L’armée russe s’approche de la ville de Pokrovsk, un important nœud logistique ukrainien dans le Donbass. Une percée qui, pour certains, remet en cause la pertinence de l’opération ukrainienne dans la région russe de Koursk. L’offensive a en effet souvent été présentée comme une tentative de détourner la Russie de son objectif dans le Donbass.
Et pourtant, ils avancent. Alors que les forces ukrainiennes contrôlent toujours plus de 1 000 km² dans la région russe de Koursk, l’armée russe, quant à elle, gagne du terrain dans le Donbass. Elle se trouvait à moins de dix kilomètres de la ville de Pokrovsk, lundi 2 septembre, d’après les informations rendues publiques par le ministère britannique de la Défense.
“La situation est devenue incontrôlable”, s’est plaint sur Telegram vendredi 30 août, Roman Ponomarenko, un officier de la garde nationale ukrainienne. Pour lui, les défenses ukrainiennes ont cédé et ce serait tout le front dans le Donbass qui se serait “effondré” depuis la percée russe vers Pokrovsk.
Défendre Koursk plutôt qu'attaquer dans le Donbass ?
Moins pessimiste, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est contenté de concéder que le front autour de Pokrovsk était “le plus difficile [à défendre, NDLR]”. “Leur but n’a pas changé”, a ajouté Volodymyr Zelensky : prendre le contrôle de toute la région de Donetsk.
Une précision qui peut sembler étrange : pour quelle raison la Russie aurait-elle révisé ses objectifs de guerre ? L’Ukraine espérait, en fait, que l’incursion dans la région de Koursk calme les ardeurs de l’envahisseur russe dans le Donbass.
Peu après le début de cette opération en territoire russe le 8 août, les experts militaires interrogés par France 24 estimaient tous que l’un des objectifs de cette incursion était de forcer Moscou à redéployer de précieuses ressources du front du Donbass pour défendre l’intégrité territoriale russe.
La “provocation” ukrainienne dans la région de Koursk “a échoué”, s’est félicité Vladimir Poutine, lundi 2 septembre, en pointant du doigt l’avancée de son armée vers Pokrovsk.
Le maître du Kremlin balaie cependant un peu vite les effets de l’incursion ukrainienne en Russie. Dans le Donbass, “il faut bien se rendre compte que la Russie concentre dorénavant toute son énergie sur le secteur de Pokrovsk”, souligne Gustav Gressel, spécialiste de la guerre en Ukraine au Conseil européen pour les relations internationales (ECFR).
Avant l’incursion dans la région de Koursk, “l’armée russe avançait à sept endroits du front dans le Donbass. Moscou a décidé de redéployer vers Koursk des troupes de la plupart des autres zones d’affrontement, sauf dans la région de Pokrovsk”, précise Huseyn Aliyev, spécialiste de la guerre en Ukraine à l’université de Glasgow.
Pokrovsk, important nœud logistique
Il y a donc bel et bien eu un effet “incursion de Koursk”. Malheureusement pour Kiev, la percée vers Pokrovsk suffit à “fragiliser les défenses ukrainiennes dans toute la région de Donetsk”, affirme Will Kingston-Cox, spécialiste de la Russie à l'International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.
Pokrovsk représente, en effet, “un nœud logistique stratégique important pour l’Ukraine”, souligne Gustav Gressel.
La ville - qui comptait plus de 50 000 habitants avant le début de la grande offensive russe en Ukraine en 2022 - est “située au carrefour de plusieurs routes, autoroutes et lignes ferroviaires, ce qui en fait un point de de passage important pour le ravitaillement et les munitions”, résume Veronika Poniscjakova, spécialiste des questions de sécurité internationale et de la guerre en Ukraine à l’université de Portsmouth.
Si elle tombe, “les Russes se seront ouvert la voie vers les deux dernières grandes villes contrôlées par les Ukrainiens dans la région de Donetsk : Kramatorsk et Sloviansk”, ajoute Huseyn Aliyev.
Pire encore pour Kiev, l’armée russe n’a même pas besoin de prendre la ville pour déstabiliser les défenses dans la région. “Il lui suffit de se rapprocher suffisamment pour pouvoir viser ses axes de transports”, note Gustav Gressel.
Au regard des enjeux dans le Donbass, tous les soldats ukrainiens envoyés à l’assaut de la région de Koursk auraient pu être bien utiles pour ralentir ce rouleau compresseur russe, estiment certains experts. Dans le contexte actuel, “cette opération apparaît comme trop ambitieuse”, estime Will Kingston-Cox. Surtout que “les troupes dépêchées en Russie sont des unités très mobiles”, affirme Gustav Gressel. Ce qui peut être important pour avoir des lignes de défenses capables de se replier rapidement.
Koursk, monnaie d'échange
Un point de vue qui n’est pas partagé par tous. “Je ne pense pas que ces unités auraient pu modifier l’équilibre des forces dans le Donbass”, juge Sim Tack, analyste militaire qui suit la guerre en Ukraine depuis le début du conflit.
L’état-major ukrainien a probablement estimé qu’il “valait mieux les utiliser pour obtenir une victoire marquante dans la région de Koursk plutôt que les envoyer dans le Donbass où leur impact risquait de ne pas suffire”, abonde Huseyn Aliyev.
Le succès ou non de l’incursion en Russie ne doit ainsi pas être mesuré simplement à l’aune de sa capacité à forcer la Russie à redéployer des troupes depuis le front dans le Donbass. “Le territoire que les Ukrainiens contrôlent dans cette région représentera un atout dans de futures négociations de paix”, estime Sim Tack.
Autrement dit, Kiev pourra, le jour venu, tenter d’échanger ces plus de 1 200 km² de territoire russe contre les prises de guerre russes dans le Donbass.
Mais “si Kiev espère vraiment s’en servir comme ‘monnaie d’échange’, c’est probablement un mauvais calcul”, analyse Veronika Poniscjakova. D’abord, parce qu’il n’est pas du tout sûr que les troupes ukrainiennes puissent occuper durablement ce territoire russe.
En outre, “pour que ce territoire en Russie ait une valeur de monnaie d’échange, il faudrait que Moscou donne l’impression d’y tenir vraiment, ce qui n’est pas le cas”, affirme Will Kingston-Cox. En termes de propagande, il est plus important pour le Kremlin de montrer que leur priorité absolue est la prise du Donbass, présentée comme partie intégrante de la Russie. Donner trop de valeur à l’incursion à Koursk donnerait l’image d’une Russie sur la défensive.