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La Cour constitutionnelle thaïlandaise a prononcé mercredi le bannissement pour dix ans du principal opposant Pita Limjaroenrat, la personnalité politique la plus populaire du pays, et la dissolution de son parti prodémocratie, Move Forward, accusé de vouloir déstabiliser la monarchie. Une décision qui jette un trouble sur les aspirations démocratiques du pays.

"La Cour constitutionnelle a voté à l'unanimité pour dissoudre Move Forward et bannir les membres du comité exécutif qui ont exercé leurs fonctions du le 25 mars 2021 au le 31 janvier 2024 (...) pendant dix ans" en Thaïlande – ce qui inclut Pita Limjaroenrat – a déclaré, le 7 août, le juge Punya Udchachon lors de la lecture du verdict.

Il concerne onze dirigeants, dont l'actuel secrétaire général Chaithawat Tulathon, et sa personnalité la plus connue, Pita Limjaroenrat, qui perd son mandat de député et ne pourra plus se présenter à une élection avant 2034.

Cette décision entretient la mainmise des élites militaires et économiques qui s'alignent sur le roi dans le pays, au détriment de l'expression populaire, selon le camp prodémocratie. Abonnée aux crises ces 20 dernières années du fait de divisions tenaces entre l'establishment et de nouvelles générations avides de changement, la Thaïlande entre dans une énième période d'incertitudes qui brouille ses efforts pour relever une économie à la peine depuis la pandémie.

Plus d'un an après une victoire historique aux législatives, Move Forward (MFP) disparaît du paysage politique sous sa forme actuelle, mais ses membres ont promis de reprendre son flambeau progressiste en vue des scrutins à venir.

La coqueluche des nouvelles générations

La presse locale a entretenu ces dernières semaines la rumeur de la création d'un nouveau parti que rallieraient les plus de 140 députés ex-MFP toujours autorisés à siéger. Pita Limjaroenrat et d'autres dirigeants doivent s'exprimer après 18 H 00 (11 H 00 GMT) devant la presse au siège du parti, à Bangkok.

Devant le bâtiment, quelques dizaines de supporters parés d'orange – la couleur du parti – se sont rassemblés, selon une journaliste de l'AFP. "Je continuerai à soutenir Pita jusqu'à la mort", a lancé Hua Jaidee, 69 ans, femme de ménage dans une université, estimant qu'en Thaïlande, "les bonnes personnes finissent toujours pas être malmenées" par l'establishment.

Siriporn Tanapitiporn, 53 ans, a pleuré au moment de la lecture de la décision. "Mais je garde espoir dans la nouvelle génération, qui pourra rendre la démocratie à notre pays", nuance cette vendeuse d'aliments dans la rue.

Coqueluche des nouvelles générations, Pita Limjaroenrat, 43 ans, a tenté d'insuffler un vent de fraîcheur dans un royaume où la vie politique est dominée par des figures vieillissantes connectées à des familles puissantes ou à l'armée.

Télégénique, diplôme de Harvard, divorcé, actif sur les réseaux sociaux, le candidat a donné son visage au programme de rupture de Move Forward, qui prévoyait une nouvelle Constitution, la baisse des dépenses militaires ou la fin de certains monopoles.

"Un tribunal politisé pour détruire les partis politiques"

La formation a aussi été la seule à oser évoquer une réforme de la loi de lèse-majesté, jugée hors de contrôle et instrumentalisée par le pouvoir pour réprimer les dissidents. Cette promesse, assimilée à une tentative de vouloir renverser la monarchie, a valu à Move Forward d'être poursuivi dans l'affaire qui a conduit à sa dissolution.

Ces accusations sont gravissimes en Thaïlande, où le roi Maha Vajiralongkorn bénéficie d'un statut de quasi-divinité qui le place au-dessus de la mêlée politique. 

Le parti s'est toujours défendu de toute manoeuvre illégale. Il a pointé du doigt l'ingérence d'institutions contrôlées par ses adversaires politiques au détriment de l'expression populaire. 

"En principe, la Cour constitutionnelle devrait être utilisée pour défendre la démocratie, et non pour rendre la Thaïlande moins démocratique", avait déclaré Pita Limjaroenrat avant l'annonce de la décision, dans un courriel à l'AFP.

"Lors des deux dernières décennies, 33 partis ont été dissous, dont quatre importants qui étaient élus par le peuple. Nous ne devrions pas normaliser ce modèle ou accepter l'utilisation d'un tribunal politisé pour détruire les partis politiques", a-t-il écrit.

Un opposant très populaire

La dissolution, en 2020, de Future Forward, l'ancêtre de Move Forward, avait donné lieu à d'importantes manifestations, éteintes par la pandémie et la répression des autorités visant les principales figures du mouvement – en vertu, dans de nombreux cas, de la loi de lèse-majesté.

Le texte prévoit entre trois et quinze ans de prison pour toute insulte visant le roi ou sa famille, une sanction considérée parmi les plus sévères au monde pour une loi de ce type.

L'an dernier, le vote des députés et des sénateurs qui a rejeté la candidature de Pita Limjaroenrat comme Premier ministre, en dépit du soutien d'une coalition majoritaire à l'Assemblée, n'avait pas suscité de fortes contestations dans la rue.

Plus de quatorze millions de Thaïlandais, un résultat inédit en plus de dix ans, ont choisi Move Forward lors des législatives, pour tourner la page d'une quasi-décennie de domination par les militaires issus d'un putsch en 2014, qui a creusé les inégalités et plombé la croissance.

En dépit des blocages de l'opposition, Pita Limjaroenrat est resté largement en tête des sondages de popularité, selon les dernières publications et près d'un Thaïlandais sur deux voulait qu'il soit le prochain Premier ministre, selon un sondage réalisé en janvier.

Avec AFP