
Lundi 15 juillet, les rebelles houthis ont revendiqué deux nouvelles attaques sur deux navires pétroliers naviguant en mer Rouge : le MT Bently I et le Chios Lion.
Si les deux navires ont continué leur route et leurs équipages ont été déclarés saufs, l’environnement ne semble pas sorti indemne de ces frappes.
Des images satellite prises en mer Rouge le lendemain de la frappe laissent voir une longue traînée blanche s’étendant sur plus de 250 km.
Une forme qui correspond à une nappe de pétrole, selon plusieurs analystes. "Les hydrocarbures légers (...) donnent une couleur blanche, argentée ou métallique sur les images satellites car du fait de leurs caractéristiques, ils reflètent la couleur du ciel", explique Wim Zwijnenburg, spécialiste des questions environnementales en zone de conflit et chercheur à l’ONG Pax.

Il n’est pas possible d’établir avec certitude l’origine de cette nappe de pétrole. Mais plusieurs éléments suggèrent qu’elle pourrait résulter de la frappe houthie ayant touché le Chios Lion, un navire battant pavillon libérien qui avait quitté le port russe de Touapsé le 2 juillet, selon le site de suivi du trafic maritime MarineTraffic. L'appareil transportait 100 000 tonnes de pétrole brut, d’après le média russe indépendant The Moscow Times.
Cette nappe de pétrole apparaît d’abord sur les images satellites au lendemain de la frappe et n’était pas présente auparavant. Elle se trouve de plus à environ 190 kilomètres au nord-ouest du port yéménite d’Al-Hodeïda, ce qui correspond approximativement à la zone indiquée par les Opérations commerciales maritimes du Royaume-Uni (UKMTO), qui localisent l’incident à 97 miles nautiques [180 km] de ce même port.
Il est par ailleurs avéré qu’une frappe a bien touché le Chios Lions, ce qui est cohérent avec la présence d’une fuite. L’UKMTO a en effet indiqué que la frappe avait causé "quelques dégâts et une légère fumée" et les rebelles houthis ont eux-mêmes publié une vidéo de l’explosion, sur laquelle est visible un début d’incendie.
De plus, l’agence de presse Reuters indiquait le lendemain de la frappe que le Chios Lion avait fait demi-tour "afin d'évaluer les dommages et d'enquêter sur une éventuelle marée noire".
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Accepter Gérer mes choixSelon Eoghan Darbyshire, chercheur à l’ONG britannique The Conflict and Environment Observatory, "il n’y a enfin eu aucun signalement d’autres navires endommagés ou de déversements" dans cette zone.
Plus de 150 km2
Une semaine après l’incident, les traces d’une nappe de pétrole étaient toujours visibles sur les images satellites.
D’après Eoghan Darbyshire, l’analyse des images du 21 juillet permet de conclure que celle-ci s’étend sur une surface "d’au moins 150 km2", contre environ 100 km2 au lendemain de la frappe.

