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"J'étais persuadé que c'était un jeu" : au procès des viols de Mazan, les accusés et leurs paradoxes
Le procès de 50 hommes pour les viols de Gisèle Pelicot est rentré dans le vif du sujet ce jeudi. Les premiers accusés ont défilé à la barre en alternant regrets et contradictions dans leurs témoignages. Pouvaient-ils ignorer l'absence de consentement d'une femme endormie ? Chacun a sa propre version.

Avertissement : le compte-rendu de certains débats peut choquer la sensibilité des lecteurs.

Les prochaines semaines s'annoncent longues et usantes au tribunal d'Avignon. Depuis plusieurs jours, la cour criminelle du Vaucluse fait défiler à la barre les 51 hommes accusés d'avoir violé Gisèle Pelicot dans son sommeil entre 2011 et 2020.

Lunettes de soleil sur le nez, flanquée de ses deux avocats et accompagnée par sa fille aînée Caroline Darian, Gisèle Pelicot va affronter pendant plusieurs semaines ses violeurs. Eux connaissent son visage, pour avoir été invités à la violer par son mari, Dominique Pelicot. Elle les découvre au fil des jours de ce procès hors-norme qui doit se tenir jusqu'à la mi-décembre.

Jeudi matin, Lionel R., 44 ans, voix grave, chemise et pantalon noirs, s'est avancée à la barre face au président de la cour Roger Arata. Ce père de trois enfants, ancien alcoolique, a raconté comment il avait été approché par Dominique Pelicot sur le site de rencontres en ligne Coco.fr. "Il me dit qu'il est en couple, il me fait une proposition un peu originale pour avoir des rapports avec son épouse, il me dit qu'elle dormira, me parle de somnifères, me dit un coup que c'est elle qui les prend, un coup que c'est lui qui donne, ce n'est pas clair. Je ne me pose pas trop de questions, j'étais persuadé que c'était un jeu à ce moment-là."

Déni

Le 2 décembre 2018, Lionel R. se rend au domicile de Dominique Pelicot, à Mazan (Vaucluse). Son hôte le fait se déshabiller dans le salon, puis l'emmène dans la chambre conjugale où il découvre Gisèle Pelicot, endormie, et entièrement nue.

S'en suivront une demi-heure de viol, sous le regard attentif de Dominique Pelicot qui filme la scène et chuchote des consignes pour éviter le risque de réveil de sa femme. "À un moment, elle bouge, et il me demande de sortir de la chambre. C'est à ce moment-là que je reprends un peu mes esprits. Je réalise qu'il y a un gros problème, elle ne doit pas se réveiller devant moi. J'aurais dû partir et réagir bien avant, mais je n'y arrive pas à ce moment-là", raconte l'accusé face aux juges.

Avait-il conscience du viol qu'il était en train de commettre ? "Je n'ai jamais eu l'intention de le faire, mais n'ayant jamais eu le consentement de Gisèle Pelicot, je ne peux que constater que…". Il ne finira pas sa phrase. S'en suivra une longue période de déni, y compris après l'arrestation de Dominique Pelicot en septembre 2020 : "Un matin, je vois un article concernant un monsieur arrêté pour avoir filmé sous les jupes. Au début, je fais le lien, et puis assez rapidement, je me dis que ça ne peut pas être mon histoire […] Je ne peux pas faire partie d'une affaire aussi sordide, j'étais dans le déni."

"J'ai pensé faire un signalement"

Jacques C., 74 ans, père divorcé de deux enfants et adepte du libertinage, fait également connaissance avec Dominique Pélicot sur Coco.fr. La rencontre, le 24 février 2020, est ultra rapide. Quelques heures après les premiers échanges, le mystérieux messager l'invite à son domicile pour s'adonner à des attouchements sur sa femme, préalablement assommée de somnifères.

Là encore, l'accusé ne s'étonne pas en découvrant Gisèle Pélicot inerte dans son lit : "J'avais cette idée d'un couple libertin, dont la femme serait peut-être endormie, s'agissant peut-être d'une personne timide", explique-t-il à la barre. Il décrit ensuite la même scène au domicile des Pelicot : "J'arrive, monsieur Pélicot est nu, en t-shirt blanc, il me demande de me déshabiller dans le séjour. Lorsqu'il me fait rentrer dans la chambre, je sens que les choses ne sont pas bien comme je pensais qu'elles allaient être […] Il m'encourage à la caresser, il chuchote. Je m'exécute, et je m'aperçois qu'il n'y a pas de réaction."

Jacques C. pratique un cunnilingus sur la victime qui finit par s'agiter dans son sommeil. "Dominique me demande de quitter la chambre, c'est pour moi un soulagement, je me rhabille et quand il revient je lui dis que j'ai rien à faire ici". Une fois sortie de la maison, l'accusé aura un moment de lucidité : "Lorsque j'ai traversé le jardin, j'ai pensé faire un signalement. Puis, la vie a repris son cours, le lendemain je vais travailler très tôt, et voilà."

"Il se repent mais c'est peut-être un peu tard"

Du côté des parties civiles, on réprime un fou rire nerveux à l'évocation de la personnalité "généreuse" de Jacques C. pompier puis engagé auprès des restos du cœur. Un juge l'interroge : si Jacques C. prétend faire passer le plaisir de ses partenaires avant tout, pourquoi s'est-il rendu dans la chambre d'une femme endormie et donc "incapable d'exprimer un consentement" ?

Depuis son box, Dominique Pelicot, ne perd pas une miette des échanges. Régulièrement interrogé sur les déclarations de ses complices, il n'hésite pas à démonter leurs discours d'excuses voire à donner une toute autre version. Lionel R. ? "Il se repent mais c'est peut-être un peu tard. Il ne m'a pas donné l'impression d'être éteint pendant l'acte [et] il se garde bien de dire qu'il m'avait demandé comment ça se passait pour droguer ma femme", attaque-t-il. Le retraité, qui risque 20 ans de prison, donne l'impression de vouloir faire plonger un maximum d'accusés avec lui. "Peut-on dire aujourd'hui que ce qui vous reste avec votre épouse, c'est 50 ennemis communs ?", s'était agacé un avocat de la défense la veille. Réponse énigmatique de l'intéressé : "J'espère que non, ce n'est pas ce que je garde d'elle en tout cas".