C’est un grand bond en avant de 13 points par rapport à 2019. Le FPÖ (Parti de la liberté d'Autriche), mouvement d’extrême droite autrichien, est arrivé en tête des élections législatives avec un score de 29,2 % (contre 16,2 % en 2019), d'après les résultats provisoires rendues publiques dimanche 29 septembre.
C’est la première fois depuis 1945 que l’extrême droite se retrouve, théoriquement, en position de placer l’un des siens au poste de chancelier en Autriche. Certes, l’hypothèse semble peu probable puisque le FPÖ n’a pas de majorité à lui seul au parlement et que tous les autres partis ont exclu de participer à un gouvernement dirigé par le responsable de ce mouvement.
Une manière d'établir un cordon sanitaire politique spécifiquement autour de Herbert Kickl, l’artisan du succès électoral pour le mouvement extrémiste. Depuis que ce politicien de 55 ans en a pris la tête en 2022, le parti caracole en tête des sondages.
Herbert Kickl, zéro charisme, 100 % extrême droite
Pourtant, Herbert Kickl n’a rien du leader d’extrême droite charismatique traditionnel capable d’enflammer les foules avec de grands discours. L’homme est généralement dépeint comme plutôt terne, piètre débatteur et refusant mordicus d’étaler sa vie privée pour soigner son image d’homme du peuple. Impossible, par exemple, de l’imaginer se lancer dans une vaste opération de com’ pour évoquer son amour des chats ou autres, comme a pu le faire une Marine Le Pen en France.
En réalité, le FPÖ a réussi à s’imposer dans les urnes en ignorant superbement ce qui semblait jusqu’à présent être l’une des recettes centrales de la montée en puissance de l’extrême droite en Europe : la dédiabolisation.
"Sous l’impulsion d’Herbert Kickl, le parti s’est radicalisé par rapport à l’ère de son prédécesseur Norbert Hofer, qui représentait une extrême droite plus soft", assure Georgios Samaras, spécialiste de l’extrême droite européenne au King’s College de Londres. "À l’heure actuelle, le FPÖ autrichien fait partie des mouvements les plus à l’extrême droite sur l’échiquier politique européen", confirme Michael Zeller, spécialiste de la violence politique et des partis d’extrême droite en Europe à l’université Louis-et-Maximilien de Munich.
"D’un point de vue agenda politique, le FPÖ autrichien se rapproche des idées défendues par l’AfD allemande, et Herbert Kickl voue ouvertement une admiration pour le style de gouvernement autoritaire de Viktor Orban en Hongrie", précise Georgios Samaras.
Il s’est hissé à la première place des législatives en adoptant les positions conspirationnistes du mouvement antivax, en évoquant librement la théorie raciste du grand remplacement, en dénonçant la prétendue culture pro-LGBTQ+ en Occident, et en s’opposant aux sanctions contre la Russie. Un bingo presque parfait de l'extrême extrême droite.
Autriche et Allemagne, des cas à part ?
Il ne manque que des références à des idéologies dangereuses du passé. Herbert Kickl ne les a pas oubliées. Il a fait de fort peu subtils appels du pied aux militants néonazis en affirmant qu’il serait un "Volkskanzler", c’est-à-dire un "chancelier du peuple". Un terme utilisé ad nauseam par Adolf Hitler dans les années 1930.
Il y a certes un contexte local qui explique pourquoi un personnage aussi ouvertement à l’extrême droite a pu enregistrer un tel succès électoral. Le FPÖ a déjà participé à une coalition gouvernementale en 1999 – après avoir obtenu 28 % aux législatives – ce qui fait de lui "un mouvement qui apparaît déjà comme un parti de gouvernement", souligne Michael Zeller.
"Depuis 1986, le FPÖ réalise des très bons scores, et il n’y a pas de raison pour lui de poursuivre une stratégie de dédiabolisation", note Claire Burchett, politologue au King’s College de Londres, qui a travaillé sur les mouvements d’extrême droite en Allemagne, en Autriche et en France. Pour elle, les scandales de corruption qui ont éclaboussé l’ÖVP – Parti populaire autrichien (droite) – au début des années 2020 ont aussi "été fondamentaux pour expliquer la hausse de popularité du FPÖ".
Herbert Hickl n’est cependant pas le seul leader d’extrême droite en Europe à séduire l’électorat tout en refusant de jouer le jeu de la dédiabolisation. En Allemagne, l’AfD a enregistré ses meilleurs scores dans l'est du pays avec des candidats comme Björn Höcke, qui incarnent l’aile droite de l’extrême droite.
Là encore, "le succès de l’AfD dans ces régions tient beaucoup à l’histoire politique spécifique de l’Allemagne de l’Est : mécontentement envers l'Ouest, sentiments victimaires, prévalence des sentiments anti-immigration, manque de représentation politique au niveau national", résume Claire Burchett.
Risque de contagion
Mais le fait que de plus en plus d’électeurs passent outre des discours ouvertement extrémistes n’est pas qu’une affaire de contexte régional, assurent les experts interrogés par France 24. "Tout le processus de dénazification et de travail sur la mémoire de la Seconde Guerre mondiale n’est plus aussi fort en Autriche ou en Allemagne, mais aussi dans d’autres pays. De ce fait, une part grandissante de l’électorat, surtout parmi les jeunes, est moins susceptible de réagir négativement aux références que certains partis d’extrême droite font à cette période", soutient Georgios Samaras. Autrement dit, le prix politique à payer en Europe pour faire des clins d’œil à l’électorat néonazi est devenu moins élevé.
En outre, "les partis de centre droit ont aussi contribué à cette situation", assure Michael Zeller. Pour lui, la droite de gouvernement se montre trop encline à reprendre des arguments d’extrême droite à son compte dans l’espoir de chasser sur ses terres électorales. "Par exemple, lorsqu’Ursula von der Leyen [présidente de la Commission européenne, NDLR] suggère que sous son impulsion l’Union européenne a réussi à 'endiguer le flux migratoire venu d’Afrique du Nord', le message qui passe est que les partis d’extrême droite avaient raison", souligne ce spécialiste.
Pour Michael Zeller, c’est une "dérive très dangereuse pour la démocratie, car plusieurs études indiquent que lorsque les mouvements centristes adoptent la rhétorique des partis d’extrême droite, cela renforce simplement la crédibilité de ces mouvements". Ils ont donc moins d’efforts à fournir pour apparaître "normaux" aux yeux des électeurs et peuvent pousser le curseur toujours plus à droite.
Certes, avec l’Autriche, ce n’est pas un pays majeur de l’Union européenne qui se tourne dangereusement vers une extrême droite décomplexée. Cependant "quand il s’agit d’influence de l’extrême droite, il n’y a pas de petit pays. L’exemple du FPÖ va inspirer d’autres mouvements d’extrême droite à travers l’Europe", affirme Georgios Samaras.
Pour lui, c’est d’autant plus probable que le cœur de la campagne menée par le FPÖ n’était pas tourné vers des problématiques spécifiques à l’Autriche. Il a été question de guerre en Ukraine, des "dangers de l’islam", du "fléau du wokisme" : autant de thématiques que n’importe quel parti d’extrême droite en Europe peut reprendre tel quel.