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Evan Gershkovich, un intrépide journaliste américain condamné par la Russie
Après plus d'un an passé derrière les barreaux en Russie pour des accusations d'espionnage, Evan Gershkovich a été libéré jeudi dans le cadre d'un échange de prisonniers. D'origine russe, le correspondant du Wall Street Journal était revenu en 2017 dans le pays de ses parents, des Juifs soviétiques ayant fui l'URSS à la fin des années 1970, pour relater la répression de l'opposition, les catastrophes écologiques, les ravages du Covid ou encore les traditions russes.

Libéré. Le journaliste américain Evan Gershkovich, qui a passé plus d'un an derrière les barreaux en Russie pour des accusations d'espionnage jamais étayées, s'est bâti une réputation de reporter déterminé à décrire, malgré les risques, un pays refaçonné par le conflit en Ukraine et la répression.

Correspondant du Wall Street Journal également passé par le bureau de Moscou de l'AFP et âgé de 32 ans, il a été libéré jeudi 1er août dans le cadre d'un vaste échange de prisonniers avec les Occidentaux.

Evan Gershkovich avait été condamné le 19 juillet à 16 ans de prison en Russie à l'issue d'un procès expéditif et à huis clos. Il avait été arrêté fin mars 2023 à Ekaterinbourg, dans l'Oural, dans une affaire d'une gravité sans précédent pour un journaliste étranger depuis la fin de l'URSS.

Evan Gershkovich était accusé par les autorités russes "d'espionnage" pour avoir collecté des informations sur une importante usine de chars russe pour le compte de la CIA.

Lui, ses proches, son employeur et son pays ont toujours rejeté ces accusations que la Russie n'a jamais étayées, et dénonçaient une affaire fictive et une prise d'otage. Pour Washington, les autorités russes l'ont détenu pour pouvoir l'échanger.

Sujets sensibles

En détention provisoire à Moscou dans la prison de Lefortovo, tenue par le FSB, Evan Gershkovich expliquait ces derniers mois, dans ses lettres, souffrir de la monotonie de sa détention.

Il racontait aussi garder le moral, multipliant les traits d'humour dans ses courriers et racontant être au courant des derniers ragots sur les carrières et les vies amoureuses de ses amis.

Il disait aussi attendre sa condamnation pour être transféré dans une colonie pénitentiaire où il devrait théoriquement avoir plus d'activités et d'interactions sociales, ainsi que voir plus souvent le ciel. A Lefortovo, les détenus sont très isolés et en cellule 23 heures par jour. 

Lors d'audiences où la presse était autorisée à le filmer quelques minutes, sans lui adresser la parole, le reporter accueillait les journalistes qu'il connaissait avec le sourire, ou en faisant un signe de cœur avec les mains.

En décembre 2023, sa famille avait évoqué avec admiration "sa résilience et sa force inébranlable", dans une lettre publiée par le Wall Street Journal.

À rebours de nombreux journalistes américains qui ont quitté la Russie dans la foulée de l'assaut contre l'Ukraine, en février 2022, Evan Gershkovich avait fait le choix de continuer ses reportages.

Attaché à décrire la façon dont les Russes vivaient le conflit, il s'était entretenu avec des proches de soldats tués, des détracteurs du président Vladimir Poutine, ou s'était penché sur les effets des sanctions sur l'économie russe.

Lors de son arrestation à Ekaterinbourg, il semblait travailler sur des sujets sensibles : l'industrie de l'armement russe et le groupe paramilitaire Wagner.

"Pour le meilleur ou pour le pire"

Originaire du New Jersey, près de New York, Evan Gershkovich s'était illustré par la qualité de ses reportages en Russie, pays de ses racines dont il connaît les règles et les superstitions. Ses parents, des Juifs soviétiques ayant fui l'URSS à la fin des années 1970, les lui avaient inculquées. 

Diplômé d'anglais et de philosophie, il avait choisi de faire le chemin inverse et de s'installer en Russie.

En 2017, parfaitement russophone, il quitte un emploi d'assistant de rédaction au New York Times pour rejoindre le Moscow Times, principal média anglophone à Moscou, interdit en juillet par la justice russe.

Pendant environ quatre ans, il relate la répression de l'opposition, les catastrophes écologiques, les ravages du Covid ou encore les traditions russes, comme l'art du bania, le bain de vapeur russe qu'il fréquentait assidûment.

D'un naturel ouvert, toujours prompt à rire, il sait "mettre à l'aise toutes ses sources, car il leur fait toujours sentir qu'il tient profondément à leurs histoires", racontait en avril 2023 à l'AFP Pjotr Sauer, journaliste au quotidien britannique The Guardian et ami proche d'Evan Gershkovich.

Lorsqu'il rejoint le bureau de Moscou de l'AFP, fin 2020, il continue sur cette lancée, racontant l'histoire d'un opposant russe faisant campagne depuis sa prison, ou le quotidien de pompiers combattant les vastes feux de Sibérie.

Ce fan de foot et joueur amateur se plonge aussi dans l'histoire du Sheriff Tiraspol, club de la région séparatiste prorusse moldave de Transnistrie, qui avait joué en Ligue des Champions en 2021.

Début 2022, il rejoint le prestigieux Wall Street Journal, quelques semaines avant l'assaut russe contre l'Ukraine.

Plein d'humour, même en détention, il avait par exemple taquiné sa mère, dans une de ses lettres, en évoquant le gruau russe qu'elle lui préparait dans son enfance, un plat bourratif servi dans les foyers comme dans les cellules du pays.

Selon lui, cette cuisine maternelle l'avait préparé, "pour le meilleur ou pour le pire", à la prison.

Avec AFP