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L’interminable attente des Haïtiens de France devant le manoir des Lauriers

, envoyée spéciale à Port-au-Prince – Devant la résidence de l’ambassadeur de France en Haïti où la diplomatie française a provisoirement installé ses bureaux, les Haïtiens résidant dans l’Hexagone cherchent à rentrer chez eux. Notre envoyée spéciale les a rencontrés.

De la résidence de l’ambassadeur en Haïti, il ne reste pas grand-chose. En tout cas, plus grand-chose d’utile. Le luxuriant jardin du manoir des Lauriers s’est, lui, transformé en camp pour les sinistrés français en attente de rapatriement.

La plupart d’entre eux sont rentrés. Restent encore quelques personnes, dont le départ est imminent.

Derrière les lourdes grilles du manoir, gardées par des militaires armés, des centaines d’Haïtiens s’entassent, attendant d’être reçus, éventuellement enregistrés par l’ambassade. Tous n’ont qu’une idée en tête : rejoindre le territoire français, coûte que coûte. 

Au bout de la queue, Bernarde Gertha, 52 ans, s’apprête à passer une nouvelle journée au pied du mur entourant le jardin de la résidence, au bord de la route ultra-fréquentée reliant le centre de Port-au-Prince au quartier de Pétionville. C’est le huitième jour qu’elle passe dans le bruit des moteurs, des klaxons, à respirer le gazole mal brûlé des voitures usées.

"Je veux rentrer en France, rejoindre mes enfants. Je travaille au service d’entretien dans le métro à Châtelet, j’ai mon titre de séjour, j’ai ma carte de résidente française, j’ai mes billets d’avion… Mais je ne peux pas rentrer ! ", raconte Bernarde, d’une voix étonnamment tranquille. Ses quatre filles l’attendent chez elle à Créteil, en banlieue parisienne. Sur le billet d’avion qu’elle tient en main, un trajet direct Port-au-Prince – Paris, en date du 15 janvier.

 "Un no man's land juridique"

Un militaire remonte la file, en hurlant "passeports français, par ici !". Personne ne sort des rangs. "Ah la la, c’est toujours la même chose, on attend, on attend, mais on ne demande que les Français. Ici, depuis une semaine, il n’y a plus que des Haïtiens", soupire Bernarde. Elle est arrivée le 29 décembre au petit matin à l’aéroport de Port-au-Prince. Billet d’avion longuement désiré, économisé sous après sous.

Elle est maintenant coincée. Ni les efforts de sa fille aînée ni les coups de fil de sa  "patronne" au ministère des Affaires étrangères et à ce qu’il reste de l’ambassade de France en Haïti, ne changent la donne.

Dans la file qui s’épaissit, les histoires se ressemblent toutes. Vladimir a 17 ans, il brandit un visa long séjour et tente de rejoindre ses parents en France. Bonhomme Vélon, 58 ans, devait rentrer aujourd’hui, sa femme, ses deux enfants et ses trois petits-enfants sont restés à Saint-Denis, au nord de Paris, "pour le travail ". Lui était parti aider son frère à terminer sa maison, à Peggyville à l’Est de Port-au-Prince. La maison est tombée, sur son frère.

"Nous nous trouvons, au sujet de ces personnes, dans un no man’s land juridique", explique Didier Le Bret, ambassadeur de France en Haïti. L’homme, la quarantaine dynamique, le visage juvénile et la silhouette svelte, est arrivé en poste à Port-au-Prince en octobre dernier. Un éprouvant baptême du feu pour le jeune diplomate. "Toutes nos archives ont été détruites", poursuit-il. "Nous ne savons pas quelle est la situation réelle de ces gens : Haïti est championne toutes catégories confondues de la fraude documentaire. J’ai, dans l’ambassade, une poubelle pleine de faux passeports, très bien faits en République dominicaine".

Ces Haïtiens ne sont pas prioritaires. Ils passeront après les évacuations sanitaires et le rapatriement des orphelins adoptés en France. "On finira bien par évacuer tous les gens qui sont en situation régulière", poursuit le diplomate. "Mais il faut que je rouvre le consulat, que nous constituions de nouveaux dossiers… On ne veut pas ouvrir les vannes. A moins que Paris n’en donne l’instruction". Ce qui, à l’évidence, n’est pas dans l’air du temps.

"En même temps, poursuit-il après un silence, on ne peut pas vider le pays de ses bras et de ses cerveaux. Ce serait aussi catastrophique qu’un second tremblement de terre".