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Une image "troublante" d'exactions ? Comment une vue satellite du Soudan a été mal interprétée
Après les exactions réelles des Forces de soutien rapide (FSR) lors de la prise de la ville d'El-Facher fin octobre, des internautes ont partagé une capture d'écran de Google Earth censée montrer des tueries de masse au Soudan. Mais ces images sont anciennes et montrent des animaux d'élevage.
Capture d'écran d'une publication vue plus de 15 millions de fois sur X, qui prétend montrer des exactions des FSR. © Montage Les Observateurs

"C'est l'image Google Earth la plus troublante qui soit…", soutient un internaute anonyme sur X, dans une publication publiée le 3 novembre dénonçant la guerre actuelle au Soudan entre l'armée soudanaise et les paramilitaires des Forces de soutien rapide (FSR). 

L'image en question, vue plus de quinze millions de fois sur la plateforme, est une capture d'écran de Google Earth montrant la localité de Kumia, dans le sud du Soudan. On peut y observer une grosse tâche sombre, sur laquelle se trouveraient des dizaines de corps.

"PARLEZ DU GÉNOCIDE AU SOUDAN", appelle l'internaute à partir de cette image.

Une image "troublante" d'exactions ? Comment une vue satellite du Soudan a été mal interprétée
Capture d'écran (réalisée le 5 novembre) d'une publication publiée le 3 novembere et vue plus de 15 millions de fois, qui prétend montrer des exactions des FSR. © X / Montage Les Observateurs

Une image Google Earth de 2024 d'animaux

Après la prise d'El-Facher le 26 octobre par les FSR, organisations et observateurs ont dénoncé les nombreuses exactions de ces troupes paramilitaires contre la population civile. L'ONU a dénoncé dès le 30 octobre des "atrocités" commises, tandis que la Cour pénale internationale a alerté sur de possibles crimes de guerre et de crimes contre l'humanité après la prise d'El-Facher. 

Toutefois, l'image satellite devenue virale ne montre pas de telles exactions. Dans les heures qui ont suivi la parution de la photo, plusieurs spécialistes de l'analyse d'imagerie satellitaire, comme le directeur des enquêtes au Center for information resilience (CIR), Benjamin Strick, ont dénoncé une interprétation faussée de ces images.

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"J'ai vu des images satellites qui pourraient être des indices de crimes de guerre, en particulier au Soudan où il y a des destructions massives, où il pourrait par exemple y avoir des fosses communes, mais cette image ne montre rien de tout cela", précise-t-il à la rédaction des Observateurs.

Tout d'abord, l'image en question montre la localité de Kumia, située à 300 kilomètres au sud d'El-Facher, et elle ne date pas des récents événements liés à la prise de la ville. Les informations indiquées par Google Earth précisent en effet que l'image satellite a été prise le 16 mars 2024, soit plus d'un an et demi auparavant.

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Capture d'écran de l'interface Google Earth de la localité de Kumia. En bas (en rouge), on trouve la date précise de la prise de l'image satellite, le 16 mars 2024. © Google Earth / Les Observateurs.

Par ailleurs, la tâche, considérée comme une mare de sang par de nombreux internautes, n'est pas nouvelle : une autre image de cet endroit en 2022 montre la même tâche au même endroit. 

Comparaison entre les deux images prises en mars 2022 et mars 2024, qui indique que la tâche au sol était déjà présente en 2022.

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Pour Benjamin Strick, les éléments visibles sur l'image représentent en réalité un point d'eau autour duquel se trouve un troupeau de bétail, et non des corps humains. 

"Quand j'ai vu cette image, elle m'a frappé, non seulement par les différentes couleurs du sol, mais aussi par le fait qu'il y avait beaucoup d'objets par terre. J'avais déjà vu ce genre d'éléments auparavant, autour du bétail, et plus particulièrement des animaux d'élevage."

Un élément confirmé par le fait que des structures similaires - tâches sombres, bétail autour - sont également observables dans les alentours, comme le montre l'image ci-dessous, située à une dizaine de kilomètres et datant de 2022.

Une image "troublante" d'exactions ? Comment une vue satellite du Soudan a été mal interprétée
Capture d'écran d'une image disponible sur Google Earth prise le 27 mars 2022, à une dizaine de kilomètres de la localité de Koumia. Coordonnées : 11°0'26.88"N 26°31'40.30"E © Google Earth
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Capture d'écran (réalisée le 5 novembre) d'une publication publiée le 3 novembere et vue plus de 15 millions de fois, qui prétend montrer des exactions des FSR. © X / Montage Les Observateurs

Des images satellite montrent bien les exactions des FSR

"De toutes les informations qui ont été diffusées au sujet du Soudan au cours des deux dernières semaines, celle-ci est, à mon avis, celle qui a été la plus vue", déplore Benjamin Strick, qui estime que cette intox vue plus de 15 millions de fois dans un seul post sur X au 5 novembre a été vue "plus souvent que n'importe quelle autre vidéo vérifiée et légitime". 

"Pour moi, c'est très préoccupant, car cela signifie que les gens peuvent se dire : 'Peut-être que les autres images montrant des violations des droits humains ne sont pas réelles'. Et pourtant, elles le sont."

L'utilisation d'images satellite demeure en effet centrale dans l'analyse des exactions commises par les FSR ces derniers jours. Dès le 27 octobre, l’université de Yale a montré des charniers dans le quartier Daraja Oula d'El-Facher grâce à des images satellite, qui prouvent la présence de charniers dans la ville.

Une image "troublante" d'exactions ? Comment une vue satellite du Soudan a été mal interprétée
Image satellite publiée le 27 octobre 2025 par le Laboratoire de recherche humanitaire de l’université de Yale. On y voit des traces de charniers dans plusieurs rues du quartier Daraja Oula, à El-Fasher, au Soudan. © X / HRL_YaleSPH

Nathaniel Raymond, membre directeur du Humanitarian Research Lab (Laboratoire de recherche humanitaire) de l’université de Yale, avait expliqué à notre rédaction que des traces rouges de sang étaient apparues "dans des zones où elles n’étaient pas présentes les jours précédents. Il expliquait également que "ces traces apparaissent à proximité de véhicules capables de transporter des mitrailleuses lourdes. La coloration rouge apparaît systématiquement à côté de formes ayant une proportion similaire à celle d’un corps humain."

"Nous ne tirons pas nos conclusions uniquement à partir d'images satellites"

"Nous ne tirons pas nos conclusions uniquement à partir des images satellites,” décrit de son côté Benjamin Strick, qui a également couvert avec le CIR les exactions des FSR à El-Facher à partir d'autres images satellite.

Il explique la nécessité d'être en mesure de recontextualiser ces images avec d'autres éléments factuels : 

"Y a-t-il eu des reportages médiatiques provenant de journalistes locaux ou de sources sur le terrain qui ont confirmé qu'un abus avait bien eu lieu et que les images satellites l'avaient capturé ? Y a-t-il eu des séquences vidéo permettant de recouper ces informations ? Il est important de réfléchir à ce qui est révélateur sur les images satellites, et sur ce que l'on peut en déduire. Nous ne pouvons pas vraiment distinguer un génocide à partir des seules images satellites, et il faut donc vraiment tenir compte d'une multitude de facteurs."