) estimait qu’au 3 septembre, 86,5 % du territoire de Gaza était "soumis à des ordres de déplacement ou à la militarisation".
"J’essaie depuis plusieurs jours de trouver un endroit pour ma famille, en vain"
Mahmoud (pseudonyme) a fui la ville de Gaza, se dirigeant vers le sud de l’enclave. Il témoigne auprès de la rédaction des Observateurs de France 24 :
"Je suis allé dans le Sud pour trouver une place là-bas, mais je n'ai trouvé aucun espace pour une tente ni aucun endroit à louer. Beaucoup de gens ont déjà évacué et l'endroit où ils veulent que nous allions représente moins de 20 % de Gaza.
On ne peut pas trouver de place. Ils demandent à 2 millions de personnes de vivre dans un endroit qui fait moins de 70 km2. C'est impossible. Je suis dans le Sud depuis plusieurs jours pour essayer de trouver un endroit pour ma famille et moi, en vain."
Le 30 août, la Croix-Rouge a déclaré que l’évacuation de la ville de Gaza "entraînerait un déplacement massif de population qu’aucune zone de la bande de Gaza ne serait en mesure d’absorber", la qualifiant d’"irréalisable".
"Vastes zones vides" ?
Pour accueillir les habitants de la ville de Gaza, le porte-parole de l’armée israélienne a publié le 27 août une carte localisant de prétendues "vastes zones vides dans le sud de la bande de Gaza", notamment "dans les camps du centre et à Al-Mawasi".
Le communiqué entend répondre aux "fausses rumeurs selon lesquelles il n'y aurait plus de place dans le sud de la bande de Gaza pour accueillir les habitants".
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Accepter Gérer mes choixLe lendemain, le bureau des médias du gouvernement de Gaza, affilié au Hamas, a répondu sur Telegram à ce qu’il désigne comme des "cartes trompeuses" et des "allégations fallacieuses". Selon lui, ces zones sont des "terres limitées qui ne sont pas équipées pour accueillir un nombre aussi important de personnes".
Zones en partie déjà occupées
Ces zones représentent une superficie d’un peu moins de 7 km2, soit la superficie du 19e arrondissement parisien.

Y accueillir l’ensemble des habitants de la ville de Gaza – environ un million de personnes selon l’ONU – signifierait que la densité de population y serait d’environ 140 000 habitants au km2. C’est sept fois plus que la densité de Paris et 14 fois plus que celle de New York, villes où une grande partie des habitants résident dans des immeubles à plusieurs étages, ce qui n’est pas le cas dans ces zones désignées par l’armée.
De plus, comme l’a rapporté le média israélien Haaretz en s’appuyant sur une analyse de Yaakov Garb, chercheur à l'Université israélienne Ben Gourion du Néguev, l’analyse d’images satellite montre que ces zones ne sont pas "vides" ni "exemptes de tentes", contrairement à ce qu’affirme l’armée dans son message aux habitants.
Sur les images du 26 août – soit la veille de la publication du message de l’armée –, on peut ainsi voir que certains de ces espaces étaient déjà largement peuplés de tentes de déplacés.
Depuis le 18 mars 2025 et la rupture du cessez-le-feu par Israël, l’armée israélienne a émis des dizaines d’ordres d’évacuation, visant notamment de grandes villes comme Rafah et Khan Younès et poussant la population à se réfugier sur la côte et dans le centre de l’enclave.
Dans certains cas (voir l'image ci-dessous), le reste de l’espace qui pourrait sembler disponible correspond à des "dunes de sable élevées et instables", empêchant toute installation, comme l’indique Yaakov Garb.

D’autres zones sont, elles, en partie occupées par des habitations.

Enfin, certaines zones comprennent des serres et des champs visiblement encore en activité récemment.
"La plupart [des zones indiquées par l’armée israélienne] sont des fermes ou des terres privées, dont certaines sont utilisées comme zones tampons ou menacées de bombardements", affirmait le bureau des médias du gouvernement de Gaza sur Telegram.

Zones dangereuses
En plus d’être en partie déjà occupés, certains de ces espaces sont inclus dans des "zones que l'armée israélienne a désignées comme zones 'interdites', où l'accès est interdit et dangereux", souligne Yaakov Garb dans son analyse.
L’armée avait en effet indiqué le 27 juillet 2025 que "les combats se poursuivaient" dans une large zone autour de la frontière avec Israël, qui représente environ les trois quarts de la surface de l’enclave. "Pour votre sécurité, veuillez vous abstenir de retourner dans les zones indiquées en rouge", écrivait son porte-parole.
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Accepter Gérer mes choixAu 5 septembre, ces zones apparaissaient toujours en rouge sur une carte disponible sur le site de l’armée israélienne.
Sur la quarantaine de zones déclarées comme inoccupées par l’armée, une dizaine se trouve ainsi, au moins en partie, dans cette zone interdite.

