L’onde de choc provoquée, mardi 17 septembre, par les explosions simultanées de milliers de bipeurs utilisés par le Hezbollah à travers le Liban n’était pas encore retombée qu’une deuxième vague d'explosions meurtrières d'appareils de transmission de type talkies-walkies est venue secouer à nouveau le mouvement de Hassan Nasrallah.
Les deux opérations imputées aux services israéliens par le parti chiite pro-iranien, ont fait au moins 12 morts et quelque 2 800 blessés mardi, et au moins 20 morts et plus de 300 blessés mercredi.
Si des civils figurent parmi les victimes touchées, alors qu’ils se trouvaient dans des lieux publics comme des hôpitaux, ou chez eux, une fillette de dix ans ayant notamment été tuée par l'explosion du bipeur de son père, ces attaques inédites par leur ampleur et leur mode opératoire visaient clairement les membres du Hezbollah et son système de communication.
Outre les atteintes physiques provoquées par les explosions qui vont éloigner durablement ou définitivement un certain nombre de combattants du front, les experts estiment que ces opérations vont impacter directement le fonctionnement interne et la stratégie militaire du parti chiite. Le mode opératoire de ces attaques ont aussi permis de cibler "tout un réseau", souligne le général Dominique Trinquand, ancien chef de la mission militaire française auprès de l'ONU.
Des explosions ont été signalées dans quasiment l'ensemble des fiefs du Hezbollah, dans lesquelles la communauté chiite est majoritaire, comme la banlieue sud de Beyrouth, le Sud-Liban et la Bekaa (est).
"Les explosions blessent et tuent bien sûr, mais en même temps, elles permettent d’identifier ses membres, puisque ces appareils ont été distribués à une certaine hiérarchie du Hezbollah, indique-t-il. Ceux qui sont à l'hôpital, qui ne vont pas pouvoir réagir pendant un moment, sont tout de suite identifiés."
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Accepter Gérer mes choix"En une seule opération, le groupe terroriste Hezbollah a été considérablement touché, écrit John Spencer, responsable des études sur la guerre urbaine au Modern War Institute de l'Académie militaire américaine de West Point, sur X. Non seulement en termes de blessures physiques (...). L'attaque a également mis au jour le réseau du Hezbollah, non seulement au Liban, mais aussi dans d'autres régions du Moyen-Orient où des agents du Hezbollah ou des agents affiliés portaient ce bipeur (...)".
Quatorze membres du parti islamiste ont été blessés mardi en Syrie par l'explosion de leurs bipeurs, a indiqué l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH).
Un système de communication compromis
Créé en 1982 pour lutter contre l’occupation israélienne du Sud-Liban, la milice islamiste soutenue et financée par Téhéran s’est muée au fil des ans en un mouvement politico-militaire directement impliqué dans plusieurs points chauds de la région (conflit israélo-palestinien, guerre en Syrie, soutien des Houthis au Yémen …).
Devenu un des piliers de "l’axe de la résistance" chapeauté par son parrain iranien, le mouvement libanais est entré en action contre l’État hébreu en solidarité avec les habitants de la bande de Gaza et pour soutenir le Hamas, que le Premier ministre Benjamin Netanyahu a promis d’annihiler après les attaques du 7 octobre.
Depuis sa fondation, le Hezbollah se renforce et opère dans l’ombre en basant son fonctionnement interne sur la discrétion de ses membres pour éviter d’être infiltré par les Israéliens ou des espions locaux recrutés par le Mossad.
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Une de ses obsessions sécuritaires reste l’imperméabilité de son système de communication pour échapper aux capacités technologiques israéliennes, réputées parmi les plus évoluées au monde. Ces derniers mois, certains de ses commandants militaires ont été éliminés par des frappes de drones israéliens, après avoir été trahis par la géolocalisation de leurs téléphones portables.
"Jetez vos smartphones, enterrez-les, mettez-les dans une boîte de métal et éloignez-les", avait ordonné, lors d’un discours télévisé prononcé en février, Hassan Nasrallah pour se protéger contre le piratage.
