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Attentat raté contre Trump : un tremplin pour "BlueAnon" et le complotisme de gauche ?
Une partie des théories du complot liées à la tentative d’assassinat de Donald Trump provient d’internautes se revendiquant "libéraux" – appartenant au camp progressiste aux États-Unis. Pour le Washington Post, c’est le réveil de "BlueAnon", une tendance démocrate au conspirationnisme. Une mouvance qui diffère fortement du mouvement complotiste d’extrême droite QAnon.

Impossible d’y échapper. Depuis la tentative ratée d’assassinat contre Donald Trump, samedi 13 juillet, les réseaux sociaux regorgent d'explications complotistes. Et pas de la part de n’importe qui. J.D. Vance, le gouverneur de l’Ohio nommé colistier du candidat républicain à la présidentielle Donald Trump, a ainsi accusé Joe Biden d’avoir volontairement créé un climat propice à un tel acte.

Dans son sillage, les traditionnels conspirationnistes du camp trumpiste – comme les élues républicaines Marjorie Taylor Greene et Lauren Boebert – ont entonné un refrain très similaire.

#FakeAssassination ou #Staged

La popularité de hashtags (mot-clés) tels que #FakeAssassination ("faux assassinat") ou #Staged ("mis en scène") indique cependant l'existence d'un autre complotisme, celui de "libéraux" (gauche américaine).

"Un candidat à la présidentielle s'est fait 'tirer’ dessus et notre réaction collective en tant que pays a été de rire parce que rien n'a jamais semblé aussi faux", assure sur X le très à-propos et anonyme compte "I Smoked the Staged Trump Assassination"("j’ai démasqué la fausse tentative d’assassinat contre Trump") dans un message vu plus de 2,1 millions de fois.

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Certaines voix influentes à gauche ont également flirté avec le complotisme. C’est le cas de Dmitri Mehlhorn, un conseiller démocrate proche de Reid Hoffman, le très antitrumpiste cofondateur de LinkedIn. Il s’était dit "ouvert" à la possibilité, samedi soir, que cette tentative d’assassinat soit une "mise en scène" pour assurer la victoire électorale de Donald Trump.

Dès dimanche, il s’est excusé de s’être laissé entraîner dans le tourbillon conspirationniste. D’autres ont moins de remords, de nombreux internautes anti-Trump se demandant pourquoi les services secrets avaient laissé au candidat républicain le temps de brandir son poing alors qu’un tireur était en train de le viser.

Cette tendance est "surtout visible sur Threads [le concurrent de la plateforme X créé par Meta, NDLR], où les démocrates se sont réfugiés après le rachat de X par Elon Musk", assure le Washington Post, qui s’est intéressé à cette vague de conspirationnisme "de gauche" après la tentative d’assassinat.

"BlueAnon", un QAnon de gauche ?

Ce serait le réveil des conspirationnistes "BlueAnon", assure le quotidien. "C’est un jeu de mots entre 'Blue' – la couleur politique des démocrates aux États-Unis – et 'Anon' qui fait référence à QAnon, la théorie du complot pro-Trump, décrivant une conspiration de démocrates satanistes et pédophiles", explique Eirikur Bergmann, politologue à l’université de Bifröst (Finlande) travaillant sur l’exploitation politique des théories du complot.

Autrement dit, l’attentat raté aurait été un révélateur de l’existence à gauche d’une nébuleuse conspirationniste aussi extravagante que son alter ego d’extrême droite QAnon.

Avant l’attaque contre Donald Trump, ces théoriciens "libéraux" du complot avaient déjà cherché à justifier la piètre performance de Joe Biden lors du premier débat télévisé en assurant que le président américain avait été "drogué par les Russes", note le Washington Post.

Ils avaient aussi accusé CNN d’avoir volontairement baissé le volume de son micro pour donner l’impression qu’il avait du mal à parler fort durant le débat, détaille le New Statesman, un magazine britannique de gauche, dans un article intitulé "La montée alarmante de BlueAnon". "C’est du QAnon à la sauce démocrate", s’est écrié sur X le journaliste de CNN Ken Klippenstein.