D’autres zones se trouvent également dans des périmètres qui ont été soumis à des ordres d’évacuation, comme le montre une analyse du service CheckNews de Libération.
La rédaction des Observateurs de France 24 a interrogé l’armée israélienne sur les conclusions de cette analyse. Celle-ci a simplement répondu de "se référer à la carte d’évacuation mise à jour", renvoyant à la carte disponible sur son site mentionnée précédemment.
"Cette carte n’est qu’un écran de fumée"
Shai Grunberg, porte-parole de l'organisation juridique israélienne Gisha dont la mission est de protéger la liberté de déplacement des Palestiniens, estime que ces zones sont loin de constituer une solution adaptée pour accueillir le million d’habitants de la ville de Gaza :
"Les 'zones bleues' ne sont ni sûres, ni adéquates, et sont loin d'être assez grandes. Elles manquent d'eau, d'installations sanitaires et de soins de santé, et certaines sont même des zones de combat actives, ce qui met les familles en danger immédiat.
En vertu du droit international, les évacuations doivent être sûres, temporaires et garantir le droit de retour. Ces zones ne répondent à aucune de ces normes, ce qui rend la politique à la fois illégale et mortelle."
Shai Grunberg met également en évidence les difficultés pratiques posées par cette carte :
"Les coupures de courant et le manque de téléphones rendent l’accès à cette carte difficile. Et même quand on y a accès, sa faible résolution et sa mise en page confuse la rendent quasiment impossible à lire, surtout quand on est en train de fuir sous les bombardements. Cette carte n’est qu’un écran de fumée, pas un véritable outil pour les civils assiégés.
Les exemples passés montrent que les zones qualifiées de 'sûres' ou d’'humanitaires' manquent souvent d’infrastructures de base et ont même été bombardées par la suite. Bien que cela ne soit pas encore arrivé avec les nouvelles zones bleues, les familles n’ont aucune raison de leur faire confiance."
Installation de nouvelles tentes
Si des zones comportaient déjà des tentes, les images satellite récentes montrent que de nouveaux abris se sont ajoutés dans certains de ces espaces depuis la publication du message de l’armée. C’est notamment le cas de ceux situés le long de la côte.
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Accepter Gérer mes choixLes images indiquent que les déplacés s’installent aussi en dehors des zones délimitées par l’armée.
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Accepter Gérer mes choixManque d’abris
Au-delà de la problématique de l’espace, les civils déplacés doivent également composer avec le manque de tentes ou de matériaux pour en construire. Le 21 août, le groupe sectoriel Abris – un groupe de coordination des Nations unies et des organisations humanitaires internationales et locales – estimait que 1,4 million de personnes avaient besoin d’urgence de fournitures pour abri à Gaza.
Dans son message du 27 août, l’armée israélienne indiquait avoir "commencé à acheminer des tentes" et faisait savoir que "chaque famille qui se déplace vers le sud recevra l'aide humanitaire la plus complète possible".
Notre Observateur Ahmed (pseudonyme) a fui la ville de Gaza le 1er septembre, avec ses enfants, sa mère, ses frères et leurs familles. Comme pour de nombreux Gazaouis, il s’agit pour lui d’un énième déplacement : au début de la guerre, il avait fui vers le sud de l’enclave, puis était revenu dans le Nord lors de la trêve, avant de déménager dans la ville de Gaza à la reprise des combats.
Il affirme ne pas avoir reçu de tente lors de son évacuation de la ville :
"Ce ne sont que des paroles en l'air. Je vis actuellement dans une tente usée, et lorsque je la déplacerai et la réinstallerai, elle sera certainement endommagée. Je devrai en acheter une autre pour 6 000 shekels, soit l'équivalent de 1 800 dollars.
Ils [l’armée israélienne, NDLR] m'ont seulement donné une tente il y a huit mois, et j'y vis toujours."
Selon Shai Grunberg, "86 000 tentes et des millions de fournitures essentielles restent bloquées dans l'attente d'une autorisation". "Les familles qui arrivent dans les zones bleues ne trouvent rien et sont obligées de dormir à la belle étoile ou d'utiliser des morceaux de plastique pour s'abriter", souligne-t-elle.
L’armée israélienne a affirmé vendredi 5 septembre auprès de la rédaction des Observateurs de France 24 que "5 000 tentes ont été acheminées au cours des dernières semaines" et que des "dizaines de milliers d'autres devraient être livrées dans les prochains jours".
Le bureau de coordination des affaires humanitaires de l'ONU (Ocha) indiquait lui le 30 août que "seules 208 tentes ont été acheminées à Gaza depuis le 16 août, date à laquelle les autorités israéliennes ont levé l'interdiction d'entrée des articles destinés à l'hébergement".