Mesrob Kassemdjian, spécialiste du Moyen-Orient et du Hezbollah au SOAS (École des études orientales et africaines) à l’université de Londres, explique que le Hezbollah a cherché à répondre à la surveillance israélienne de tous les systèmes de communication du Liban par deux méthodes.
"La première est la simplicité, en s'appuyant sur des appareils de basse technologie, ou en passant des messages oralement, directement entre dirigeants ou via des messagers de confiance, explique-t-il. D'autre part, ils disposent depuis longtemps d'un réseau de communication sécurisé et indépendant sur l'ensemble du territoire libanais. Un système que les Israéliens n'ont semble-t-il réussi à percer que récemment, d’où l'achat d’un nouveau lot de bipers." Un lot visiblement compromis.
"Ces explosions détruisent complètement ce système de communication qui venait d’être renouvelé par le Hezbollah, qui se méfie à la fois des personnels infiltrés et des moyens de communication, estime le général Dominique Trinquand. Le système des bipers a été mis en place parce que contrairement aux smartphones, ils ne permettent pas de géolocaliser leur utilisateur. Or il a été piégé de façon encore plus sophistiquée".
Outre la perturbation du système de communication, John Spencer évoque "un impact psychologique massif" sur les membres du Hezbollah.
"La guerre est une lutte de volontés, écrit-il sur X. Elle fait appel à la psychologie et aux émotions. L'impact psychologique [de cette opération, NDLR] est énorme. Le Hezbollah ne peut pas faire confiance à son équipement, ne peut pas communiquer (...), va probablement modifier de nombreux éléments de ses opérations et risque de commettre d'autres erreurs qui pourront être exploitées."
Et d’ajouter : "D'une simple pression sur un bouton, la peur a été semée en masse au sein des forces du Hezbollah".
Dissuader le Hezbollah ?
Mardi et mercredi, les explosions ont été suivies de scènes de panique et de chaos dans les rues et dans les hôpitaux vers lesquels les victimes et les blessés étaient transportés. Des images qui tranchent avec la sérénité et la confiance que cherche à renvoyer le Hezbollah, qui a forgé son image dans son rapport de force avec l’armée israélienne, notamment après la guerre de 2006 qu’il estime avoir remportée.
Une image, qui en plus de son arsenal qui est plus important que celui de l’armée libanaise, lui permet de dominer politiquement le pays du Cèdre et de lui imposer son agenda régional.
Alors que certains parlent d’une "humiliation" pour le parti chiite après ces séries d’explosions, peut-il voir ses rangs, militaires et civils (le parti est à la tête de nombreuses institutions scolaires et médicales) perturbés par ces attaques ?
Le mouvement, qui s’est nourri dans le passé des conflits régionaux pour monter en puissance, peut-il se relever après ces opérations qui l’ont visé jusqu’à dans les poches de ses membres ?
"Il est certain qu'il y aura beaucoup de colère après cette défaillance autour du contrôle des bipers, estime Mesrob Kassemdjian. Mais je ne m'attends pas à ce que des membres quittent l'organisation à cause de cela, ou que celle-ci s’effondre. Non, en fait, on pourrait voir au contraire plus de gens rejoindre le Hezbollah pour venger leurs parents et leurs amis, puisque les blessés et les victimes sont des membres de l'aile sociale et politique, et pas seulement des militaires".
Pour Mesrob Kassemdjian, l’ampleur des opérations de ces deux derniers jours et les importantes représailles promises par le Hezbollah, "vont une nouvelle fois, lui permettre de jouer son rôle de résistance".
Et de conclure : "Cela aura pour effet de mobiliser davantage de recrues pour l'organisation et aussi de la rendre plus pertinente politiquement, non seulement au Liban mais dans toute la région. Une telle attaque ne va pas dissuader le Hezbollah, en fait, elle pourrait même le rendre plus fort".