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Trump soigne son image de survivant : comment ne pas pousser le bouchon trop loin
Deux jours après avoir échappé à une tentative d’assassinat, le candidat Donald Trump cherche à se poser en réunificateur. Mais ses partisans essaient de profiter politiquement des images choc de la tentative d'assassinat à laquelle le milliardaire républicain a survécu. Les experts interrogés par France 24 mettent en garde contre la tentation d'en faire trop.

Il s'est écrié "Fight, fight, fight!" ("Combattez !") juste après avoir été visé par des coup de feu lors d'une tentative d’assassinat en Pennsylvanie, samedi 13 juillet. Le lendemain, Donald Trump a opté pour "Unite" ("Unissons-nous") en répondant aux questions du tabloïd New York Post, assurant qu’il voulait "essayer d’unifier le pays".

Cette interview était la première que le "survivant" accordait pour revenir sur ce qui s’était passé la veille. Donald Trump y apparaît très éloigné de l’image du politicien vindicatif et outrancier auquel les États-Unis sont habitués. Il a même qualifié Joe Biden de "très gentil", alors qu’il n’avait eu jusqu’à présent que des mots durs envers son rival démocrate.

La déferlante des tee-shirts

"L’équipe de campagne a dû intervenir au plus vite pour convaincre Donald Trump d’abandonner son habituel ton agressif afin de paraître aussi présidentiel que possible", assure Angelia Wilson, spécialiste de la politique américaine à l’université de Manchester.

Pour les communicants du camp Trump, le mieux à faire en ce moment est de "prendre du recul et d’apparaître au-dessus de la mêlée", assure René Lindstädt, spécialiste de la politique américaine à l’université de Birmingham.

D’abord à cause du choc des photos, qui valent 1 001 spots publicitaires. Les images devenues virales de Donald Trump juste après avoir échappé à l’attentat, brandissant son poing, du sang sur sa joue et protégé par des agents des services secrets, sont en train d’être imprimées sur des centaines de milliers de tee-shirts.

Dans les heures qui ont suivi la tentative d’assassinat, des usines en Chine ont commencé à en fabriquer à la chaîne, raconte le site Newsweek. Il y a en a dorénavant pour toutes les nuances de "Maga" ("Make America Great Again", le cri de ralliement de campagne de Donald Trump) avec des slogans tels que "Still Standing" ("toujours debout"), "Bulletproof" ("à l’épreuve des balles") ou encore "Fight! Fight! Fight!"

Difficile de négliger l’impact de ces images. Les militants trumpistes vont brandir ce cliché comme une "preuve qu’il est fort, plus déterminé que jamais et que rien ne pourra l’arrêter", analyse René Lindstädt. Une image à agiter aussi sous le nez des démocrates qui peinent à faire oublier les apparitions médiatiques de Joe Biden "qui semblait vieux, fragile et vulnérable", poursuit cet expert.

C’est aussi un cliché qui se marie parfaitement avec certaines des théories du complot les plus en vogue dans la "magasphère". "La photo peut se lire comme l’image d’un homme se battant contre l’establishment qui a essayé de l’arrêter mais a échoué", décrypte René Lindstädt. De quoi illustrer à merveille le mythe du candidat "outsider" qui dérange le "Deep State", cet "État profond" désignant un prétendu "État parallèle" qui tirerait les ficelles du pouvoir.

La virulence des pro-Trump

Donald Trump peut aussi se permettre d’être tout en retenue parce qu’il y a "une répartition des tâches entre lui et ses troupes qui sont beaucoup plus virulentes dans les médias et les réseaux sociaux", assure Angelia Wilson. Cet attentat "n’est pas un incident isolé. Le message central de la campagne de Joe Biden est de dire que Donald Trump est un autocrate, un fasciste qu’il faut arrêter à tout prix. Voilà où cela mène", a lancé sur X J.D. Vance, l’un des favoris pour devenir le colistier de Donald Trump pour l’élection présidentielle de novembre. Même rengaine pour Marjorie Taylor Greene, l’élue républicaine accro aux théories du complot, qui s’est énervée sur X contre "les médias et les démocrates, responsables pour chaque goutte de sang versée aujourd’hui".

