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Présidentielle au Venezuela : les intox autour de la réélection de Nicolás Maduro
Le président vénézuélien Nicolás Maduro a été réélu pour un troisième mandat consécutif, le 28 juillet 2024, avec 51,2 % des voix, contre 44,2 % pour le principal candidat de l’opposition, Edmundo Gonzalez Urrutia, selon le Conseil national électoral (CNE). Un résultat contesté par l’opposition et un certain nombre de Vénézuéliens, mais aussi par une partie de la communauté internationale. Mais cette contestation se trouve en partie alimentée par des intox devenues virales, tandis que d’autres favorables à Maduro ont également circulé.

La vérification en bref : 

  • Des images de la télévision vénézuélienne montreraient un “total de 132 %” de votes, ce qui prouverait le manque de fiabilité des résultats de l’élection présidentielle du 28 juillet 2024. Mais il s’agit d’une erreur d’affichage de la télévision.
  • Une vidéo prétend montrer des urnes volées par des hommes dans un bureau de vote. Mais les objets visibles ressemblent à des appareils de ventilation ou à des climatiseurs, et non aux objets utilisés dans le cadre de l’élection.
  • Des sondages de sortie des urnes montreraient une avance de Nicolás Maduro encore plus grande que les résultats finalement annoncés dans la soirée. Mais ces sondages proviennent d’un institut qui n’existe pas. 

La vérification en détails : 

Le Conseil national électoral (CNE), un organe affilié au pouvoir en place, a annoncé la réélection du président Nicolás Maduro dans la soirée du 28 juillet, avec 51,2 % des suffrages, contre 44,2% pour Edmundo Gonzalez Urrutia, le principal candidat de l’opposition. Dans la foulée de cette annonce, la cheffe de l’opposition, Maria Corina Machado a refusé de reconnaître le résultat et déclaré que leur candidat avait recueilli 70 % des voix, en dénonçant des fraudes.

Au lendemain de l’élection, des milliers de Vénézuéliens ont exprimé leur colère dans la rue ou en faisant du bruit à leur balcon, notamment dans la capitale. Du côté de la communauté internationale, un certain nombre de pays ont également mis en doute les résultats de l’élection, tandis que les alliés traditionnels de Caracas ont félicité Nicolás Maduro, tels que les chefs d’État de Cuba, de la Bolivie, du Nicaragua et du Honduras. 

Parmi les éléments alimentant les suspicions de fraude : des sondages réalisés en amont de l’élection qui donnaient largement vainqueur Edmundo Gonzalez Urrutia, ou encore le fait que de nombreux observateurs internationaux n’ont pas pu assister au scrutin. 

Mais ces suspicions sont également alimentées par de fausses informations, dont certaines ont été vues des millions de fois sur le réseau social X, dès le soir des résultats.

Des résultats cumulés qui donneraient 132 % de votes ? Une erreur d’affichage

Dans la foulée de l’annonce des résultats, le compte X “Alerta Mundial”, qui compte moins de 300 abonnés, a diffusé une image qui montrerait des chiffres incohérents, avec cette légende : “La télévision étatique du Venezuela a diffusé de façon erronée une image avec de supposés résultats officiels qui donnent un total de 132 % si on fait la somme de toutes les listes.”

Sur l’image, qui aurait été diffusée par Telesur - une télévision publique vénézuélienne - on peut ainsi lire : 51,2 % pour le GPPSB (coalition de partis politiques présidée par Nicolás Maduro), 44,2 % pour Unidad (alliance de partis de l’opposition, représentée par Edmundo Gonzalez Urrutia), et 4,6 % - un chiffre qui apparaît à huit reprises à côté des noms d’autres formations politiques.

Cette image a été reprise quelques minutes plus tard par le journaliste argentin Nacho Montes de Oca sur X, où elle cumule plus de 1,9 millions de vues. En légende, il dénonce des élections “frauduleuses” et des partis qui se seraient “mis d’accord pour obtenir la même quantité de voix”. Des images semblables, montrant ces chiffres, ont également été diffusées par d’autres comptes X, comme ici et

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Cependant, cette image est seulement une erreur d’affichage de la télévision, puisque le chiffre de 4,6 % correspond à l’addition des voix obtenues par les huit formations politiques opposées aux deux principaux candidats. Lors de la proclamation des résultats, le président du CNE a ainsi annoncé que “d’autres candidats [avaient] obtenu 462 704 [voix], soit 4,6 %”, sans entrer dans le détail de leurs résultats. Si l’on additionne 51,2 % 44,2 % et 4,6 %, on obtient bien 100 %.

Des urnes volées ? Ce sont des climatiseurs

A-t-on assisté à des vols d'urnes de la part de groupes affiliés à Nicolás Maduro ? Au lendemain de l'élection, le compte X “Visegrád 24”, a publié une vidéo censée montrer des "gangs communistes armés de Maduro - les Colectivos - prenant d'assaut les bureaux de vote à Punta Cardón dans l’État de Falcón au Venezuela”. Visionnée plus de 30 millions de fois, la séquence d'une quinzaine de secondes montre plusieurs hommes - dont certains cagoulés - sortir d'un bâtiment rapidement en portant des boîtes carrés de couleur blanche, sous le regard d'observateurs qui filment la scène.

