Élu il y a deux semaines au Royaume-Uni, le Premier ministre travailliste, Keir Starmer, a promis de changer de politique migratoire après des années de restrictions orchestrées par les conservateurs. Les chantiers s’annoncent nombreux tant le système d’asile britannique est désorganisé et coûteux.
Changement de ton à Londres. Lors de son discours à la chambre des Lords, mercredi 17 juillet, le roi Charles III a annoncé que le nouveau gouvernement travailliste allait "moderniser le système d'asile et d'immigration" britannique. Nommé il y a deux semaines, le nouveau Premier ministre, Keir Starmer, a d’emblée annoncé la couleur avec l’abandon du décrié projet de loi permettant l'expulsion vers le Rwanda de demandeurs d'asile, une mesure qui a déjà coûté 280 millions euros, versés à Kigali.
Comme une volonté de trancher avec son prédécesseur, Rishi Sunak, qui avait fait de la lutte contre l’immigration clandestine l’une de ses priorités avec son slogan "Stop the boats" (Stoppez les bateaux). "Il n’y a plus cette attitude agressive sur l’immigration qu’avaient les conservateurs. Pour autant, les travaillistes conservent une forte dimension sécuritaire, notamment en ce qui concerne les small-boats", constate Camille Le Coz, directrice associée du cercle de réflexion Migration policy institute.
"Le labour hérite d’une situation compliquée"
De leur côté, les ONG locales se montrent prudentes sur les ambitions du camp travailliste. "Le ton a changé, mais la question est : dans quelle mesure la politique suivra ? Je pense que le nouveau gouvernement va collaborer plus étroitement avec ses partenaires européens, mais que l’immigration ne va pas être la priorité immédiate du ministère de l’Intérieur pour cette première année de mandat, contrairement à la lutte contre le terrorisme ou la délinquance", estime Edward Kessler, président de la Commission pour l’intégration des réfugiés au Royaume-Uni. Ce dernier s'étonne d’ailleurs de l’absence de nomination d’un ministre de l’immigration dans le nouveau gouvernement.
Si le Parti travailliste bénéficie pour l’instant d’une forte popularité, il hérite aussi d’une politique d’asile profondément désorganisée et coûteuse. Entre 2021 et 2023, les dépenses de ce poste ont doublé, passant de plus de 2 à presque 5 milliards d'euros, selon l’Observatoire des migrations de l’Université d’Oxford. "Le labour hérite d’une situation compliquée et a tout intérêt à calmer le jeu sur ce sujet, car il va falloir du temps avant de pouvoir montrer des résultats", estime la chercheuse Camille Le Coz.
D’autant qu’à gauche, les attentes sont élevées. Le 8 juillet, des centaines de réfugiés et associations ont écrit une lettre au Premier ministre pour le presser de réformer le système du droit d’asile. Une de leurs demandes : abroger l’Illegal Migration Act qui empêche, depuis juillet 2023, les migrants arrivant clandestinement au Royaume-Uni d’y effectuer une demande d’asile, autoriser les demandeurs d’asile à travailler six mois après leur arrivée sur le territoire (contre 12 actuellement), ou encore fermer les hôtels, camps militaires ou autres barges dans lesquels sont parqués les migrants en privilégiant l'hébergement chez l'habitant.
Près de 120 000 demandes d'asile en attente de traitement
Selon une étude de la Commission d’intégration des réfugiés, encourager le travail des demandeurs d’asile permettrait un gain économique de plus d’un milliard d'euros sur cinq ans contre plus de 670 millions avec le système actuel.
Autre épine dans le pied du ministère de l’Intérieur : l’arriéré des demandes d’asile. Selon les derniers chiffres de l’Observatoire des migrations parus en juillet, près de 120 000 demandeurs d’asile attendent toujours une décision du Home Office sur leur sort. Un embouteillage qui coûte près de 4 milliards d'euros au contribuable en hébergement provisoire. Le 15 juillet, plusieurs dizaines de demandeurs d’asile sur la barge Bibby Stockholm, à Portland, ont manifesté pour alerter le gouvernement sur leur sort. Certains attendent déjà depuis trois ans une réponse de l’administration.
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Accepter Gérer mes choixPour remédier au problème de logement, la Commission d’intégration des réfugiés suggère d’élargir aux demandeurs d’asile le programme "House for Ukraine", qui a permis d’héberger plus de 73 000 réfugiés ukrainiens chez des particuliers entre mars 2022 et août 2023, moyennant une contribution financière.
"Remise à plat" des relations franco-britanniques
La question migratoire va donc occuper une place importante dans le programme du Labour, qui souhaite par exemple prioriser l’embauche de Britanniques dans les métiers en tension, au détriment de l’immigration légale. C’est aussi ce que souhaite l’ancien Premier ministre travailliste Tony Blair (1997-2007) qui s’est fendu d’une tribune dans le Sunday Times au lendemain des élections pour conseiller à son successeur de s’attaquer frontalement au problème migratoire. Une manière, selon lui, de couper l’herbe sous le pied au parti d’extrême droite de Nigel Farage, Reform UK, qui a remporté 14 % des suffrages aux élections générales. "Normalement, les populistes n’inventent pas de griefs, ils les exploitent […] C’est pourquoi Keir Starmer a absolument raison de dire qu’il faut contrôler l’immigration", a déclaré Tony Blair.
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Accepter Gérer mes choixAprès une baisse d’un tiers en 2023, les traversées dans La Manche sont d’ailleurs reparties à la hausse début 2024 avec 14 000 passages enregistrés en six mois, et surtout 19 décès, un record depuis 2021. Conscient de l’influence des réseaux criminels sur cette activité, Keir Starmer a appelé à "démanteler les réseaux de passeurs", notamment en créant une nouvelle police transfrontalière aux moyens renforcés. Dans son discours prononcé mercredi, le roi Charles III a appelé à doter cette force des mêmes moyens que l’antiterrorisme, par exemple en matière de saisies.
Le nouveau Premier ministre pourra également compter sur une meilleure coopération avec les États européens que son prédécesseur, pour qui les relations avec la France ont parfois été tumultueuses. Keir Starmer va d'ailleurs rencontrer Emmanuel Macron, jeudi, à l’issue du sommet de la Communauté politique européenne (CPE). L’occasion d’une "remise à plat" des relations franco-britanniques.