Alors que les manifestations des étudiants bangladais ont porté leurs fruits, chassant du pouvoir la Première ministre Sheikh Hasina le 5 août, le pays a vécu quelques jours de forts tumultes avant la nomination d’un gouvernement de transition mené par le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, quelques jours plus tard.

Durant cette période mouvementée, plusieurs affrontements et attaques ont eu lieu, faisant 109 morts rien que le jour de la démission de la Première ministre, selon l’AFP – la journée la plus meurtrière depuis le début des manifestations, en juillet.

Ces attaques visent notamment des membres de la Ligue Awami, le parti de l’ancienne Première ministre qui gouvernait le pays depuis 15 ans.

Sur les réseaux sociaux, des dizaines de vidéos prétendant documenter ces attaques sont devenues virales. Certains des comptes qui les partagent affirment que, depuis que la Ligue Awami n’est plus au pouvoir, les Bangladais en profiteraient pour s’en prendre délibérément à la minorité hindoue.

Un temple hindou brûlé par des manifestants ? Il s’agit en fait d’un restaurant

Un post sur X publié le 6 août a, par exemple, été vu plus de 180 000 fois. Il partage une vidéo publiée par un compte indien partisan de Narendra Modi, le Premier ministre de l’Inde. Sur les images, on peut voir un bâtiment en feu, décrit à tort comme un temple hindou au Bangladesh, "brûlé par des radicaux" après le départ de la Première ministre.

Mais des cellules de fact-cheking de médias, comme Logically Facts ou encore Alt News, un média indien, ont pu déterminer qu’il ne s’agissait pas d’un temple hindou, mais d’un restaurant incendié.

Son propriétaire, Kazi Asadujjaman Shahzada, est le leader d’une branche de jeunesse de la Ligue Awami, le parti contesté par les manifestants. Il n’est pas hindou, mais musulman.

Beaucoup d’autres intox ont été documentées par des médias de fact-checking. Par exemple, sur X, le compte @Salwan_Momika1 a partagé deux vidéos devenues virales. "Cette jeune fille hindoue sera tuée par des musulmans au Bangladesh", écrit-il au sujet de la première. Mais en réalité, la vidéo date de mars 2024 et montre une étudiante qui participe à une manifestation au Bangladesh organisée après le suicide d’une autre étudiante. Il a aussi publié cette deuxième vidéo en affirmant à tort que cette jeune femme, récemment harcelée par une foule au Bangladesh, aurait été visée car elle serait hindoue. En réalité, elle est musulmane : ces personnes s’en sont pris à elle en raison de son affiliation à la Ligue Awami.

Des attaques "à motivation politique"

Des attaques contre des personnes qui seraient hindoues ont bien été constatées au Bangladesh depuis que la Première ministre a fui vers l’Inde. La maison de Rahul Ananda, un chanteur folklorique bangladais de confession hindoue, a notamment été incendiée, et l’artiste a été sauvé de justesse. Plus largement, des attaques contre différentes minorités religieuses du Bangladesh ont été signalées.

Mais d’après les experts régionaux, ces attaques n’ont pas ciblé spécifiquement des personnes hindoues en raison de leur religion. Pour le journaliste bangladais et défenseur des droits humains Zillur Rahman, interrogé par l’AFP, la raison des attaques est avant tout politique : "Fondamentalement, il s'agit d'une motivation politique parce que la Ligue Awami est visée. Il y a quelques hindous qui sont des dirigeants de la Ligue Awami. C'est la principale cause de ces attaques. Ce n'est pas en raison de leur religion."

Au Bangladesh, les hindous représentent 8 % de la population du pays, qui compte 170 millions d’habitants. Cette minorité religieuse est connue pour être un soutien de taille du parti séculier de la Ligue Awami, au pouvoir avant d’être renversé par les étudiants.

Une campagne de désinformation véhiculée par l’Inde

Pour Abhishek Kumar, fact-checker pour le média indien Alt News, cette campagne de désinformation qui prétend que les hindous seraient en danger au Bangladesh est largement alimentée par des nationalistes indiens.

"Une vaste campagne de désinformation concernant les attaques contre les hindous au Bangladesh est menée par l’Inde, par l’intermédiaire de chaînes Telegram et de comptes X. Nous avons constaté que des canaux privés sont créés sur Telegram, au nom de partis politiques du Bangladesh, pour envoyer des contenus haineux sur des canaux publics qui ont une grande audience, en faisant croire qu’il s’agit de la vision officielle de ces partis politiques. L’information mensongère devient ensuite virale sur les réseaux sociaux."

Il a constaté que ces fausses informations étaient aussi partagées par des comptes étrangers à la portée internationale, comme Visegrád 24 et Salwan Momika, qui publient régulièrement de fausses informations. "Ces fausses informations voyagent entre Facebook, Twitter, Instagram et WhatsApp, et sont partagées par les citoyens indiens", ajoute-t-il.

Le fact-checker précise que la droite indienne, dont le BJP (Bharatiya Janata Party), le parti nationaliste du Premier ministre indien Narendra Modi, a un intérêt particulier à diffuser de fausses informations sur les Bangladais, peuple majoritairement musulman :

"De nombreux comptes très suivis, de la droite indienne, publient régulièrement de fausses vidéos liées à l'attaque contre les hindous au Bangladesh. Leur objectif est de diaboliser la communauté musulmane en présentant les hindous comme des victimes, ce qui permet de nuire à l’image de la communauté musulmane minoritaire en Inde et normaliser les persécutions qu’elle subit. Le parti au pouvoir [nationaliste hindou] en bénéficie de temps à autre, en présentant les partis d'opposition comme favorables aux musulmans."

Des conséquences sécuritaires à la fois au Bangladesh et en Inde

Cette campagne de désinformation a pour conséquence de créer la panique des deux côtés de la frontière.

La communauté hindoue au Bangladesh organise actuellement de nombreuses manifestations pour réclamer plus de sécurité. Selon Reuters, des centaines de Bangladais hindous ont également tenté de fuir le pays pour l’Inde.

Abhishek Kumar explique que, du côté de l’Inde, ces fausses informations partagées en ligne ont également des conséquences :

"À cause de ces fausses informations, une grande partie de la population indienne a subi un lavage de cerveau, lui faisant croire que des attaques communautaires étaient planifiées contre la minorité hindoue au Bangladesh. Un législateur du parti au pouvoir (BJP) dans l'État du Maharashtra a ouvertement menacé sur les réseaux sociaux de tuer les Bangladais vivant en Inde. Ces instigations des politiciens ont été tellement persuasives qu'au cours de la semaine dernière, de nombreuses attaques ont été menées contre des musulmans vivant dans des bidonvilles indiens, en les appelant ‘des Bangladais’."

Au Bangladesh, le chef du gouvernement d’intérim, Muhammad Yunus, a exprimé sa "vive inquiétude" face aux attaques contre les minorités. Il a déclaré dans son premier communiqué officiel que les membres de son gouvernement allaient se réunir pour "trouver des moyens de mettre un terme à ces attaques odieuses".

De leur côté, les étudiants bangladais disent vouloir empêcher ces attaques sur les minorités religieuses. Ils organisent des patrouilles nocturnes pour protéger les temples.