logo

Le français, une langue vivante grâce aux mots des quartiers
À l’occasion du XIXᵉ Sommet de la Francophonie les 4 et 5 octobre, France 24 a interrogé plusieurs linguistes sur le dynamisme du français. Une langue qui s’enrichit, notamment grâce aux mots utilisés par les jeunes de quartier et véhiculés par les artistes de rap dans leurs chansons.

Pour afficher ce contenu , il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

"Bail", "Floco", "Y’a R" ... Chaque année le français s’enrichit de nouvelles expressions et de nouveaux mots, même si tous ne figurent pas dans les dictionnaires. Des linguistes appellent à sortir de l’idée qu’une langue se résume au contenu du Larousse ou du Robert.

"Le dictionnaire reflète assez peu ou pas suffisamment l'usage d’une langue par rapport à sa mission, et encore moins l'usage des jeunes, plus mouvant et plus innovant", souligne Julien Barret, linguiste. Sur les près de 550 nouveaux mots intégrés chaque année par les dictionnaires classiques, rares sont les mots du langage populaire ou de la banlieue, a-t-il constaté. Entre autres explications, d’après ce linguiste qui connait bien la question pour avoir écrit "Les Nouveaux Mots du dico" (First édition, 2020), il y a un "jugement social" porté par les auteurs de ces "bibles" de la langue française.

L’absence de l’expression "wesh" dans Le Petit Larousse illustré constitue à ses yeux l’exemple le plus flagrant de cette défiance envers les mots des quartiers populaires. Pourtant cette interjection est largement utilisée depuis les années 1990 par les jeunes français. Le Robert, lui, a fini par l’intégrer en 2009, la définissant comme un adverbe interrogatif signifiant "Comment ?", "Quoi ?", "Que se passe-t-il ?".

"Les nouveaux mots ne menacent pas la richesse d’une langue"

Les évolutions de la langue française font aussi l’objet de crispations politiques, à l’instar des critiques essuyées par l’artiste Aya Nakamura à quelques mois de sa prestation à la cérémonie d’ouverture des JO de Paris 2024. La chanteuse reçoit alors de nombreuses insultes racistes, portées pour la plupart par l'extrême droite, l’accusant de ne pas chanter en français ou encore de "maltraiter" la langue. Avant elle, d’autres artistes ont été ciblés de la même manière, par des personnes qui estiment que l’emploi de ces nouveaux mots menacent leur identité. "Or, les nouveaux mots ne menacent pas la richesse d’une langue", assure Julien Barret.

"Dès qu'il y a des choses qui sont codées dans les textes et que les gens ne comprennent pas, ils pensent que ce n’est pas du français, que c'est de la cacographie (des fautes de syntaxe, de vocabulaire ou de style d'un écrit, NDLR). Alors qu'en fait, ces auteurs-compositeurs écrivent des choses sciemment pour essayer de renouveler ou de créer un effet poétique. Il suffit de faire un commentaire de texte sur la chanson "Djadja" pour se rendre compte de toute la richesse du travail", estime encore le linguiste, auteur également du "Grand Livre des Punchlines, de Sénèque à Nekfeu" (First éditions, 2023).

Linguiste à l’université Sorbonne Nouvelle, Maria Candea rappelle que le Français fait partie de cette dizaine de langues au monde qui sont parlées par des centaines de millions de personnes, alors que près de 7 000 langues existent sur la planète. "Et donc forcément, c'est une langue dont le vocabulaire bouge énormément et connaît des variations régionales, sociales et de toutes sortes".

Mais contrairement à l’anglais ou à l’espagnol, estime Maria Candea, la langue française fait l’objet d'"un fantasme de norme unique", à l’origine de crispations. Un mythe incarné par l’Académie française. La chercheuse, qui a plus particulièrement étudié la question des accents, souligne que pour l’espagnol, il existe une académie dans chaque pays hispanophones et toutes travaillent toutes ensemble pour la description de l'espagnol. "Il y a donc une prise de conscience que la langue espagnole est extrêmement variable, qu'il faut la considérer dans toute cette variété et réfléchir à la manière dont on l'enseigne". Quant à l'anglais, il n'y a pas d'académie du tout, poursuit la chercheuse.  

"Cette idéologie autour du français peut-être très insécurisante, et un peu mortifère, car elle donne l’image d’une langue 'élitiste' et 'pas sympathique', qui ne donne pas envie d'apprendre le français, par rapport à la concurrence avec l'espagnol en particulier".

La langue française digère les mots

"L'idée qu'il y aurait un bon et un mauvais français, ça n'est pas nouveau", poursuit Julien Barret, qui regrette une méconnaissance du fonctionnement d’une langue, de l’histoire du français moderne et de ses évolutions depuis le latin. "À la Renaissance, 7 000 mots arrivent de l'italien. Il y a des gens qui crient au scandale, mais la langue française va les intégrer. Et ça deviendra 'grotesques', 'alarme', 'cantatrice', 'artichaut', 'perruque'...".

D’après lui, la langue française a cette spécificité de digérer les mots, de les transformer, contrairement à l’italien par exemple, où la plupart des mots empruntés à l’anglais sont utilisés tels quels. "En français, les mots américains, et toutes sortes d’emprunt (à l’arabe, à l’antillais, au gitan et maintenant au nouchi [parlé en Côte d’Ivoire] et au franglais de l’Afrique de l’ouest) deviennent des mots français, avec des accords et des désinences [terminaisons] françaises. C’est comme cela que la langue française se fortifie".

Pour afficher ce contenu YouTube, il est nécessaire d'autoriser les cookies de mesure d'audience et de publicité.

Accepter Gérer mes choix

Julien Barret, qui anime de nombreux ateliers de lexique, notamment auprès de très jeunes enfants, relève une véritable "gymnastique intellectuelle" et des "mots d’esprit" dans les expressions et les mots que lui livrent les enfants lors de ces séances, avec "un recours à la fonction poétique et humoristique du langage".

Aujourd’hui, les mots voyagent très vite, ajoute encore le linguiste, via les influenceurs et les jeunes sur réseaux sociaux. Les artistes de rap savent les prendre au vol et les "fixer sur un support sonore et écrit". L’apparition de nouvelles expressions relève parfois de la mode, se diffusant très vite et disparaissant aussitôt, relève Maria Candea. Ce qui peut expliquer que les dictionnaires classiques décident de ne pas intégrer ces mots.