Sur TikTok, les images accumulent plus de deux millions de vues, comme pour cette publication du 1^er août en chinois. Sur une musique dramatique et au ralenti, on peut y voir une femme blonde de dos, portant plusieurs appareils photos. Elle percute le pongiste chinois Wang Chuqin, numéro 1 mondial du classement masculin qui concourt actuellement aux Jeux olympiques de Paris. "Problèmes de sécurité aux Jeux olympiques", commente la personne derrière cette publication, "une journaliste étrangère a frappé le numéro 1 mondial".

Plusieurs publications affirment que cette bousculade serait volontaire, et montrerait le racisme supposé de la journaliste. "Elle a intentionnellement tourné à droite pour lui rentrer dedans, et est partie sans s’excuser", affirme cette autre vidéo du 4 août, vue plus de 800 000 fois. "Maintenant, vous comprenez à quel point c’est difficile pour nos athlètes ? Les Occidentaux sont profondément racistes", affirme cet autre compte sur X le 1^er août en partageant la même vidéo.

Certains utilisateurs vont jusqu’à lancer des appels au harcèlement contre la femme visible sur ces images. Publiant une vidéo prise depuis un autre angle où son visage est visible, cette publication TikTok demande : "Peut-on la retrouver et lui faire faire des excuses publiques ?" Ce compte X en anglais va encore plus loin : "La journaliste suédoise qui a percuté le pongiste chinois s'appelle Johanna Säll et travaille comme photographe. Nommez et faites honte à cette suédoise raciste !"

Qui est la photographe sur ces images ?

Sur la vidéo de l’incident, on peut voir que la photographe qui percute Wang Chuqin porte un dossard floqué des chiffres "1717". C’est cette information qui a permis aux internautes l’accusant d’agressivité envers le pongiste chinois de la retrouver : une image, largement reprise par des pages d’information et des internautes chinois, montre une personne portant ce dossard et présentant son accréditation olympique. Ce document donne le nom de la personne : Johanna Säll.

Il n’a pas été possible à la rédaction des Observateurs de retrouver la source de cette image, qui semble avoir été prise lors d’un contrôle.

Johanna Säll est une photographe suédoise, travaillant pour une agence spécialisée dans les sujets sportifs. Elle couvrait bien les Jeux olympiques de Paris : il est possible de retrouver des photographies à son nom dans plusieurs articles de presse abordant la compétition.

La photographe ne s’est pas exprimée publiquement sur sa collision avec Wang Chuqin. Elle a cependant fermé l’accès à son compte Instagram public à la suite des menaces de harcèlement publiées contre elle sur les réseaux sociaux. La rédaction des Observateurs a tenté de la contacter pour obtenir sa version des événements, sans succès.

Cette bousculade est-elle intentionnelle ?

Pour comprendre si cette bousculade de la part de la photographe était volontaire, comme l’affirment de nombreux comptes, la rédaction des Observateurs s’est penchée sur les images de l’incident.

Comme repéré par le site Techarp, celui-ci a été filmé depuis plusieurs angles : sur l’un d’entre eux, il est possible de voir que la photographe, encombrée par plusieurs caméras, ne regarde pas Wang Chuqin. Elle semble prêter attention à l’écran d’un de ses objectifs.

Un gros plan sur le visage de la journaliste avec cet angle (à partir de 10 secondes) permet de voir qu'elle dit quelque chose à l’athlète juste après la collision : il s’agit probablement d’excuses.

Enfin, un troisième angle (à partir du début de la vidéo) montre que Johanna Säll et Wang Chuqin se situaient tous les deux dans un couloir étroit au moment de la collision. Quelques instants après l’incident, on voit passer un groupe de deux hommes à la gauche de la photographe.

Celle-ci aurait donc bifurqué à droite non pas de manière intentionnelle pour percuter le pongiste, comme l’affirment de nombreux comptes, mais probablement pour esquiver ces deux personnes dans un couloir où la circulation est restreinte.

Toutes les informations tirées des autres angles disponibles de la scène pointent donc vers un simple accident. Il ne semble pas y avoir de raison de penser qu’il s’agirait d’un acte de malveillance de la part de la photographe.

Une "interdiction d’entrée" sur les sites des Jeux olympiques ?

Pourtant, plusieurs comptes ayant relayé la vidéo de la collision entre Johanna Säll et Wang Chuqin ont par la suite affirmé que la photographe avait été exclue des lieux de compétition olympique. La plupart de ces affirmations sont en date du 6 août.

La rédaction des Observateurs a tenté d’entrer en contact avec les organisateurs des Jeux olympiques de Paris en charge des relations avec la presse pour vérifier cette information. Ceux-ci n’ont pas répondu à nos questions.

En revanche, il est possible de retrouver dans des médias suédois des photos prises par Johanna Säll lors d’événements olympiques qui se sont tenus après le 6 août. Dans cet article du média sportif "Sport Bladet" sur le match de quart de finale en handball, qui a vu s’affronter le Danemark et la Suède, on trouve par exemple des clichés de Johanna Säll. Ce match s’est tenu le 7 août à 17 h 30 au stade Pierre-Mauroy de Lille, bien après la publication des messages prétendant que Johanna Säll se serait vue "exclure" des installations olympiques.

Des spectateurs qui traquent les "agressions" contre les athlètes chinois

Certains comptes se sont fait une spécialité de traquer ce qu’ils estiment être des injustices ou des agressions contre les athlètes chinois. Ce compte X anglophone, par exemple, pense en avoir repéré un très grand nombre.

D’un service jugé agressif contre la tenniswoman Zheng Qinwen, de griffures contre les joueuses chinoises de water-polo, ou encore d'un refus supposé du nageur français Léon Marchand de serrer la main du coach chinois, il tire la conclusion qu’il existerait un "mauvais esprit sportif systématique" dirigé contre les sportifs de ce pays.

Ce n’est pas la première fois que Wang Chuqin se trouve au cœur d’une controverse lancée par ce type de comptes. Le 30 juillet, la destruction de sa raquette favorite par un autre journaliste est déjà dénoncée par plusieurs médias chinois et par des internautes comme la source de sa défaite le lendemain contre le Suédois Truls Möregårdh, selon le récit que fait Le Monde de cet incident.