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Accepter Gérer mes choixJoe Biden voulait la désescalade au Proche-Orient. Non seulement le président américain n'a pas été servi, mais il a eu droit, mardi 1er octobre, à un déluge sans précédent de missiles iraniens tirés sur Israël.
Une attaque qui a suivi l'annonce d'"incursions limitées" de l'armée israélienne sur le sol libanais. Une Opération militaire qui, elle-même, a débuté peu après une série de "frappes ciblées" contre des dirigeants du Hezbollah ayant culminé avec la mort de Hassan Nasrallah, le leader de la milice chiite pro-iranienne, lors d'un bombardement israélien sur Beyrouth le 27 septembre.
Une spirale de violences qui a fait écrire mercredi à Haaretz, l'un des principaux quotidiens israéliens, que le pays "était désormais engagé dans une guerre régionale".
Rien de tout cela n'était prévu à l'agenda diplomatique du président américain. Il y a à peine une semaine, il espérait – à la tête d'une coalition de pays, dont la France – pouvoir faire accepter un cessez-le-feu de trois semaines à tous les belligérants au Moyen-Orient. Benjamin Netanyahou n'en avait pas voulu.
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Accepter Gérer mes choixAmbitions d'apaisement au placard
Joe Biden réaffirmait encore lundi devant la presse sa volonté d'"avoir un cessez-le-feu maintenant", au moment où l'armée israélienne se préparait à mener ses "incursions" au Liban. Las, il n'a pas été entendu.
Face aux tirs de missiles iraniens, Washington a d'ailleurs depuis rangé au placard ses ambitions d'apaisement. Du moins momentanément. Les États-Unis ont activement participé à l'effort israélien d'interception des missiles iraniens, tout en répétant que l'État hébreu avait le "droit de se défendre".
"L'ancien ministre israélien de la Défense Moshe Dayan est connu pour avoir dit : 'Nos amis américains nous offrent de l'argent, des armes et des conseils. Nous prenons l'argent et les armes, mais ignorons les conseils.' C'est ce que fait Benjamin Netanyahu", note Rob Geist Pinfold, spécialiste des questions sécuritaires et militaires en Israël à l'université de Durham.
Le Premier ministre israélien ne fait pas qu'ignorer l'avis de son allié historique. Il lui arrive aussi de faire comme si Joe Biden n'existait pas. Washington aurait ainsi été pris de court par l'assassinat d'Hassan Nasrallah. Israël n'aurait pas non plus prévenu à l'avance les États-Unis de son intention de faire exploser des milliers de bipeurs et de talkies-walkies aux mains de membres du Hezbollah. Deux opérations qui ont sensiblement fait monter la tension au Moyen-Orient et rendu l'hypothèse d'un embrasement général de la région, honnie par Joe Biden, plus crédible que jamais.
Profiter de la période électorale aux États-Unis
L'État hébreu a aussi transformé à l'occasion les États-Unis en porte-parole de luxe. La décision israélienne de lancer des "incursions limitées" au Liban a ainsi été d'abord annoncée par des "responsables nord-américains".
"Benjamin Netanyahu donne l'impression d'être totalement libre de faire ce qu'il veut sans craindre la moindre conséquence des États-Unis", constate John Strawson, spécialiste du droit international et du Moyen-Orient à l'University of East London. Mais cet expert s'empresse d'ajouter : "Du moins pour les trois à quatre mois à venir."
Car si Benjamin Netanyahu joue les va-t-en-guerre en dépit des efforts diplomatiques américains, c'est "en grande partie dû à l'échéance de la présidentielle américaine de novembre", précise Rob Geist Pinfold. Le Premier ministre israélien "connaît la politique intérieure américaine, il sait que la présidence Biden est en bout de course et que jusqu'à l'entrée en fonction du prochain président en janvier, les autorités américaines n'ont que peu de capital politique pour faire pression sur lui", ajoute John Strawson.
Benjamin Netanyahu mise aussi sur le fait que la candidate démocrate Kamala Harris ne va pas s'aventurer sur le terrain politiquement très glissant du Moyen-Orient durant sa campagne. Quant à Donald Trump, "il représente le Parti républicains, qui est devenu le parti du 'Israël ne peut rien de faire mal'", résume Aaron David Miller, spécialiste de la politique américaine au Moyen-Orient au Carnegie Endowment for International Peace, un cercle de réflexion géopolitique à Washington.
Mais l'élection américaine n'explique pas tout. "Il ne faut pas oublier la pression exercée par les faucons d'extrême droite au sein du gouvernement israélien", souligne Rob Geist Pinfold. Pour cet expert, "Benjamin Netanyahou aurait pu accepter la proposition de cessez-le-feu mise sur la table la semaine dernière, mais ses ministres les plus radicaux lui ont dit qu'il fallait continuer. Le Premier ministre a alors décidé qu'il avait davantage besoin d'eux que des États-Unis."
L'attitude cavalière d'Israël à l'égard des desiderata diplomatiques de Washington illustre aussi le fait que "les États-Unis n'ont plus la même influence qu'au XXe siècle, lorsqu'ils pouvaient imposer leur 'Pax Americana' sans problème", explique John Strawson. Au Moyen-Orient, Washington a pu maintenir l'illusion de sa capacité de dissuasion pendant des décennies, mais le conflit actuel dans la région fait éclater au grand jour le fait que l'équation a changé, notent les experts interrogés par France 24.
"L'État hébreu est devenu le dur à cuir de la région"
"Joe Biden voit peut-être encore Israël comme ce petit pays fragile qui a besoin de la béquille d'une superpuissance, mais en réalité l'État hébreu est devenu le dur à cuir de la région, qui en impose aux autres", souligne Rob Geist Pinfold. Déjà à la fin des années 1990, "Benjamin Netanyahu avait élaboré un plan pour réduire l'aide financière américaine afin de ne plus avoir de comptes à rendre à Washington, estimant déjà qu'Israël était capable de s'imposer seul dans la région", note l'universitaire.
Ce qui ne veut pas dire que les États-Unis n'ont plus aucun moyen de pression. L'aide militaire et financière de Washington reste très utile pour Israël. Et simplement menacer de couper ce soutien, même sans passer à l'acte, serait une manière pour l'administration américaine de signaler qu'elle a des lignes rouges.
Sans aller jusque-là, "les États-Unis peuvent aussi arrêter de mettre leur veto à toutes les résolutions de l'ONU hostiles à Israël", explique Rob Geist Pinfold. Une décision qui pourrait être lourde de conséquences pour l'image internationale de l'État hébreu.
C'est pourquoi Benjamin Netanyahu est pressé. Un pouvoir américain renforcé, après la présidentielle, pourrait être tenté de taper plus fort du poing sur la table. Le problème est qu'en misant ainsi sur l'incapacité actuelle de Washington de lui imposer ses volontés, Israël rend le monde plus dangereux, d'après les experts interrogés par France 24.
"À chaque fois que Washington échoue à s'imposer face à Israël, c'est un message envoyé au monde démontrant que la projection de force des États-Unis sur la scène internationale se dégrade rapidement", estime John Strawson. "Xi Jinping ou Vladimir Poutine vont voir la manière dont Israël peut défier les volontés de son allié sans conséquence et se dire que les États-Unis n'ont plus cette volonté ou capacité de se faire entendre", ajoute cet expert.
Le conflit actuel "peut donner l'impression que les États-Unis sont soit impuissants, soit complices d'Israël. Dans les deux cas, cela va dégrader davantage l'image de la superpuissance aux yeux des pays en voie de développement, ce qui arrange les affaires de la Chine et de la Russie", conclut Rob Geist Pinfold.