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Lara Trump, la belle-fille du candidat et actuelle vice-présidente du Parti républicain, s’est empressée de poster sur Instagram un montage mettant en scène Jésus-Christ protégeant Donald Trump, accompagné du message "biblique" "N'aie pas peur, je suis avec toi". Cette image "avait déjà été utilisée lorsque Donald Trump était arrivé à la Maison Blanche en 2016 et sert à suggérer à l’électorat chrétien que Trump est le véhicule par lequel Jésus-Christ va accomplir son œuvre", souligne Richard Hargy, spécialiste britannique de la politique américaine à la Queen's University Belfast.

Une référence religieuse qui peut être électoralement porteuse. "Si la droite chrétienne est majoritairement pro-Trump, encore faut-il convaincre ces électeurs de se déplacer", souligne Angelia Wilson. La récente publication de la plateforme officielle du Parti républicain, qualifiée de modérée sur la question du droit à l’avortement, a jeté un trouble dans l’électorat chrétien. Lara Trump cherche à rappeler qu’il faut aller voter pour un candidat qui a profité d’une intervention divine pour le protéger.

Le candidat républicain n’a, cependant, pas que les chrétiens de droite à convaincre. Il doit aussi s’adresser aux indépendants. "S’il avait réagi trop violemment, il risquait de braquer une partie de l’électorat modéré qui aurait perçu cela comme une incitation à la violence", estime Richard Hargy.

Trump tout en retenue, jusqu’à quand ?

Pour les experts interrogés par France 24, le risque d’explosion de violence s’est, de toute façon, accru. La tentative d’assassinat "a rendu une situation tendue encore plus volatile. Et dans un pays où tout le monde ou presque possède une arme, il est devenu impossible pour les forces de l’ordre et les services de sécurité de garantir convenablement la sécurité des candidats", estime Richard Hargy.

C’est d’autant plus vrai pour l’électorat pro-Trump. "Ils ont déjà démontré lors de l’assaut du Capitole le 6 janvier [2021] que le recours à la violence en politique ne leur faisait pas peur. Et tout le discours de la droite religieuse a donné une justification idéologique à la violence politique", ajoute Angelia Wilson.

D’où cette question qui taraude les experts interrogés : quel va être le ton des discours de Donald Trump et des autres dirigeants conservateurs lors de la convention républicaine qui débute lundi ? Ce genre de grand-messe partisane "sert généralement à galvaniser la base", rappelle Richard Hargy. Autrement dit, en temps normal, les responsables républicains profitent de ce raout pour aller dans le sens des électeurs les plus pro-Trump.

"Il va être intéressant de voir si Donald Trump peut maintenir cette retenue jusqu’à son discours de jeudi, et si les autres responsables vont chercher à appeler à l’apaisement ou s’ils vont inciter leur base à 'se battre pour reprendre le pays'", souligne René Lindstädt.

Ils risquent de chercher à galvaniser les électeurs républicains dans l’espoir de les inciter à effectuer des dons à la campagne de Donald Trump. Sur X, les appels aux dons d’élus pro-Trump comme Lauren Boebert se multiplient. "Il faut s’attendre à des levées de fond records en faveur de Donald Trump", estime Richard Hargy.

Certains républicains se sentent d’autant plus libres d’utiliser la tentative d’assassinat à des fins électoralistes que cet incident laisse le camp démocrate dans "une situation encore plus délicate qu’avant", assure René Lindstädt.

Après la convention républicaine, qui se termine jeudi soir, ils devront probablement "revenir à la charge pour proposer une candidature alternative à Joe Biden", affirme Richard Hargy. Pour lui, le handicap de l’âge du président sortant est encore plus fort maintenant que Donald Trump apparaît comme l'homme fort du moment.

Mais même avec un nouveau champion, "la capacité des démocrates à mener une campagne efficace contre Donald Trump est dorénavant limitée", souligne Richard Hargy. Aux yeux de cet expert, le statut de victime dont bénéficie le candidat républicain va le protéger contre un large panel d’attaques.

Tout n’est cependant pas perdu pour les démocrates, veut croire Angelia Wilson. La dernière raison pour laquelle Donald Trump a intérêt à mettre de l’eau dans son discours est que s’il retombe dans sa rhétorique habituelle, "il peut y avoir davantage d’électeurs qui vont voter contre lui car ils estimeront qu’il représente un risque pour la démocratie", estime cette experte. Et qu’importe si c’est Joe Biden ou un autre qui porte les couleurs démocrates.