Si l’étendue de cette nappe de pétrole inquiète, de nombreuses incertitudes persistent quant à la nature du pétrole déversé, et donc l’impact engendré pour l’environnement.
En l’absence d’information sur le type de pétrole brut transporté, il est impossible d’affirmer avec certitude si la nappe est composée de ce pétrole brut ou du pétrole utilisé comme carburant, explique Wim Zwijnenburg.
Cependant, plusieurs éléments semblent selon lui accréditer la seconde option :
En général, le pétrole brut est dense et laisse des traces noires visibles à la surface. S'il s'agissait d'une fuite plus importante de pétrole brut, nous aurions probablement vu plus de carburant dans l'eau et une opération de sauvetage. La couleur [de la trace] indique aussi qu'il s'agit d'un type de pétrole transformé, probablement un carburant tel que le diesel.
Aires marines protégées
Or le type de pétrole détermine l’ampleur de la menace sur l’environnement, explique Eoghan Darbyshire :
En cas de pétrole brut lourd, il coulerait en grande quantité, et s’il se trouve au-dessus d'une zone très sensible, ce serait une très mauvaise nouvelle. Le pétrole léger reste lui à la surface et peut se décomposer par évaporation. Il disparaît donc plus rapidement.
Si le liquide était du pétrole léger, la menace environnementale resterait pour autant réelle. "Il est possible qu’une nappe de pétrole léger dérive vers les côtes", explique le chercheur.
Or, des écosystèmes particulièrement riches et importants se trouvent le long des côtes yéménite et érythréenne.
À moins de 100 kilomètres de la nappe de pétrole se trouvent les aires marines protégées des îles Farasan, de l’île Kamaran, et de l’archipel des Dahlak, des lieux importants pour les oiseaux migrateurs, et reconnus pour leur mangroves ou leurs massifs coralliens.
"La présence d’une nappe de pétrole au-dessus de coraux pourrait leur bloquer la lumière du soleil ou celle-ci pourrait se décomposer et provoquer une réaction toxique sur ces espèces", explique par exemple Eoghan Darbyshire, qui souligne le rôle crucial des coraux pour les écosystèmes marins.

L’analyste regrette ainsi le "manque de réaction" à cette situation, dû selon lui à la situation sécuritaire tendue et au manque d’équipement yéménite adapté. "Si cela se produisait ailleurs, notamment en Europe, il y aurait des équipes d'intervention, qui iraient isoler l'endroit où se trouve le pétrole et essayeraient de l'enlever”, estime-t-il.
Le Rubymar et la menace d’un déversement d’engrais
Ce n’est pourtant pas la première fois que l’impact des frappes houthies sur l’environnement est pointé du doigt. Mi-février 2024, les rebelles avaient touché le Rubymar, un navire qui transportait 21 000 tonnes d’engrais à base de sulfate de phosphate d'ammonium et avait finalement coulé début mars.
Le Commandement central des États-Unis avait alors pointé le "risque environnemental" que causerait le déversement de cet engrais dans la mer, quand Greenpeace avait alerté sur une possible "crise environnementale majeure" susceptible de "perturber l'équilibre des écosystèmes marins".
Des images satellites avaient par ailleurs montré que du fioul provenant du moteur s’était échappé du navire, causant une "marée noire de 29 km de long", selon l’Organisation maritime internationale (OMI).
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Accepter Gérer mes choixSigne que la menace demeure, l’OMI a lancé fin juin un appel à la communauté internationale pour fournir "du matériel de lutte contre la pollution par les hydrocarbures" et soutenir les opérations liées au naufrage de ce navire.
Pression supplémentaire
Pour Wim Zwijnenburg, la pollution pétrolière provoquée par ces incidents "s'ajoute aux multiples pressions de diverses sources de contamination qui frappent déjà la mer Rouge".
Les navires en transit déversent leurs eaux usées, d'autres fuites de pétroliers se sont produites (...) et la pollution côtière causée par les eaux usées et les sources industrielles s'ajoute au problème.
Ceci est aggravé par la hausse de la température de l'eau liée à la crise climatique, qui a un impact sur la biodiversité, y compris la faune unique et protégée comme les tortues, les requins et les mérous, mais aussi sur les récifs coralliens et les zones de pêche locales dont dépendent les communautés côtières.
D’après les forces houthies, ces deux attaques survenues lundi 15 juillet constituaient une réponse à la frappe aérienne israélienne meurtrière sur la ville de Khan Younès, dans le sud de la bande de Gaza, le 13 juillet.
Ces navires ont été visés au motif que leurs propriétaires avaient utilisé des ports israéliens, selon le porte-parole des Houthis.
Les rebelles houthis, qui contrôlent une partie du Yémen en guerre, mènent depuis novembre 2023 des attaques en mer, disant agir en solidarité avec les Palestiniens de Gaza.