"En vingt ans à gérer des catastrophes, je n’ai jamais vu ça." Samantha Montano, professeure de gestion de situation d’urgence interrogée par le New York Times dimanche 6 octobre, ne parle pas de l’étendue du désastre après le passage de l’ouragan Hélène, la semaine dernière aux États-Unis.
Cette spécialiste évoque plutôt le "déluge de désinformation" qui s’est déversé sur les États-Unis à la suite de cette catastrophe naturelle. Il est notamment question de complot ourdi en secret pour accaparer les terres des victimes, ou encore de rumeurs suggérant que l'argent des secours aurait été détourné.
Désinformation à des fins politiques
Elle n’est pas la seule à dénoncer la multiplication de "fakes news" et théories du complot dans le sillage de cet ouragan qui a causé la mort de plus de 200 personnes, essentiellement en Caroline du Nord ou en Géorgie, deux des États les touchés par la catastrophe. Ces rumeurs "sont complètement fausses et réellement dangereuses", a affirmé Deanne Criswell, administratrice de la Federal Emergency Management Agency (Fema, l’agence fédérale de gestion des crises), lors d’un entretien accordé dimanche à la chaîne ABC.
Quelques jours plus tôt, l’antenne américaine de la Croix Rouge s’inquiétait sur X de "la désinformation qui nuit aux efforts de secours déployés après le passage de l’ouragan Hélène".
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Accepter Gérer mes choixLes "fakes news" qui circulent vont de la théorie du complot la plus farfelue à de la désinformation propagée par Donald Trump pour chercher à nuire au camp démocrate, à quelques semaines de l’élection présidentielle américaine du 6 novembre.
Ainsi, peu après le passage de l’ouragan dans le comté de Rutherford, en Caroline du Nord, les responsables de plusieurs communes touchées s’étaient réunis pour discuter de l’étendue des dégâts, a rapporté le New York Times. Mais peu après, une rumeur a commencé à circuler sur les réseaux sociaux décrivant cette réunion comme une rencontre secrète entre politiciens pour discuter de l’expropriation des victimes de l’ouragan afin de revendre les parcelles de terre ou d’y construire une mine de lithium. "Le seul lithium qu’on peut acheter dans le comté se trouve dans les piles en vente dans les commerces locaux", a été obligé d’expliquer Bryan King, président de la commission du comté.
L’ex-président Donald Trump a, quant à lui, sauté sur l'occasion offerte par cette catastrophe pour tenter d’en profiter politiquement en distillant des "fake news" de son cru. Il a ainsi affirmé que les fonds de soutien aux victimes avaient été détournés par l'administration Biden pour aider les "immigrés clandestins". Le candidat républicain a également suggéré que les démocrates font tout pour empêcher l’aide d’arriver dans les comtés qui votent traditionnellement à droite. Des allégations sans fondement qui ont aussi été reprises par ses principaux soutiens, et plus particulièrement par Elon Musk, le très trumpiste et influent propriétaire de X.
Amplifier les ressorts du complotisme
Les lendemains des catastrophes naturelles sont souvent un terrain propice pour les propagations de rumeurs. "Les situations de crise comme celles-ci sont définies par un mélange de menaces à des éléments essentiels de la vie comme l’intégrité physique, à une incertitude quant à ce qu’il se passe vraiment, et par l’urgence de la situation. Face à cette combinaison de facteurs, il y a une tendance naturelle à vouloir remplir le vide informationnel à tout prix, y compris en baissant les exigences quant aux sources de l’information. C’est une invitation à la désinformation", explique Daniel Nohrstedt, spécialiste de la réponse aux catastrophes naturelles à l’université d’Uppsala, en Suède.
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Accepter Gérer mes choixLes catastrophes naturelles "amplifient les ressorts traditionnels du complotisme", affirme Samuel Auclair, ingénieur en risque sismique et spécialiste de la gestion de crise au Bureau de recherches géologiques et minières. Ceux, par exemple, qui ont tendance à se complaire dans le "tous pourris" ou le "tous corrompus" vont ainsi davantage prêter attention aux "fake news" qui, après une catastrophe naturelle, suggèrent que l’État fait mal son travail pour venir au secours des populations affectées, ou alors détourne l’argent prévu pour reconstruire les zones sinistrées.
