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Pourquoi la Syrie et la Russie cherchent à "nouer une nouvelle relation plus équilibrée"
En déplacement officiel en Russie jeudi, le ministre syrien des Affaires étrangères, Assaad al-Chaibani, a affirmé la volonté de la Syrie de consolider son partenariat avec Moscou, tout en annonçant avec son homologue Sergueï Lavrov une révision des accords conclus sous la présidence de Bachar al-Assad. Malgré le soutien occidental et arabe, le nouvel homme fort de Damas, Ahmed al-Charaa, paraît soucieux de maintenir des liens avec Moscou. Décryptage.
Le ministre syrien des Affaires étrangères Assaad al-Chaibani et son homologue russe Sergueï Lavrov lors d'une conférence de presse à Moscou, le 31 juillet 2025. © Shamil Zhumatov, AFP

Lors d'une visite officielle à Moscou jeudi 31 juillet, le nouveau chef de la diplomatie syrienne, Assaad al-Chaibani, a exprimé la volonté du nouveau pouvoir de renforcer ses liens avec la Russie. Il a néanmoins précisé que certains accords conclus sous l’ancien président Bachar al-Assad devront être réévalués.

Cette rencontre marque un moment clé dans les relations bilatérales, après la chute du clan Assad, exilé en Russie depuis décembre dernier.

La Russie, qui possède deux bases sur la côte syrienne, a joué un rôle déterminant dans son maintien au pouvoir, notamment par le biais d'une intervention militaire en 2015 ayant permis de repousser rebelles et groupes jihadistes… dont est issu Ahmed al-Charaa, l'actuel président de transition.

Soutenu par les Occidentaux et les puissances régionales sunnites, le nouvel homme fort de Damas semble enclin à préserver une relation forte avec Moscou. Assaad al-Chaibani a ainsi insisté que son pays voulait avoir la Russie "à (ses) côtés".

Pour comprendre les enjeux de cette visite qui réunit des ennemis d’hier, la chaîne arabophone de France 24 a interrogé Amer Al Sabaileh, professeur d’université à Amman, analyste politique et chercheur associé au Stimson Center, un groupe de réflexion américain.

France 24 : Moscou et le nouveau pouvoir syrien ont annoncé leur intention de réviser tous les accords conclus sous Bachar al-Assad. À quoi peut ressembler cette nouvelle relation ?

Amer Al Sabaileh : Il y a indéniablement en ce moment une convergence d'intérêts entre Moscou et Damas. Pour la Russie, cette relation est capitale, d'autant plus qu'elle est la grande puissance la plus affectée par les bouleversements survenus en Syrie. La visite d’Assaad al-Chaibani à Moscou est aussi symbolique que politique. Elle permet de sceller le repositionnement des Russes sur la scène syrienne, effectué afin de préserver leurs acquis ainsi que leur présence dans une région stratégique comme peut l’être la côte syrienne. Il apparaît important pour la Russie de montrer que c’est le gouvernement syrien qui est venu à elle. Le point de départ de cette nouvelle relation commence en plus par la réévaluation des accords existants entre les deux pays, et non pas leur dénonciation. En clair, la Russie espère revenir sur la scène syrienne d'une manière différente, peut-être même plus forte qu'auparavant, mais dans le cadre de nouveaux critères et à de nouvelles conditions.

Et côté syrien, quel est l'intérêt de Damas de maintenir une certaine influence russe dans le pays ?

Pour le nouveau pouvoir, cette démarche s'inscrit dans le cadre de sa recherche permanente de légitimité. Celle-ci passe par l’établissement de relations équilibrées avec tout le monde, et par la démonstration qu'il n'est pas en état d'inimitié avec quelque puissance que ce soit. Surtout pas avec la Russie qui est un acteur international présent sur le terrain, notamment dans une région syrienne [qui regroupe les bastions alaouites, minorité dont est issue le clan Assad, NDLR] où la nouvelle administration a été mise en difficulté ces derniers mois [après des violences à caractère confessionnel survenues en mars sur la côte syrienne ayant fait quelque 1 700 morts, selon un bilan de l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), NDLR]. Par conséquent, nouer une nouvelle relation plus équilibrée avec la Russie peut l’aider d’une certaine manière à stabiliser la scène intérieure et entretenir l'idée que ce pouvoir syrien représente bien toutes les composantes du pays.

Sergueï Lavrov a indiqué que la Russie souhaitait qu'Ahmed al-Charaa participe au prochain sommet des dirigeants arabes à Moscou. Quelle est l'importance de cette invitation ?

La Russie veut toujours apparaître comme l'amie des Arabes et montrer qu'elle a toujours été proche d’eux et qu'elle est plus à même [que les Occidentaux] de comprendre ce qui préoccupe les dirigeants arabes et leurs priorités. Or la Syrie [sous les Assad] était le principal point d'appui de la relation russe dans la sphère arabe. Si la Russie réussissait à rétablir cette relation et à enregistrer la présence du nouveau président syrien au sommet qui se tiendra à Moscou, elle verrait cela comme une démonstration de force diplomatique, alors qu'elle était perçue comme la grande perdante du changement de régime en Syrie.

La Russie abrite sur son territoire un grand nombre de figures de l'ancien régime, à commencer par le président déchu Bachar al-Assad. La question de leur retour en Syrie pour y être jugées occupe-t-elle une grande place dans ces pourparlers russo-syriens ou au contraire n'est-elle plus prioritaire pour Ahmed al-Charaa ?

Tout de suite après la chute du régime des Assad, cette question aurait pu être considérée comme l’une des plus importantes parce qu’elle comprend une dose de populisme que le gouvernement syrien aurait pu utiliser pour renforcer sa légitimité à l’intérieur du pays. Cependant, ces derniers mois, le pouvoir a été confronté à de multiples défis de natures différentes, des affrontements qui ont eu lieu sur la côte [avec la minorité alaouite, NDLR], des différends avec les Kurdes, un attentat qui a endeuillé la communauté chrétienne et des violences dans le Sud avec les Druzes… En d'autres termes, la priorité du gouvernement syrien aujourd'hui n'est peut-être pas de demander aux Russes de lui livrer les figures de l’ancien régime ni de les poursuivre. Car il se peut que ces demandes exigent des contreparties beaucoup plus importantes de la part du Kremlin. Damas va se garder dans la période à venir de soulever des points qui pourraient mettre sous pression la Russie, l'embarrasser ou la pousser vers une relation plus froide. Cette question sera posée plus tard, sans aucun doute, mais elle n’est pas prioritaire, tant les défis actuels, comme la stabilisation du pays, s'imposent d'eux-mêmes.