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La guerre du dopage, extension olympique de la rivalité entre la Chine et les États-Unis
Les médias chinois multiplient depuis plusieurs jours les accusations de dopage contre les athlètes américains. Et les Américains ne sont pas en reste. Cette guerre du dopage est tout aussi sportive que géopolitique.
La guerre du dopage, extension olympique de la rivalité entre la Chine et les États-Unis

L’un est premier, l’autre second. Dans la course aux médailles, la rivalité entre les États-Unis, actuellement sur la première marche du podium, et la Chine domine les Jeux olympiques de Paris. En coulisse, cet affrontement se décline aussi depuis le début de la compétition le 26 juillet de manière moins sportive.

Les JO ont dopé leur bras de fer. Littéralement. Les cas d’athlètes accusés de se doper sont utilisés par les deux superpuissances pour se dénigrer mutuellement. Et il est clairement question de bien plus que de sport et de records du monde.

Obsédés par les "dopés" américains

Les médias d’État chinois semblent chaque jour davantage obsédés par les sportifs nord-américains soupçonnés d’avoir été pris la main dans le sac à substances illégales. "Rien que ce matin, j’ai lu cinq articles et éditoriaux à ce sujet dans la presse chinoise", reconnaît Marc Lanteigne, spécialiste de la Chine à l’Université arctique de Norvège.

"Le monde a le droit de savoir si la triche est systématique dans le sport aux États-Unis", s’insurge dans un éditorial de vendredi 9 août le Global Times. Ce quotidien anglophone chinois très pro-Pékin venait de découvrir le dernier "lièvre" levé par Reuters. L’agence de presse britannique a affirmé mercredi que les États-Unis avaient utilisé des athlètes dopés comme "informateurs" pour démasquer des plus gros bonnets de ce trafic.

Les sportifs en question avaient pu continuer à concourir car pour protéger leur "couverture", les autorités américaines n’avaient pas révélé les tests positifs à l’Agence mondiale antidopage (AMA). Pour le Global Times, l’argument américain serait une justification un peu facile pour laisser des "tricheurs" avérés continuer à gagner des médailles.

Les États-Unis ont assuré que des athlètes coupables d’infractions aux règles de l’AMA pouvaient voir leur sanctions allégées ou annulées s’ils contribuaient de manière "significative" à une enquête antidopage. L’agence mondiale a trouvé l’explication un peu cavalière compte tenu du fait qu’elle n’avait même pas initialement été mise au courant de cette "opération" débutée au milieu des années 2010. Pour la Chine, ce n’est qu’un indice supplémentaire du "dopage systémique dans le milieu sportif nord-américain".

L’affaire des dopés "informateurs" intervient juste après ce que les médias chinois ont appelé le "scandale" Erriyon Knighton. La Chinada, l'agence chinoise antidopage, a très officiellement demandé une enquête, jeudi, sur les agissements de son équivalent nord-américain accusé d’avoir blanchi le sprinteur américain juste avant les JO de Paris alors qu’il avait été testé positif à un anabolisant.

Ces accusations font suite à une série de "révélations" depuis une semaine, essentiellement dans le Global Times, qui ont fait d’Erriyon Knighton, double médaillé mondial sur 200 m, le visage d’une Amérique gangrenée par le dopage.

Les États-Unis ont répondu – sans convaincre Pékin – que le sprinteur avait été dopé par accident lors d’une contamination alimentaire.

Réponse du berger à la bergère

Ce feu nourri de critiques contre l’agence américaine antidopage (Usada) peut être vu comme une réponse du berger à la bergère. Avant même le début des JO, le New York Times – avec la chaîne allemande ARD – avait révélé en avril que 23 des meilleurs nageurs et nageuses chinois avaient été testés positifs début 2021 à la trimétazidine, une substance dopante. Le journal américain avait ensuite récidivé à deux reprises – en juin et après le début des JO – pour préciser les accusations contre les nageurs chinois – dont onze ont été retenus pour concourir à Paris – et l’AMA, soupçonnée de complaisance avec la fédération olympique chinoise.

Des élus américains ont même déposé un projet de loi le 30 juillet pour menacer d’arrêter de financer l’AMA si celle-ci ne prenait pas des mesures pour empêcher la Chine de "cacher" les cas de dopage.

Les athlètes chinois ont donc multiplié les médailles sur fond de lourd climat de suspicion de dopage. Le record du monde de 100 m nage libre que le prodige chinois Pan Zhanle a effacé le 1er août a ainsi suscité son lot de moues dubitatives, alors même que l’athlète n’a jamais été testé positif. "Ce n’est pas humainement possible", a ainsi réagi Brett Hawke, un ancien nageur olympique australien.

Ces doutes sur l’honnêteté de leur moisson de médailles est insupportable pour les autorités chinoises. "La Chine fait face à des vents contraires en ce moment, surtout au niveau économique, et le gouvernement a besoin de bonnes nouvelles. Gagner autant de médailles leur permet de nourrir le narratif qu’ils sont une grande puissance", souligne Marc Lanteigne.

Pékin est d’autant plus irrité par ces accusations de dopage qu’elles émanent de leur grand rival. "Les Chinois soupçonnent les Américains d’avoir orchestré une campagne pour minimiser la portée de ces succès", ajoute le spécialiste.

Un bras de fer bien connu

Mais il ne s’agit pas seulement d’une question de fierté nationale contrariée. Cette guerre du dopage "est une occasion de réitérer les reproches que les deux pays se font dans d’autres domaines", note Marc Lanteigne.

Ainsi, quand les Américains s’attaquent à la fois aux autorités antidopage chinoises et à l’AMA, "c’est une manière de suggérer qu’on ne peut pas faire confiance à la Chine qui ne joue pas franc-jeu" et essaie de corrompre les autres pour les rallier à sa cause, estime le sinologue. Ce sont les mêmes arguments avancés par Washington pour dénoncer la "concurrence déloyale" dont ferait preuve la Chine dans le domaine économique et sa supposée capacité à s’acheter les faveurs de pays en voie de développement à grands coups de généreux prêts financiers.

De l’autre côté, les médias chinois ont mis un point d’honneur dans leurs articles à souligner que Pékin était prêt à travailler de concert avec l’Agence mondiale antidopage, et que les États-Unis étaient les grands méchants cherchant à imposer leur vision de la lutte antidopage. "La Chine cherche à se présenter comme l’acteur raisonnable qui veut se comporter correctement sur la scène internationale, et accuse les États-Unis de tout faire pour l’en empêcher", note Marc Lanteigne.

Pékin cherche aussi à faire passer le message que dans le monde sportif comme ailleurs, "les États-Unis cherchent à imposer leurs propres règles là où ils n’ont pas à le faire", ajoute le spécialiste. C’est une déclinaison à la sauce olympique d’une critique fréquente adressée à Washington… et pas seulement par la Chine : celle de vouloir imposer l'extraterritorialité de ses normes. Le sport serait ainsi à ranger dans la même catégorie que la lutte contre le terrorisme ou le blanchiment d'argent, deux domaines où Washington veut jouer au gendarme du monde.

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