Cette fois-ci, "il y a une quantité de désinformation massive et on sent vraiment l’impact de la proximité de l’élection présidentielle sur ce phénomène", estime Samuel Auclair. Un ouragan de désinformation qui peut avoir des effets ravageurs pour les victimes et les secours, préviennent les experts interrogés par France 24. "Il n’y a pas encore vraiment d’études sur l’impact de la désinformation après une catastrophe naturelle, mais elle peut certainement mettre la vie d’une personne en danger", affirme Gina Yannitell Reinhardt, chercheuse à l’université d’Essex qui étudie le processus de prise de décision face aux catastrophes naturelles.
"Si la fausse information discrédite un dispositif de réponse associatif [la Croix-Rouge, par exemple, NDLR] ou étatique, cela peut aboutir à empêcher les gens de s’y associer, et ils peuvent se mettre en danger en refusant l’aide", souligne Samuel Auclair.
Mais la désinformation peut aussi compliquer considérablement le travail des secouristes. "Les fausses informations peuvent détruire la confiance. Et après une catastrophe naturelle, il faut une collaboration étroite entre les équipes de secours et la population locale pour organiser le travail. Ce n’est pas possible si les communautés ont perdu confiance à cause de la désinformation", résume Gina Yannitell Reinhardt.
Preuve que la désinformation a déjà semé les graines de la discorde avec les autorités dans les régions sinistrées, "des résidents ont évoqué la possibilité de former des milices afin de se défendre contre les équipes de la Fema ", a raconté le New York Times. La désinformation a "suscité la peur chez plusieurs de nos employés sur le terrain", a regretté Deanne Criswell.
Comment y répondre ?
Les stigmates de la rumeur peuvent aussi agir à plus long terme. "La réponse à des catastrophes naturelles passent aussi par l’effort de reconstruction, qui peut durer des mois. Là encore, si la confiance est entamée à cause de fausses informations, cela peut compliquer le travail sur le terrain", estime Samuel Auclair. Et retarder tout le processus, ce qui peut engendrer des coûts additionnels pour une catastrophe dont l’impact économique en termes de destructions de propriétés et d’infrastructures est déjà estimé à plus de 30 milliards de dollars.
Le flot de désinformation qui s’est répandu en ligne après le passage de l’ouragan Hélène pose un défi inédit pour y faire face. "Il y a une dizaine d’années, j’avais publié une étude sur le rôle des réseaux sociaux lors des catastrophes naturelles, et j’étais plutôt optimiste. Comme le monde a changé ! L’utilisation des réseaux sociaux à des fins de désinformation est devenue toujours plus importante, comme le démontre ce qui se passe en ce moment", souligne David Alexander, spécialiste de la planification des réponses aux catastrophes naturelles à l’University College de Londres.
"Il y a une compétition entre les autorités et ceux qui propagent les rumeurs pour contrôler le narratif ou les informations qui vont être entendues par la population", affirme Daniel Nohrstedt.
Tout est une question de timing, et "lancer des rumeurs ne prend que quelques secondes, mais répondre avec des faits étayés peut prendre beaucoup plus de temps", ajoute Samuel Auclair. Les autorités ont aujourd’hui pris la mesure du défi de la désinformation en temps de crise, et "savent qu’il faut répondre rapidement et essayer de toucher le plus large public possible", assure Daniel Nohrstedt.
Mais que faire quand il y a en face deux mastodontes de la désinformation, comme Elon Musk et Donald Trump ? "C’est extrêmement compliqué, et on s’aperçoit qu’il faut accorder encore plus de ressources aux stratégies de communication pour contrer ses narratifs", reconnaît Daniel Nohrstedt. Des ressources qui auraient pu être affectées, en d’autres circonstances, à porter secours aux victimes de l’ouragan Hélène ?