Le ton de l'ancien deuxième ligne est confiant au retour de Dublin, où il a rencontré, lundi 23 septembre, les représentants irlandais au sein du Conseil de World Rugby, instance qui choisira le nouveau président à la tête du rugby mondial. "Tout s’est très bien passé", confie Abdelatif Benazzi après la réunion au cours de laquelle l'ancien capitaine du XV de France a pu défendre sa candidature à la présidence de cette organisation.
À 56 ans, l’ancien Tricolore a décidé de se lancer un nouveau défi. "C’est un choix que j’ai fait assez récemment", explique celui qui est devenu, en juin 2023, vice-président de la Fédération française de rugby (FFR) délégué à l’international. L'ex-capitaine des Bleus s’est plongé depuis dans les entrailles du rugby mondial, multipliant notamment les rencontres avec ses principaux dirigeants en marge de la Coupe du monde 2023 organisée en France.
Il assure avoir ainsi fait son propre diagnostic sur le fonctionnement de cette discipline qui n’est pas, selon lui, un "sport global" et à qui il reste de nombreux défis à relever. "Il ne fait pas de doute que le rugby mondial est en crise, malgré le succès de la dernière Coupe du monde." Une situation face à laquelle il n’a pas voulu "rester les bras croisés".
Dirigée depuis huit ans par un autre ancien deuxième ligne international, l’Anglais Bill Beaumont, l’institution World Rugby s’apprête à tourner une page, avec l’élection, le 15 novembre, d’un nouveau président et le renouvellement de son conseil de direction. Une équipe dont Abdelatif Benazzi espère bien devenir le capitaine, avec l’objectif de donner un nouveau souffle à ce sport qui, selon World Rugby, compte sur la planète "plus de 500 millions de fans et huit millions de joueurs au sein de 132 fédérations nationales".
L'énorme potentiel de l’Afrique
Abdelatif Benazzi a reçu le soutien de sa fédération nationale pour se présenter, l’une des conditions exigées par Word Rugby afin de pouvoir prétendre à la présidence. Son principal rival, l'Écossais John Jeffrey, a, lui, dû jeter l’éponge après avoir perdu ce précieux soutien, la Scottish Rugby Union lui reprochant sa mauvaise gestion lorsqu’il siégeait au sein de son conseil d'administration, entre 2020 et 2023.
Les candidatures sont ouvertes jusqu’au 15 octobre et les tractations s’annoncent intenses jusqu’au bout. À ce jour, deux personnalités défient Abdelatif Benazzi : l'ancien international australien Brett Robinson et l'Italien Andrea Rinaldo. Face à eux, Abdelatif Benazzi semble en capacité de l’emporter. La principale menace découle en fait pour lui de la tenue d’élections, le 19 octobre, au sein de la FFR. L'actuel président Florian Grill brigue un nouveau mandat et fait figure de favori, mais s’il venait à être battu, la candidature d’Abdelatif Benazzi pourrait être remise en question par la nouvelle équipe dirigeante.
Si le natif d’Oujda, au Maroc, sait que ce scrutin fédéral peut avoir une importance décisive, il entend se concentrer sur son projet au cours des prochaines semaines, en essayant notamment de rallier un maximum de voix chez les "petites nations" du rugby. Il assure vouloir les aider à grandir, en développant, sous la férule de World Rugby, les actions de développement entre les fédérations nationales et les acteurs institutionnels qui participent à des actions de formation dans le monde entier. À commencer par l'Afrique, dont Abdelatif Benazzi connaît bien "l'énorme potentiel", à condition que ce sport parvienne à se structurer correctement sur ce continent.
Afin de mener cette mission, l’institution mondiale a besoin de pouvoir compter sur des acteurs traditionnels solides, à commencer par les grandes fédérations européennes comme la France ou l'Angleterre. Or, la plupart d’entre elles connaissent de sérieuses difficultés budgétaires et ont besoin de retrouver leur équilibre financier. "En renforçant le socle des grandes nations, il sera alors possible de mieux aider les petites", explique Abdelatif Benazzi.
Il estime que le rugby a besoin de renouveler, en préservant ses valeurs tout en s’ouvrant à un nouveau public. "Il faut trouver le moyen de parler aux jeunes, en utilisant plus par exemple les nouvelles technologies", analyse-t-il. "Et il faut parler à toutes les cultures. On ne peut pas faire l’impasse de certains territoires et on doit savoir s’adapter, en proposant par exemple des formes différentes de jeu comme le rugby à 7 ou à 10."
Un ancien capitaine du XV de France
Abdelatif Benazzi puise dans son histoire personnelle pour défendre son projet. "J’ai découvert ce sport à l’école au Maroc, un pays qui n’est pas très rugby. Je suis venu jouer en France où j’ai affronté les préjugés. J’ai aussi joué en Angleterre. J’ai acquis une expertise du haut niveau et je sais parler rugby avec tout le monde", explique cet ex-rugbyman au physique très solide, qui a su se faire une place dans ce sport à grands coups d’épaule.
Arrivé à Cahors à seulement 20 ans, il brille en deuxième division avant de rejoindre le prestigieux SU Agen en 1989, où il jouera pendant 12 saisons. Dans son livre "Une vie à l’essai", préfacé par Nelson Mandela qu’il a rencontré lors de la Coupe du monde de 1995 en Afrique du Sud, il raconte notamment les comportements racistes de certains coéquipiers agenais. Il réussit à s’imposer malgré cela, intégrant les Bleus dès 1990. Il obtient 78 sélections, devenant même capitaine du XV de France en 1996. L’année suivante, le président Jacques Chirac le nomme membre du Haut conseil à l’intégration, alors dirigé par Simone Veil.
En club à Agen ou avec l’équipe de France, Abdelatif Benazzi a notamment eu l’occasion de côtoyer Bernard Lapasset, dernier président français de World Rugby (2008-2016). Et il aimerait pouvoir marcher dans les pas de cette défunte personnalité du rugby mondial qui a notamment joué un rôle décisif pour l’intégration du rugby à 7 au programme olympique en 2016. "Je ne suis pas un politicien. Il faut être pragmatique pour réussir à avancer et je veux y mettre tout mon cœur", analyse Abdelatif Benazzi. Comme il le faisait sur le terrain lorsqu’il était encore joueur.