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Algérie : économie, sécurité, démocratie... les défis du second mandat d’Abdelmadjid Tebboune
Réélu avec près de 95 % des voix au terme d'un scrutin verrouillé et boudé par une grande partie des électeurs, le président Abdelmadjid Tebboune, 78 ans, rempile pour un second mandat aux défis colossaux.

Il était le grandissime favori du scrutin. Sans surprise, le président algérien Abdelmadjid Tebboune a été officiellement réélu dimanche 8 septembre avec près de 95 % des voix. Quels sont les défis qui l'attendent ? Entre un chômage des jeunes endémique, une économie encore trop peu diversifiée et une situation géopolitique explosive, retour sur les dossiers chauds que doit traiter le chef de l'État algérien.

  • Freiner la dépendance aux hydrocarbures

C'est le serpent de mer dès que l'on évoque le destin économique de l'Algérie. Premier exportateur africain de gaz naturel, dont les cours ont flambé depuis l'invasion russe à grande échelle de l'Ukraine en février 2022, les hydrocarbures continuent de représenter 95 % des recettes en devises du pays. Une manne qui permet de remplir les caisses de l'État mais rend Alger vulnérable aux chocs extérieurs et paralyse le développement des autres secteurs d'activité.

"Les importations absorbent une bonne partie de la manne gazière car l'Algérie produit peu. C'est un problème ancien et qui n'a que peu évolué. Le pays doit s'engager vers une économie productive et relancer son industrie", estime Camille Sari, docteur en sciences économiques et président de l'Institut euro-maghrébin d'études et de prospectives.

"C'est un peu le paradoxe algérien. Ce qui pourrait être considéré comme un avantage comparatif est contre-intuitivement quelque chose qui peut empêcher le développement d'une économie", résume pour sa part auprès de RFI Mohamed Loucif, enseignant en économie et finances publiques.

Pour limiter cette ultradépendance qui a mené l'économie au bord du gouffre pendant la pandémie de Covid-19, le pouvoir algérien s'est notamment décidé à développer la filière touristique. L’État algérien espère accueillir plus de 12 millions de visiteurs étrangers en 2030. Plusieurs mesures incitatives ont été adoptées lors du premier mandat d'Abdelmadjid Tebboune, comme une exemption de visa préalable pour les touristes étrangers visitant le Sahara algérien dans le cadre de voyages organisés.

Le pays cherche également à diversifier son économie en s'ouvrant davantage aux capitaux étrangers et en favorisant l'entrepreunariat et l'agriculture, un secteur qui se heurte au défi de la désertification. Encourager ces évolutions constituera à coup sûr l'un des objectifs majeurs de ce second quinquennat.

  • Lutter contre le chômage des jeunes 

Une jeunesse diplômée qui peine à se faire embaucher. Le problème est au cœur des débats depuis des décennies en Algérie. Des milliers de jeunes ne trouvent pas d'emploi correspondant à leur formation et beaucoup doivent se résigner à effectuer des petits boulots précaires de l'économie informelle : coursiers, vendeurs à la sauvette, conducteurs de VTC...

"La population algérienne est très jeune. Parmi les 46 millions d'habitants, plus des deux tiers ont moins de 40 ans", rappelle Axel May, chroniqueur international à France 24.

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Selon les données de la Banque mondiale, le chômage des moins de 24 ans en Algérie dépassait les 30 % en 2023. Abdelmadjid Tebboune, qui estime que son premier mandat a été entravé par le Covid-19, a promis de mettre les bouchées double.

Lors de la campagne, le président sortant a annoncé dans les années à venir la création de 450 000 nouveaux emplois et un relèvement de 13 000 à 20 000 dinars (133 euros) de l'allocation chômage mensuelle, qu'il a créée en 2022 pour les primo-demandeurs d'emploi âgés de 19 à 40 ans.

"Les réserves de change générées par la rente gazière permettent d'acheter la paix sociale. Cette situation contente les dirigeants algériens", note Camille Sari.

Face au manque d'opportunités, de nombreux de jeunes Algériens sont tentés par la "harga", la traversée clandestine de la Méditerranée vers l'Europe. Pour les décourager, les autorités ont criminalisé les tentatives d'émigration illégale.

Plus généralement, le président sortant est attendu sur la question du pouvoir d'achat alors que l'inflation a fortement pesé sur le panier des ménages.

  • Rétablir la sécurité aux frontières

Sur le plan régional, le second mandat du président Tebboune s'ouvre dans un contexte de fortes tensions à ses frontières avec le Mali, la Libye et le Maroc. Une kyrielle de crises qui pèse sur la stabilité du pays et signe un affaiblissement de son poids géostratégique.

Alors que le torchon brûle avec Rabat sur la question du Sahara occidental, Bamako a dénoncé en janvier l'accord d'Alger signé en 2015 avec les groupes rebelles pour stabiliser le nord du Mali. Sur le terrain, les autorités maliennes, soutenues par les paramilitaires russes du groupe Wagner, ont relancé les hostilités et accusent Alger de soutenir ses alliés arabes et touaregs. Une situation qui n'a pas manqué de jeter une ombre sur la relation historique entre l'Algérie et la Russie. 

Comme si cela ne suffisait pas, les mouvements de troupes du général libyen Haftar à proximité du Sud-Est algérien ont également suscité l'inquiétude d'Alger qui a placé fin août le pays en état d’alerte sécuritaire. 

"Cette situation géopolitique bouscule la doctrine algérienne de non-ingérence [...] et les dirigeants vont devoir réfléchir à d'autres moyens et stratégies pour rétablir la crédibilité de la diplomatie algérienne qui est fragilisée", analyse sur l'antenne de France 24 Brahim Oumansour, chercheur associé et directeur de l’Observatoire du Maghreb à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS).

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Quant à la relation avec la France, elle est au plus bas depuis qu'Emmanuel Macron a apporté son soutien fin juillet au plan d'autonomie de son rival marocain pour le Sahara occidental, théâtre d'un conflit vieux de près de 50 ans. 

  • Quel espace démocratique en Algérie ?

Arrivé au pouvoir en 2019 au beau milieu du Hirak, le président Tebboune a affirmé s'inscrire dans la lignée du mouvement prodémocratie qui a conduit à la chute du régime d'Abdelaziz Bouteflika. Rapidement, le Hirak s'est pourtant éteint sous l'effet des interdictions de rassemblement liées au Covid-19 et de l'incarcération de ses principaux animateurs.

Au cinquième anniversaire du Hirak, en février, l'ONG Amnesty International déplorait une "répression continue" des "droits à la liberté d'expression, de réunion pacifique" et d'association, réclamant la libération des détenus politiques.

Selon le Comité national pour la libération des détenus (CNLD, algérien), des dizaines de personnes liées au Hirak ou à la défense des libertés sont encore emprisonnées ou poursuivies.

Le bilan d'Abdelmadjid Tebboune souffre d'un "déficit démocratique", analyse pour l'AFP Hasni Abidi, du Centre d'études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam), y voyant un signe de fragilité pour l'avenir et un handicap pour son nouveau mandat.

Le pouvoir algérien fera-t-il le choix d'offrir une respiration démocratique et de desserrer l'étau qui pèse sur les militants et les journalistes dans les prochains mois ? Rien n'est moins sûr, estime Camille Sari, qui voit dans le score "à la soviétique" obtenu par le président sortant la manifestation d'un raidissement du régime dominé par les militaires et un retour aux vieilles pratiques de l'ère Bouteflika. "Ce score inouï prouve que le pouvoir ne souhaite laisser aucune marge de manœuvre à l'opposition", estime le chercheur.

Avec AFP