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"C'est du grand n'importe quoi", a aussi réagi indigné Elon Musk, le propriétaire du réseau social X, à la vidéo partagée par "Visegrád 24”. Mais son post, vu également plus de 30 millions de fois, a été supprimé depuis, tout comme celui de "Visegrád 24”.

Car cette vidéo ne montre pas une fraude électorale. La rédaction des Observateurs n'a pas été en mesure de déterminer où et quand avait été filmée la scène, mais un visionnage attentif montre que les objets volés par ces hommes ne sont pas des urnes.

Sur la vidéo, qui semble avoir été postée à l'origine par le journaliste vénézuelien Eduardo Menoni, on peut voir que ces objets ont des aérations sur le côté. Il s’agirait d’appareils de ventilation ou de climatiseurs, selon des notes de la communauté sur X - un moyen collaboratif utilisé par les utilisateurs du réseau social pour contextualiser les posts - diffusées en-dessous des posts de “Visegrád 24” et d'Elon Musk

Mais surtout, ces objets ne ressemblent pas du tout aux machines utilisées pour les élections vénézuéliennes. Le vote au Venezuela est en effet électronique : après avoir donné son empreinte digitale, les électeurs sont appelés à voter sur de petites machines, qui impriment ensuite un procès-verbal que les électeurs déposent dans une urne en carton. 

Lors du décompte, les votes électroniques sont comparés aux votes indiqués sur les papiers déposés dans l'urne. Le système de vote électronique est documenté depuis plusieurs années, tant par le Conseil national électoral vénézuélien lui-même que par de nombreux médias. L'ONG américaine de veille sur les processus démocratiques, le National Democratic Institute (NDI), explique notamment ce processus sur son site

Les photos prises lors de l'élection du 28 juillet montrent d’ailleurs des objets liés au vote qui ne ressemblent pas du tout à ceux visibles dans la vidéo. L'agence de presse Reuters a notamment documenté ce processus électoral via des photos qui montrent à la fois des machines de vote électronique de petite taille et des urnes marron et aux couleurs du Venezuela. 

Présidentielle au Venezuela : les intox autour de la réélection de Nicolás Maduro

Quelques jours avant l'élection, de nombreux médias hispanophones, comme le journal El Pais, soulignaient par ailleurs que le système de vote électronique au Venezuela était considéré comme sûr, tout en rappelant les problèmes liés notamment à des manœuvres politiques diverses, notamment pour décourager la participation électorale.

Une avance encore plus grande pour Nicolás Maduro ? L’institut à l’origine du sondage n’existe pas

Si des intox ont été diffusées par des personnes et des comptes critiques de Nicolás Maduro pour renforcer les doutes sur les résultats de l’élection, des intox ont également été diffusées par des comptes plutôt favorables au pouvoir vénézuélien, avant même la proclamation des résultats par le CNE. L’objectif : diffuser l’idée selon laquelle le président sortant disposerait d’une marge considérable sur ses adversaires. 

Peu après midi, le 28 juillet, le compte X “Lewis Thompson” a ainsi publié un “sondage de sortie des urnes”, qui montrerait une avance assez large de Nicolás Maduro face à ses concurrents. Sa publication a été vue plus de 255 000 fois. 

Présidentielle au Venezuela : les intox autour de la réélection de Nicolás Maduro

Ce “sondage” a ensuite été relayé par Evo Morales, ex-président de gauche de la Bolivie, dans une publication qui comptabilise 1,4 millions de vues, ou encore par Juan Carlos Monedero, politologue espagnol membre du parti de gauche radicale Podemos, dont le post cumule 1,5 millions de vues. Pour le premier, cela montrerait “déjà une grande victoire de la révolution bolivarienne”.

Environ six heures plus tard, le compte “Lewis Thompson” publie un second “sondage de sortie des urnes”, censé avoir été réalisé à 18h. Cette fois-ci, l’avance de Nicolás Maduro est encore plus large : 57 % contre 33 % pour son adversaire principal. 

Problème : le compte X “Lewis Thompson” a été créé en juillet 2024, bien qu’il soit indiqué dans sa biographie que l’institut existe depuis “plus de 25 ans” et qu’il serait “l’entreprise leader dans l’analyse de larges volumes de données pour prédire les comportements électoraux et de marchés”. Son premier tweet remonte d’ailleurs au 21 juillet, soit 7 jours seulement avant l’élection vénézuélienne. De plus, le lien censé renvoyer au site Internet de l’institut - http://www.lewisandthompson.com/ - ne fonctionne pas. Enfin, selon le site Internet WhoIs, le nom de domaine de ce supposé institut a été enregistré le 7 juillet. 

Il semble donc probable que cet institut n’existe tout simplement pas, et que ces “sondages de sortie des urnes” ont été inventés de toutes pièces.