À l’origine, "BlueAnon" est "un terme péjoratif qui a été utilisé la première fois en 2020 ou 2021 par des partisans de Trump pour tenter de discréditer leurs opposants", souligne Eirikur Bergmann. C’était l’époque où certains électeurs démocrates cherchaient des preuves que la Russie avait fait élire Donald Trump et le manipulait. Ils affirmaient, notamment, que Moscou disposait de vidéos compromettantes.

La terminologie "BlueAnon" permettait à des commentateurs ultraconservateurs comme Jack Posobiec ou Candace Owens de réduire ces internautes à des complotistes aussi égarés que les QAnonistes et leur satanistes pédophiles.

"Du complotisme de mauvais perdant"

Le terme est resté. "Il a aussi ensuite été repris par des responsables démocrates pour déplorer le recours à des explications abracadabrantesques par certains à gauche qui feraient du tort au parti", explique Sebastian Dieguez, chercheur en neurosciences travaillant sur les théories du complot à l’université de Fribourg (Suisse). De fil en aiguille, "BlueAnon" a commencé à se faire une place dans les médias nord-américains comme l’équivalent de gauche du complotisme le plus acharné de droite.

Mais ce parallèle est osé, d’après les experts interrogés par France 24. D’abord "parce que QAnon est un terme revendiqué par ses adhérents, qui l’arborent sur leurs tee-shirt et dans des manifestations, ce qui n’est pas le cas avec 'BlueAnon'", note Eirikur Bergmann.

"Rien ne suggère qu’il y a une construction à gauche d’une réalité alternative complexe comme celle créée par les adhérents de QAnon", souligne Stephan Lewandowsky, chercheur en sciences cognitives et expert de la désinformation à l’université de Bristol.

Pour résumer ,"'BlueAnon' relève davantage de la tendance qui se dessine que du mouvement organisé comme QAnon", assure Sebastian Dieguez. Pour lui, il serait "trompeur" à ce stade d'assimiler les deux. Dans le cas des démocrates qui cherchent des excuses à Joe Biden pour son débat raté ou qui craignent que l’attentat raté devienne une bénédiction politique pour Donald Trump, "on a affaire au cas classique du complotisme du mauvais perdant", estime Sebastian Dieguez.

Ce qui ne veut pas dire que le complotisme est l’apanage de la droite. "Les recherches démontrent qu’il ne s’agit pas tant d’une distinction droite-gauche que d’une histoire d’extrémisme. En fait, plus on est d’extrême gauche ou d’extrême droite, plus on est susceptible d’adhérer à ce genre de théories", résume Karen Douglas, professeure de psychologie sociale spécialisée dans les théories du complot à l’université de Kent (Royaume-Uni).

Des théories conspirationnistes encore peu reprises

"La question intéressante maintenant est de savoir si les théories du complot nées à gauche pour expliquer l’attentat raté vont rester", assure Stephan Lewandowsky. Dans le passé récent, les thèses conspirationnistes à gauche n’ont jamais vraiment fait long feu. "Après la défaite de Hillary Clinton contre Donald Trump en 2016, il y avait eu quelques accusations de résultats faussés en faveur de Donald Trump. Mais elles n’ont pas tenu", souligne ce spécialiste.

L’élément qui manque à gauche est "que ces théories soient reprises par des responsables qui les amplifient", assure Stephan Lewandowsky.

Le risque est réel pour Eirikur Bergmann. À ses yeux, le contexte américain est mûr pour ça : "L’espace informationnel est tellement divisé qu’on peut facilement se retrouver inondé par des théories du complot d’un camp, tandis que l’exemple de Donald Trump a prouvé qu’exploiter le complotisme est politiquement efficace", résume ce spécialiste. Il ne manquerait donc plus qu'un politicien de gauche se saisisse de l’opportunité.

Ce qui ne ferait que renforcer la probabilité d’une explosion de violence politique aux États-Unis. Les adeptes de QAnon ont montré, lors de l’assaut sur le Capitole, que leur croyance pouvait justifier le recours à la violence. Mais, souligne Stephan Lewandowsky, "que ce soit à droite, à gauche ou encore parmi les extrémistes religieux, l’écrasante majorité d’auteurs de violence politique croient en une théorie du complot".